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— Appareiller, rattraper le Koala et entrer en possession de cette carte. Ensuite…

Il eut un geste vague et fataliste.

* * *

Le Derviche abaissa les énormes jumelles noires et annonça d’une voix sans émotion :

— Ce sont eux.

À l’avant du trimaran, Malko essaya de distinguer un vague point à l’horizon, caché souvent par la houle. Le trimaran avait mis le cap droit sur Denis. Il était un peu moins rapide que le Koala et le voyage leur avait pris six heures. Sans croiser un seul bateau. Ils avaient laissé l’île à leur droite et continué tout droit vers le nord, incurvant leur course de 10° une dizaine de miles après avoir passé Denis.

L’île ressemblait à Bird Island, plate comme la main, couverte de cocotiers, entourée d’une barrière de corail. Pas plus de deux kilomètres de long.

Le Derviche se retourna et cria quelque chose en hébreu. Docilement le Noir qui barrait fit tourner sa roue de quelques degrés. Un Noir parlant hébreu ! Il y en avait un autre, qui était resté dans le carré avec Zvi pendant tout le voyage.

Zamir, le Rossignol, bronzait, allongée à l’avant vêtue d’un seul slip de bain, impassible. Elle avait même trouvé le temps de refaire son vernis, dissimulant le piège mortel de ses ongles.

— Ils ont dû nous voir aussi, remarqua Malko.

Le Derviche eut un sourire froid.

— La mer est à tout le monde…

Les Noirs parlant hébreu intriguaient Malko.

— Ce sont des Juifs, ces Noirs ?

— Comment croyez-vous que nous avons réussi Entebbe, dit l’Israélien. Nous avons des agents partout. Ceux-là sont partis d’Ouganda à temps, mais sans eux nous aurions échoué. Ils ne parlent que le swahili et l’hébreu.

Malko imagina le grand Noir en train de lire la Thora. Décidément, il n’était pas au bout de ses surprises, et il aurait donné cher pour pouvoir communiquer avec Washington. Ce n’était pas une situation agréable de se trouver au milieu de l’océan Indien avec des agents d’une puissance concurrente, même si elle était amie…

Peu à peu, la tache à l’horizon grossissait. Maintenant on distinguait à l’œil nu le Koala. Il paraissait stoppé. Zamir s’était levée et avait pris les jumelles.

Une exclamation de la jeune femme fit sursauter Malko. Elle jeta une phrase en hébreu et le Derviche lui arracha aussitôt les jumelles et les braqua sur le Koala.

— Ils ont mis un canot à la mer, annonça-t-il. Avec des plongeurs…

Le cœur de Malko se serra. C’était ce qu’il craignait. L’Israélien posa les jumelles et sans un mot disparut à l’intérieur du trimaran. Quelques minutes plus tard, la tête chauve de Zvi le Taciturne émergea de l’écoutille. Tirant toujours sur sa pipe comme s’il avait été en pleine partie de pêche, avec un short trop long et une chemise sans couleur, un énorme étui à la main.

L’Israélien s’assit sur le pont, ouvrit l’étui et en sortit une carabine de gros calibre : une Marlin 444 Sporter. Malko l’observait, fasciné. On aurait dit un paisible chasseur en plein safari. Mais un safari avec cible humaine. Le levier d’armement claqua avec un bruit sec. Le Taciturne sortit un petit sac en plastique blanc de l’étui et prit quatre cartouches. De quoi couper un rhinocéros en deux. Avec les mêmes gestes calmes il les introduisit dans le magasin. Lentement, précautionneusement.

Le Derviche réapparut et reprit les jumelles 8 x 56 Bushnell. Un demi-mile environ les séparait maintenant du Koala et de son youyou.

Avec des gestes amoureux, Zvi le Taciturne déplia une peau de chamois qui enveloppait une grosse lunette, une Zeiss variable. Il l’ajusta sur la carabine grâce aux montages préparés à l’avance. Il n’avait pas regardé Malko une seule fois. Celui-ci s’approcha de Zamir.

