Выбрать главу

Il redémarra, et, un peu plus loin, tourna dans Victoria Street pour stopper devant Victoria House où se trouvait une importante galerie commerciale.

Il dût forcer Rhonda à sortir de la voiture. La timidité même. Déception, les élégants magasins de la galerie étaient fermés. La vie s’arrêtait à 5 h 30. Comme en Grande-Bretagne.

— Il y a un bazar hindou à côté du siège du SPUP, dit Malko, c’est encore ouvert.

Ils rebroussèrent chemin. À côté de l’Hindou, une demi-douzaine de militants du SPUP étaient en train de s’entasser dans un taxi, Kalachnikovs en bandoulière pour un exercice de nuit, anti « contre-révolutionnaire ».

L’Hindou accueillit Malko et Rhonda les bras ouverts. Il avait vraiment de tout. Malko força Rhonda à prendre deux robes, dont l’une noire, décolletée, des chaussures, des produits de maquillage. Puis ils reprirent la route de Beauvallon, Rhonda serrait son paquet comme si ça avait été de l’or. À peine arrivée dans le bungalow de Malko, elle se précipita dans la salle de bains et s’y enferma.

* * *

La porte s’ouvrit sur une Rhonda méconnaissable. Les seins en poire de la jeune femme semblaient prêts à jaillir du décolleté de la robe noire. Les hauts talons allongeaient encore ses jambes. Sa tignasse rousse, démêlée, lui faisait une auréole de feu.

— Vous êtes superbe, Rhonda, dit Malko avec sincérité. Vous devriez vraiment revenir à la civilisation.

Seules les mains de la jeune Australienne n’avaient pas été ravalées. Elle s’approcha de lui timidement. Il la prit par les épaules et l’entraîna en face de la glace de la coiffeuse :

— Alors ?

Elle eut un sourire confus et enfantin. Puis un regard émerveillé.

— Sans mes lunettes, je vois tout flou, avoua-t-elle.

— Ça ne fait rien, dit Malko. Je vous guiderai. Allons dîner.

Elle se rembrunit.

— Il ne faut pas que je rentre trop tard.

— N’ayez pas peur, la rassura Malko. Je vous donnerai de l’argent pour lui. Comme ça, il ne vous dira rien.

Le restaurant du Fisherman’s était presque vide, comme à l’accoutumé.

— C’est sinistre, dit Malko. Allons ailleurs. Vous connaissez quelque chose ?

Rhonda hésita.

— Il y a le Pénélope, à Beauvallon. Il paraît que la viande est bonne.

— Va pour le Pénélope.

Il l’entraîna jusqu’à la Cooper, roula doucement pour ne pas la décoiffer. Le Pénélope était, en bordure de la plage, une espèce de véranda décorée de cordages et de bambous. Une superbe Eurasienne les accueillit et leur apporta d’office des Martini Bianco, offerts par la maison.

Rhonda poussa une exclamation de joie, en prenant le menu.

— Enfin, je vais manger de la viande… Brownie ne veut pas que je mange autre chose que du poisson. Pour faire des économies. Je n’en peux plus… Je n’aurais jamais dû quitter l’Australie. Mais il m’a raconté que j’allais avoir une vie de rêve. Je m’ennuyais. Il n’y avait pas d’avenir. J’ai toujours aimé la mer. Maintenant, je ne sais plus où aller. Je n’ai pas d’argent, je n’ai même plus de vêtements…

Rhonda semblait ignorer que l’esclavage avait été aboli une centaine d’années plus tôt… Malko lui versa un peu d’un soi-disant bordeaux, né de l’union incestueuse d’un vin algérien et d’eau seychelloise.

— Oubliez vos problèmes pour ce soir, dit-il.

Il n’avait pas refermé la bouche que la porte s’ouvrit sur trois personnes.

Rachid Mounir, le torse moulé dans une élégante chemise rose bonbon, escorté d’une très jolie jeune femme brune, de type arabe, avec une bouche énorme et un nez retroussé visiblement refait. L’autre personne qui l’accompagnait était Bill, le responsable du SPUP de Beauvallon.

