Ce n’était pas avec le Koala qu’il arracherait 200 tonnes d’oxyde d’uranium au Laconia B. La CIA avait intérêt à lui fournir des moyens puissants. Il se demanda l’accueil qu’il aurait à Mahé. Entre les Irakiens et les Israéliens, cela risquait d’être mouvementé. Sans compter Brownie Cassan qui devait avoir envie de récupérer son bateau…
Tandis que le soleil descendait, il se mit à réfléchir aux solutions possibles. Un nuage passa et il eut presque froid.
— Regarde, dit Malko, il y a un bateau qui vient sur nous.
Le Koala se dirigeait sur Beauvallon. La nuit tombait. Rhonda prit les jumelles et les braqua dans la direction indiquée par Malko, les rabaissa, une expression inquiète sur ses traits anguleux.
— C’est la vedette de la police.
— « Ça commence », se dit Malko.
— Tu peux les semer ? demanda-t-il.
La jeune femme eut un rire nerveux.
— Bien sûr, si elle fait 10 nœuds, c’est le bout du monde.
— Alors, filons sur Victoria, dit Malko. On verra après.
Rhonda tourna la barre et le Koala prit la direction de la pointe nord de l’île. La vedette les suivit quelque temps, puis Malko la vit faire demi-tour. Malheureusement, il y avait beaucoup de chance pour qu’elle ait une radio.
— Où peut-on faire le plein ? demanda-t-il.
— Au vieux port, mais il faut demander le camion par radio. Avec le Drakkar.
— Je prends la barre, dit Malko. Vas-y.
Le prochain point de ravitaillement se trouvait à 800 miles marins. Aux Comores ou à Madagascar… Rhonda disparut dans le carré et remonta dix minutes plus tard.
— Nous avons de la chance, dit-elle. Le camion est là et il a du fuel. Quelquefois, il n’y en a même pas pour les avions qui font Mahé-Bird Island.
Si les choses tournaient mal, ils risquaient d’avoir besoin de leurs réservoirs supplémentaires.
— Que veux-tu faire après le ravitaillement ?
— Cela dépend de beaucoup de choses, dit Malko. Si Brownie ne se manifeste pas tout de suite, le mieux serait d’aller te mouiller à Beauvallon.
— Impossible, dit Rhonda, c’est interdit la nuit.
Ils étaient en train de pénétrer à petite vitesse dans le port de Victoria. La dernière heure avait été très longue, avec le crépuscule qui était tombé brutalement, comme toujours sous les tropiques. Le vent avait stoppé et il faisait délicieusement bon. Malko regarda s’approcher les bâtiments du port. Heureux de retrouver la terre ferme après quatre jours de mer.
— Dans ce cas, dit-il, va te mouiller dans la crique où se trouvaient les Israéliens.
Tout était dangereux. Il ne pouvait quand même pas emporter le Koala dans son bungalow du Fisherman’s.
— Non, dit Rhonda. Je resterai à Beauvallon. Si la vedette de la police vient, je dirai que le moteur a chauffé, que je suis en panne.
La première préoccupation de Malko était de trouver un téléphone. Prévenir Willard Troy. Avant que les autorités seychelloises ne se manifestent.
Rhonda coupa les moteurs et le Koala continua sur son erre, venant doucement accoster le quai, juste en face de la caserne de pompiers. Le gros camion rouge du fuel attendait. Plusieurs Noirs aidèrent à l’amarrage, on brancha le tuyau de ravitaillement et Malko put enfin sauter à terre.
Pas le moindre téléphone en vue ! Il n’y avait que des entrepôts et les pompiers. L’appareil le plus proche se trouvait au yacht-club. Un kilomètre à pied. Pas de taxi en vue non plus. Pendant que Malko était en train de réfléchir, une Mini Austin bleue avec un phare sur le toit franchit la grille du port et vint s’arrêter à côté du Koala. Il en sortit deux policiers en uniforme qui se dirigèrent droit sur Malko.
— Mr Linge ?
— C’est moi, dit Malko.
— Nous aimerions que vous veniez avec nous à la Police Station dit un des policiers avec une politesse exquise. Un inspecteur du CID aurait des questions à vous poser.
— À quel sujet ?
Le Seychellois secoua la tête.
— Je l’ignore, Sir. Je suis seulement chargé de vous transporter jusqu’à la police station…
Merveilleuse politesse britannique, comme les uniformes. Ils devaient s’excuser avant de vous arracher les ongles. Bien sûr, ils n’étaient pas armés. Mais que faire ? Fuir. C’était se mettre dans son tort. Discuter n’aurait servi à rien non plus. Malko se demanda quel piège « l’opposition » avait mis au point.
— Je viens, dit-il. Laissez-moi prendre mon passeport dans le bateau.
— Certainement, Sir.
Les policiers remontèrent dans l’Austin et Malko franchit la passerelle du Koala. Rhonda l’observait avec inquiétude.
— Que veulent-ils ?
— Je n’en sais rien, dit Malko. Va à Beauvallon. Ancre-toi en face du Fisherman’s Cove. Si je ne suis pas revenu dans deux heures, prends un taxi et va chez Mr Willard Troy. Il habite route de la Misère, près de la station américaine. Tu lui racontes ce qui est arrivé. Il t’aidera. À tout à l’heure.
Il sauta à terre et prit place dans l’Austin bleue qui démarra aussitôt.
Direction Victoria.
Malko attendait depuis dix minutes dans un petit bureau vide lorsqu’un Seychellois moustachu et souriant fit son entrée, la main tendue, son passeport dans l’autre. La Police Station de Victoria était un complexe de bâtiments gris aux fenêtres encadrées de bleu pastel, situé au début de la route de Beauvallon. Quelques véhicules de police stationnaient dans la cour et à cette heure, il n’y avait plus qu’une permanence réduite. À part les barreaux de la fenêtre Malko aurait pu se croire dans n’importe quelle administration.
— Mr Linge, dit le policier, je suis désolé d’avoir été obligé de vous convoquer. Tenez, voici votre passeport.
Malko empocha son passeport. De plus en plus surpris.
— Pourquoi m’avez-vous interpellé ?
Le policier semblait sincèrement embarrassé.
— Eh bien, Mr Linge, c’est une histoire pas très claire… Nous avons été avertis que le Koala avait été volé par un individu répondant à votre signalement. Bien entendu, j’ai donné l’ordre que l’on intercepte le bateau s’il relâchait dans un port seychellois. Ce qui a été fait… Mais entre temps, le propriétaire du bateau, Mr Cassan, s’est présenté à la Police Station de Port Launay pour déclarer qu’il s’agissait d’un malentendu.
Malko écoutait avec un sourire figé. Bizarre, bizarre.
— Tout est donc réglé, dit-il.
— Heuh, pas tout à fait, avoua le Seychellois. Comme la plainte a été enregistrée à Port Launay, mon collègue de là-bas aimerait que vous vous présentiez à sa Police Station, afin d’enregistrer votre déclaration et de clore cette affaire. Je vais mettre une voiture à votre disposition. C’est l’affaire d’une heure environ. Ensuite, on vous déposera à votre hôtel, si vous le souhaitez.
Malko sonda le visage impassible du policier. Son histoire ne tenait pas debout. