— Zamir ! cria-t-il, vérifie s’il y a un équipement de plongée à bord.
— Il y en a deux, dit Malko, dans la cabine latérale en face de la cuisine.
De toute façon, les Israéliens l’auraient trouvé.
— Très bien, dit le Derviche. Elle va plonger. Pour vérifier s’ils n’avaient pas trouvé le lieu du naufrage. Il peut y avoir une tête de corail isolée que le sondeur n’indique pas.
Zamir était déjà en train de traîner dehors la combinaison de caoutchouc noir. Rhonda était toujours allongée sur une des couchettes de la cabine avant, des linges humides sur son visage tuméfié. Malko prit les jumelles et les braqua sur la barque seychelloise. Celle-ci s’éloignait plein sud, vraisemblablement en direction de Mahé. Le trimaran revenait vers eux.
Zamir s’équipa avec une célérité qui prouvait un long entraînement.
Il réalisa soudain une chose. Si les Israéliens trouvaient le Laconia B dans les parages, son existence devenait extrêmement fragile. Ainsi que celle de Rhonda. Pensif, il regarda l’Israélienne achever de s’équiper : palmes, masque, bouteilles, gants, lampe et poignard. Elle enjamba le bastingage et se laissa tomber en arrière.
Son « plouf » parut sinistre à Malko.
Malko consulta discrètement sa Seiko-Quartz. Dix-sept minutes que Zamir s’était enfoncée dans l’eau émeraude. Le soleil tapait d’une façon infernale, et depuis longtemps la barque qui avait recueilli les occupants du youyou n’était plus qu’un point à l’horizon.
Le Derviche s’était réétendu dans le carré. Le trimaran revenu de sa chasse, était en train de s’amarrer le long du Koala.
Le Derviche suivait des yeux les déplacements de Malko comme s’il craignait qu’il prenne une arme. La mer clapotait doucement. Malko avait du mal à se concentrer : la chaleur lui vidait le cerveau…
Un bouillonnement agita soudain la surface à une dizaine de mètres des bateaux. Une tâche noire apparut et se mit à nager : Zamir venait de remonter à la surface. Les deux Noirs sautèrent sur le cabin-cruiser et l’aidèrent à remonter. Sa bouteille vide, elle avait rejeté son masque sur son front et respirait normalement. En dépit de son épaule blessée, le Derviche se leva et se traîna jusqu’au pont arrière. Il était appuyé au siège central, quand la jeune femme franchit le bastingage. Un des Noirs se précipita pour la débarrasser de la bouteille vide.
Zamir semblait épuisée et avait du mal à respirer. Le Derviche l’apostropha aussitôt en hébreu. En dépit de ses efforts, Malko ne comprenait pas un mot de ce qu’elle disait. Sa vie en dépendait pourtant. Heureusement, l’expression du Derviche lui en disait beaucoup plus : l’Israélien paraissait déçu et furieux. Il posa encore une question et la jeune femme secoua la tête négativement. Malko se demanda à quelle profondeur elle était descendue.
Elle a trouvé quelque chose ? interrogea-t-il.
Le Derviche tourna vers lui ses yeux bleus et froids.
— Non.
— Il y a du fond ?
Cette fois, c’est Zamir qui répondit.
— Pas beaucoup. Entre vingt et trente mètres. Du corail. Ensuite cela descend plus profond et on n’y voit plus rien. J’ai été aussi loin que je pouvais, mais il n’y a aucune trace de naufrage.
Elle se redressa, enleva sa combinaison noire et apparût vêtue de son seul slip, superbe. Magnifique animal de proie. Elle fonça dans le carré, ouvrit le réfrigérateur et but de l’eau minérale au goulot. Le Derviche se tourna vers Malko :
— Je me demande pourquoi ils ont plongé ici ?
— Je n’en ai pas la moindre idée, avoua Malko. Il faudrait avoir la carte qui a brûlé. Même avec elle, les recherches peuvent prendre des jours ou des semaines. Il y a plusieurs endroits ou le corail affleure la surface.
— Oui, évidemment, reconnut pensivement l’Israélien.
Malko se sentait quand même mieux. Zamir n’ayant rien trouvé, il avait un sursis.
Visiblement indécis, le Derviche se fit aider par les Noirs pour repasser sur le trimaran et disparut à l’intérieur du bateau. Il allait demander des instructions par radio, probablement. Zamir s’était laissée tomber dans le grand siège de pêche au centre de la plage arrière.
Malko vint s’accouder à côté d’elle et lui tendit un paquet de Rothmans.
Elle prit une cigarette, l’alluma et souffla voluptueusement la première bouffée.
— Vous n’êtes pas fatiguée ?
L’Israélienne secoua la tête, lointaine.
— Non, ça va, merci.
Elle avait étendu ses longues jambes sur le plat-bord et sa poitrine s’aplatissait un peu. Malko admira son corps musclé. Maintenant qu’il la connaissait sous toutes ses facettes, elle le fascinait encore plus. Avec son physique, Zamir aurait pu mener une vie de luxe dans n’importe quelle capitale du monde.
— Pourquoi faites-vous ce métier ? demanda-t-il.
L’Israélienne eut un sourire triste.
— Parce que mon pays a besoin de moi. Et que je suis la seule à pouvoir accomplir certaines missions. Les hommes sont très vulnérables lorsque vous avez soulevé leur coquille.
— Vous n’aimez pas les hommes, remarqua doucement Malko. C’est la vraie raison. Cela doit vous griser de les manœuvrer…
Zamir hésita et puis éclata de rire.
— Non, c’est vrai. Je ne les aime pas ! Mais j’en ai besoin. Parfois, c’est bien agréable. J’aimerais avoir un homme à moi, très beau, très gentil, dont je me serve seulement quand j’en ai envie. Qui soit soumis, docile, amoureux.
— Vous finirez peut-être d’une façon très désagréable, remarqua Malko. Vous y pensez quelquefois ?
L’Israélienne haussa les épaules, et dit en français avec un accent épouvantable :
— C’est la vie.
— À propos, dit Malko que veut dire Zé nehedar.
Zamir le fixa, les sourcils froncés.
— « C’est bon ». Pourquoi ?
— Pour rien, dit Malko.
Brusquement la jeune Israélienne baissa les yeux. Elle les releva aussitôt. Comme si de rien n’était.
Impossible d’avoir une relation authentique avec cette femme.
Le Derviche réapparut. Le visage fermé. De nouveau, il passa d’un bateau à l’autre, atterrit sur la plage arrière. Le pansement de son épaule était imprégné de sang et sa pâleur ressortait sous le soleil aveuglant.
— Allez chercher la jeune femme, dit-il à Malko d’un ton neutre.
Zamir lui emboîta le pas. Elle était derrière lui lorsqu’il secoua Rhonda pour la réveiller. La jeune Australienne se dressa en sursaut.
— Mon Dieu, commença-t-elle…
— Venez, fit Zamir avec sécheresse. Nous voulons vous parler.
Rhonda descendit docilement de sa couchette et suivit l’Israélienne. Malko n’aimait pas cela du tout. Le Derviche attendait, appuyé à la caisse où on mettait les poissons, fumant une cigarette allumée par un des Noirs. D’emblée, il attaqua Rhonda :
— Où se trouve le sec où le Laconia s’est échoué ?
Les prunelles de la jeune Australienne s’agrandirent.
Mais elle répondit d’une voix presque calme :
— Je ne sais pas. C’est Brownie qui s’est toujours occupé de la navigation.
— Ce n’est pas vrai, fit brutalement l’Israélien. Vous viviez avec lui. Vous devez être au courant. Vous dirigiez souvent le bateau.
— Pas sur les secs, ni pour entrer dans les ports, répliqua Rhonda. Il avait trop peur que j’abîme les hélices. Et puis, je faisais la cuisine. Souvent, je n’étais pas en haut. Je ne peux pas vous aider.