Le petit Seychellois fixa longuement Malko et Rhonda avant de s’asseoir. Son regard glaça Malko, tant il était plein de méchanceté. Puis il leur tourna le dos. Rhonda se pencha vers Malko et dit à voix basse.

— Vous le connaissez ? C’est lui qui a charté le bateau. Il est très puissant ici. Je crois qu’il vient avec l’Arabe. Ils sont venus sur le Koala ensemble.

Malko s’efforça de sourire. Inutile de l’affoler.

— Ce soir, je ne m’occupe pas d’affaires, affirma-t-il.

L’attitude de Bill prouvait en tout cas une chose. Il n’agissait pas sur les ordres officiels du gouvernement seychellois. Sinon, il aurait appréhendé Malko immédiatement pour l’« accident » de la Land Rover. C’était une petite activité parallèle. Il se retourna et fixa de nouveau Rhonda, comme s’il se demandait ce qu’elle faisait avec Malko. Ce dernier se maudissait de ne pas être resté au Fisherman’s Cove.

Rhonda avait vite balayé la présence de Bill. À son troisième verre de faux bordeaux, elle posa un regard ravi sur le décor plutôt succinct et soupira :

— Il y a si longtemps que je n’ai pas été dans un restaurant !

L’arrivée de la viande ne ternit pas son enthousiasme. Du vieux buffle kenyan qui semblait être venu à la nage, tant il était résistant. Déguisé en filet mignon.

Si Pénélope méritait une remarque dans un guide, c’était plutôt deux tibias croisés que deux fourchettes.

Stoïque, Malko engagea le combat avec son buffle. Plusieurs gouttes de vin étaient tombées sur la table. Il s’assura qu’elles ne dissolvaient pas la peinture avant de tremper les lèvres dans son verre.

* * *

— Vous êtes si gentil, balbutia Rhonda d’une voix pâteuse… Si gentil !

Sa main s’était posée sur celle de Malko. Elle la prit d’un geste spontané et la porta à ses lèvres. Il profita de son enthousiasme pour poser une question.

— Pourquoi Brownie a-t-il peur de ce Bill ? demanda-t-il.

— Avant, il donnait de l’argent pour avoir un permis de travail, expliqua-t-elle. Depuis le nouveau gouvernement, Bill le force à renseigner la police. Brownie a peur, parce qu’ils pourraient lui saisir son bateau.

— Mais qu’est-ce qu’ils veulent savoir ? demanda Malko innocemment.

Rhonda réprima un petit hoquet avant de répondre :

— Oh, pas grand-chose. Ils ont peur d’un contrecoup d’État. Ils veulent savoir s’il n’y a pas de bateaux qui amènent des armes, s’il ne connaît pas des gens mécontents du gouvernement. Ils lui louent son bateau pour très peu d’argent aussi. Comme pour demain. Il ne voulait pas, mais ce petit « banania » est venu lui dire que s’il refusait, il perdait sa licence de charter.

— Je vois, dit Malko.

Toujours les mêmes bons vieux procédés… Cassan allait mener les Irakiens au banc de corail. Ensuite ceux-ci n’auraient plus qu’à remonter la cargaison au nez et à la barbe de la CIA. Beau travail. Plus que jamais, il fallait essayer de donner le change.

La crème caramel, vraisemblablement fabriquée à base de pâte à modeler, n’arrivait pas à faire passer le buffle. Il réclama l’addition, paya et se leva, entraînant ostensiblement Rhonda par la taille.

— Allons danser, dit-il à haute voix, en passant près de la table de Rachid Mounir. Vous connaissez un endroit ?

— Il y a le Bubble Club, avança Rhonda, de l’autre côté de l’île. Après Victoria. Mais je ne sais pas si cela vous plaira. Ce n’est pas très bien fréquenté…

Malko embrassa la jeune femme dans le cou, sous l’œil bovin de trois Seychellois gardant le parking.

— Avec vous, tout me plaira.

L’Australienne représentait sa meilleure chance. Sa seule chance même. Elle gloussa de joie et se laissa tomber dans la Cooper.