— Un Perrier, avec de la glace, demanda Malko. Il avait repéré la bouteille. Il y avait même une autre bouteille de Moët et Chandon… et les bougies étaient fichées dans des magnums vides de J & B. La civilisation n’était pas loin…
Le propriétaire de l’île observait son visiteur.
— Vous venez faire de la pêche ?
— Pas tout à fait, avoua Malko. Je suis assureur et je recherche l’emplacement du naufrage d’un cargo qui a disparu récemment dans ces parages. Le Laconia B.
— Le Laconia, fit le propriétaire de l’île, c’est le cargo qui a coulé il y a quinze jours au nord de Denis ? Vous ne trouverez rien par ici. Vous auriez dû vous laisser guider par Brownie, il connaît tous les secs du coin par cœur. Il vient souvent prendre des clients par ici pour les emmener pêcher à Denis. Il y a juste 40 miles.
— Comment êtes-vous sûr que le Laconia a coulé près de Denis ? demanda Malko.
L’autre tendit la main vers un vieux poste de radio posé sur une table non loin du bar.
— Parce que j’ai recueilli son SOS. On reste souvent branché sur la fréquence de détresse, 2182, parce que c’est là-dessus qu’on s’appelle toujours. Ensuite, on passe sur une autre fréquence. Je me souviens très bien que le radio a signalé qu’il avait laissé à tribord le phare de Denis avant de heurter un récif non signalé sur la carte et de couler en quelques minutes. Donc il était au nord de Denis. C’est la route normale pour tous ceux qui montent vers Socotra.
— Je vois, dit Malko, en achevant son Perrier. Eh bien, je vais filer vers Denis.
— Revenez nous voir, dit le barbu. À Denis, il n’y a encore rien pour se loger.
Malko avait hâte de regagner le Koala. Il courut sur la plage, s’enfonçant dans le sable qui lui brûlait la plante des pieds et accueillit la tiédeur de l’eau comme une délivrance. La chaleur était tout simplement terrifiante. Malko ne pensait même plus aux requins. Il étira voluptueusement ses muscles en un puissant crawl dorsal.
Brownie Cassan buvait un cognac sur le flying deck à côté de Rhonda, impassible. Malko avait amené à bord la bouteille de Gaston de Lagrange prise chez Willard Troy. Pour améliorer l’ordinaire à bord.
Il s’ébroua et les rejoignit.
— Alors, vous aimez Bird Island ? lui jeta l’Australien d’un ton ironique.
— Ce n’est pas mal, dit Malko, mais je crois que je préférerai Denis. Il semble bien que le Laconia ait coulé au nord de Denis. Le propriétaire de l’île a recueilli son SOS.
— Ah oui… Mais c’est pas à côté Denis, fit sans se troubler Brownie Cassan. Ça fait plus de 40 miles et ensuite 50 pour descendre sur Mahé. Sept à huit heures de mer. On n’a pas le temps aujourd’hui. De toutes les façons, je dois être ce soir à sept heures au vieux port pour voir un mécanicien à cause de la pompe du diesel gauche.
Il avait repris son ton traînant, mais ferme à la fois. Malko comprit que rien ne le forcerait à se rendre à Denis Island. Rentrant sa rage, il réussit à prendre un ton enjoué.
— Très bien. Il n’y a qu’à rentrer en péchant.
— On y va, fit l’Australien. Rhonda, tu remontes l’ancre ?
Tandis que le couple s’affairait pour l’appareillage, Malko s’installa dans le siège central de pêche. Réfléchissant. La réponse à son problème se trouvait sur le Koala. Mais il ne pourrait pas manœuvrer l’Australien. Il avait peur. Il fallait donc contourner l’obstacle.
Retrouver la carte où étaient portés les emplacements véritables des secs, notamment de celui où le Laconia avait dû s’échouer. Ensuite on verrait.
Les diesels ronflèrent, les lignes se dévidèrent. Peu à peu, un plan s’échafaudait dans la tête de Malko. Utiliser les éléments dont il disposait. C’est-à-dire pas grand-chose… Le ronronnement et la fumée des diesels poussaient à l’assoupissement. Il se laissa aller, souhaitant qu’un poisson téméraire ne le tire pas de sa nonchalance. Mais les poissons mordaient surtout dans les heures les plus chaudes. Il était déjà un peu tard.
Une sensation de fraîcheur réveilla Malko. Le cabin-cruiser passait au large d’une grande île très découpée où brillaient plusieurs lumières dans le crépuscule.
Malko reconnut Praslin. Ils n’étaient plus loin de Mahé. Il se redressa et rejoignit Cassan sur la dunette.
— Vous avez pioncé comme une bête, fit jovialement l’Australien.
Rhonda était toujours dans le carré, active comme une fourmi. Elle devait briquer le Koala même la nuit. Malko regarda les lumières de Mahé se rapprocher. Cassan se tourna vers lui.
— Vous allez au yacht-club ou au Fisherman’s Cove ?
— J’ai laissé ma voiture au yacht-club, dit Malko.
— Eh bien, voilà !
Brownie Cassan se tenait en face de Malko, l’observant de ses petits yeux marrons. Attendant ses cent livres. Le Koala se balançait le long du quai, à une centaine de mètres du yacht-club. Le youyou venait d’être mis à l’eau. Malko rhabillé, fouilla dans les poches de son pantalon et poussa une exclamation dépitée, d’un air totalement innocent.
— Oh, je suis désolé, j’ai oublié mon argent. Cela vous ennuierait-il de venir prendre un verre à l’hôtel, que je vous paie…
L’Australien secoua la tête.
— Je peux pas, j’attends le type qui vient pour la pompe du diesel. Je vais vous donner Rhonda, elle reviendra en bus.
— Très bien, dit Malko.
La jeune femme était en train de passer un vieux tee-shirt sans couleur, sur son slip de bain. Elle enfila un short, puis des sandales en caoutchouc. Brownie se rapprocha d’elle et lui dit quelque chose si bas que Malko n’entendit pas. Puis, ils descendirent tous les deux dans le youyou. Ils traversèrent le port et Rhonda amarra ensuite au ponton. Toujours sans un mot, elle s’installa dans la Cooper. Au moment où Malko sortait du yacht-club pour traverser dans Badamier Avenue, un bruit insolite lui fit tourner la tête.
Rhonda pleurait à chaudes larmes.
Chapitre IX
Malko freina aussitôt et se gara sur le terre-plein en face du yacht-club. La jeune Australienne, la tête entre ses mains, pleurait à chaudes larmes, les épaules secouées par ses sanglots. Se sentant observée, elle parvint à se reprendre et dit d’une voix enrouée par les larmes :
— Oh, excusez-moi, je suis désolée… Il y a des moments où je n’en peux plus… Brownie est si dur. Si vous saviez ce qu’il m’a dit, avant de partir.
Malko posa la main sur son genou nu.
— J’ai vu comment il vous traitait. Que vous a-t-il dit ?
Elle baissa la tête.
— Oh, j’ai honte. Il m’a dit de… de vous demander de l’argent. Que cela paierait la réparation du pont.
Malko lui adressa un sourire encourageant.
— Eh bien, ainsi vous n’êtes pas pressée ! Restez dîner avec moi à l’hôtel. Cela vous changera les idées.
Rhonda jeta un coup d’œil sur son short effiloché.
— Mais je ne peux pas venir comme cela ! Ce n’est même pas la peine que je retourne me changer. Je n’ai plus une seule robe. Il ne m’achète rien.
— C’est un problème facile à régler, dit Malko, en souriant.