— Qu’a-t-il l’intention de faire ?

L’israélienne posa sur Malko un regard complètement neutre.

— Ce n’est pas votre problème. Nous agissons sur les ordres de notre centrale.

Devant l’expression réprobatrice de Malko, elle lui prit le bras. Les yeux de la jeune femme étaient froids comme ceux d’un poisson.

— N’ayez pas de réaction idiote, ajouta-t-elle. Nous sommes en guerre.

Ostensiblement l’Israélienne s’éloigna de lui. Laissant la marque de ses cinq griffes sur son bras.

Le trimaran avait ralenti. Zvi le Taciturne cala la carabine sur le bord du cockpit, s’accouda et se pétrifia. Malko retint sa respiration comme si c’était lui qui était visé. On n’entendait plus que le clapotis des vagues contre la coque et le ronron du moteur.

Fasciné, Malko observait le canon de la Marlin qui oscillait doucement. Zvi était rigoureusement immobile, soudé à son arme. Comme à l’exercice.

La distance entre les bateaux continuait à diminuer. Maintenant on distinguait nettement deux hommes dans le youyou. Par contre, aucune silhouette en vue sur le Koala même sur le flying deck.

Pourtant l’Australien devait bien être à bord. Pas trace non plus de Rhonda. Le cœur serré, Malko se demanda ce qui lui était arrivé.

— Ne craignez rien, fit soudain la voix du Derviche dans son dos. Nous ne tirerons pas sur eux. Ils n’ont pas encore plongé, nous les surveillons depuis qu’ils ont mis le youyou à l’eau. En plus, notre sondeur nous indique 60 mètres. Ce n’est pas le bon endroit. Nous tirerons seulement devant leur youyou pour les empêcher d’intervenir.

Les yeux rivés aux Bushnell, le Derviche observait le cabin-cruiser. Toujours aucun signe de vie.

Parvenu entre le youyou et le Koala – séparés d’un quart de mile – le trimaran mit le cap sur le cabin-cruiser. Malko put voir les deux occupants du youyou les regarder curieusement.

Le youyou ne semblait pas dériver, probablement amarré à une ancre flottante.

— Quel est votre plan ? demanda Malko à l’Israélien.

— Aller à bord, dit laconiquement le Derviche et prendre cette carte.

À la barre, le Noir ne bronchait pas. Le second, monté sur le pont, préparait des cordages terminés par des grappins.

Le Koala n’était plus qu’à cinquante mètres. Ils arrivaient dessus par l’arrière, moteur coupé. Un des Noirs fila à l’avant, un grappin à la main. Toujours aucun signe de vie sur le Koala.

Zvi le Taciturne se retourna, surveillant l’arrière.

Maintenant ils distinguaient le pont arrière du cabin-cruiser : vide. La porte du carré était fermée.

La course du trimaran avait été bien calculée. Courant sur son erre il vint doucement effleurer la coque blanche du Koala, bâbord arrière. Le grappin heurta avec un bruit métallique le bastingage du cabin-cruiser.

Le Noir banda ses muscles, tira sur le cordage, immobilisant le trimaran. Le second Noir jeta aussitôt une « banane » entre les deux coques, et un second grappin pour que les deux bateaux arrivent bord à bord. Heureusement, la mer était calme. D’un élan sec, le Derviche se hissa sur le pont arrière du cabin-cruiser un peu en surplomb. Sans arme. Mais, en se retournant, Malko aperçut Zamir, le couvrant, une courte mitraillette Uzi dans le creux de son coude.

Il sauta à son tour sur le Koala.

La scène était irréelle à cause de son silence. Malko pensa à la carte. Comment faire pour que les Israéliens ne la trouvent pas ? Le Derviche se dirigeait déjà vers la porte du carré. Malko regarda par-dessus son épaule. Le carré était vide.

L’Israélien poussa la porte et elle s’ouvrit. Malko et lui pénétrèrent à l’intérieur. Tout était parfaitement rangé, mais l’armoire aux cartes était grande ouverte…