Il fila vers le nord, cherchant des traces sur les coraux.
Rien.
La bouteille lui donnait une autonomie d’une heure. La remontée et le palier prenaient une dizaine de minutes. Lorsqu’il eut parcouru un demi-mile, il descendit encore de quelques mètres.
La barrière de corail était creusée comme un paysage lunaire… Il s’en approcha, la toucha, sentant le corail rugueux et coupant comme un rasoir contre ses gants.
Il était si absorbé qu’il ne vit même pas surgir une ombre au-dessus de lui. Il eut à peine le temps d’avoir peur. Un gros requin, rendu encore plus énorme par la réfraction de l’eau, venait de se glisser entre lui et la surface. Malko le vit virer sec et revenir dans sa direction, intriguée par ce gros poisson inconnu. Malko cessa de nager, tâta le manche de son poignard. Il fallait éviter à tout prix que le requin ne se frotte à lui. Sa peau dure comme un papier de verre l’écorcherait et l’odeur du sang rendrait fou le prédateur.
Au moment où le requin s’approchait de lui, Malko agita les bras et lâcha un peu d’air.
Effrayé, le requin fit un brusque écart et fila, disparaissant dans le corail. Malko n’était plus tranquille : il aurait pu aussi arriver sur lui et lui arracher une jambe.
Il continua sans voir autre chose que d’innocents poissons et une grosse raie marron qui s’enfuit. Il réalisa, en regardant sa montre, que quarante minutes s’étaient déjà écoulées. Il n’avait pas le temps de revenir sur ses pas. Il fallait remonter. Battant des pieds, il se laissa pousser vers le haut, expirant le plus possible pour éviter la surpression pulmonaire, faisant attention de ne pas dépasser ses bulles. Lorsqu’il fut à trois mètres, selon le profondimètre, il s’arrêta et attendit trois minutes. Enfin il acheva sa remontée.
Lorsqu’il émergea, il arracha son masque et aspira une goulée d’air frais, puis se laissa glisser sur le dos, récupérant. Un peu reposé, il regarda autour de lui et éprouva aussitôt une affreuse angoisse.
La mer était vide, le cabin-cruiser avait disparu !
Chapitre XV
C’était comme s’il avait reçu un coup de poing en plein dans l’estomac. Il tourna sur lui-même si vite qu’il avala une grande gorgée d’eau de mer. Rien. La mer vide.
Puis l’angoisse le prit. Il était trop loin de Denis pour regagner l’île à la nage. Il résista à l’envie furieuse d’arracher les bouteilles jumelles qui pesaient sur son dos. Avec l’énergie du désespoir, il donna un coup de ciseaux pour se sortir de l’eau. Cette fois, il aperçut un point blanc à près de deux miles !
Malko avait été entraîné vers l’est par un courant. Les Seychelles étaient redoutées pour la force de leurs courants. À Mahé, on pouvait être entraîné et se noyer à trois mètres du bord.
Il se sentait beaucoup trop épuisé pour nager cette distance. Il fallait donc attirer l’attention de Rhonda pour qu’elle vienne le chercher. Mais comment ?
Crier était rigoureusement inutile.
Il essaya de sortir de l’eau à mi-corps et d’agiter les bras. Après s’être livré une dizaine de fois de suite au même exercice, il était prêt à couler de fatigue. Il se remit sur le dos, attendit. Il n’avait même plus la force de nager. En se soulevant, il parvenait à apercevoir le cabin-cruiser très loin. Rhonda devait, elle aussi, chercher à l’apercevoir. Mais il n’était qu’un point perdu dans les vagues.
Quelque chose frôla sa jambe et il la replia violemment.
Il envoya la main pour vérifier l’intégrité de son membre et ses doigts touchèrent le manche du poignard, cela lui donna une idée. L’arrachant de sa gaine, il le dressa hors de l’eau, faisant miroiter la lame d’acier dans le soleil. Une chance minuscule que Rhonda l’aperçoive. Seulement c’était épuisant de garder le bras ainsi hors de l’eau. Pour ménager ses forces, il défit les courroies des bouteilles et les laissa couler.
Inlassablement, il continua à remuer doucement dans le soleil la lame du poignard. Mais la silhouette blanche du cabin-cruiser ne bougeait pas. Il suffisait que Rhonda regarde dans la bonne direction. C’était sa seule chance de survie. En se reposant fréquemment sur le dos, il pouvait tenir plusieurs heures dans cette eau tiède, mais il ne pourrait jamais regagner Denis Island à la nage…
Doucement, il remua le poignet, pour la centième fois. Un éclair jaillit du poignard, aveuglant. Malko tenta de le prolonger le plus longtemps possible, puis retomba dans l’eau, submergé, épuisé par son effort. Il resta deux ou trois minutes sur le dos et se redressa de nouveau.
Une angoisse atroce lui coupa les jambes. Le Koala avait bougé ! Avant il lui présentait le flanc, maintenant, il ne voyait plus que l’arrière ! Rhonda s’en allait, le croyant noyé !
— Himmel ! murmura-t-il, les yeux rivés sur la coque blanche.
Il y eut un suspense d’interminables secondes puis lentement, la silhouette blanche du Koala se modifia. Le cabin-cruiser virait lentement et revenait vers lui.
Rhonda l’avait vu ! Frénétiquement, il agita son bras armé du poignard. Il se démena tant et si bien que lorsque le bateau ne fut plus qu’à quelques mètres de lui, il pouvait à peine se tenir à la surface. Moteurs coupés, le cabin-cruiser s’approcha tout près ; il entendit la voix de Rhonda qui criait :
— Malko, Malko, viens à l’arrière !
Il réussit à s’accrocher à l’échelle posée le long de la coque. Mais sans l’aide de la jeune femme, il n’aurait pas pu monter. Enfin, elle l’arracha de l’eau et il se laissa tomber sur le pont arrière. Ses jambes tremblaient, de violentes douleurs lui paralysaient les bras, il avait des éblouissements, sa peau imbibée de sel le brûlait. Rhonda l’essuya, lui fit boire une bouteille entière de Perrier, puis l’aida à ôter sa combinaison.
— Mon Dieu, dit-elle, j’ai cru ne jamais te revoir ! Avec les jumelles, je regardais partout.
Le soleil commençait à monter dans le ciel, presque à la verticale du Koala. Quand on ne bougeait pas, la chaleur était insupportable. Rhonda se décida à demander :
— Tu as trouvé quelque chose ?
Il secoua la tête.
— Non. En nous y prenant comme cela, il faudra des mois. Cette barrière de corail est trop grande. J’ai une autre idée. Revenons à la bouée. Tu peux ?
— Je vais essayer, dit la jeune femme.
Pendant que Malko se reposait dans le siège de pêche, elle remonta sur la dunette et remit les diesels en route. Le Koala fit demi-tour. Malko somnolait, récupérant. Au bout d’un moment, la voix de Rhonda l’arracha à sa torpeur.
— Nous y sommes.
Il se leva et aperçut sur l’avant la bouée signalant le haut du sec.
— Stoppe, dit-il. Il faut que je vérifie quelque chose sur la carte.
Il entra dans le carré et sortit une carte de l’archipel des Seychelles et du nord de l’océan Indien. D’abord, il y nota au crayon l’emplacement du sec qu’ils venaient de découvrir. Puis, il tira un trait, à partir du phare de Denis Island, jusqu’à Socotra, tout en haut de la carte.
Obtenant ainsi la route prévue du Laconia B.
Premier résultat. Le trait passait juste au milieu du sec. Il releva soigneusement le cap et remonta sur la dunette. Rhonda attendait en fumant une Rothmans.
— Tu vas prendre le cap 020, dit Malko et continuer tout droit jusqu’à ce que je te le dise. Je surveille le sondeur. Ne va pas trop vite.
— Pourquoi ?
— Admettons que le Laconia B ait touché ce récif, expliqua Malko. Il n’a pas coulé sur place, même la coque déchirée. Les courants n’ont que peu d’effet sur un cargo de 15 000 tonnes. Donc, il a continué sur sa route primitive, jusqu’à ce qu’il coule, comme un éléphant blessé. Il peut même avoir parcouru une distance importante. Une masse de 15 000 tonnes lancée à 13 nœuds ne s’arrête pas comme ça.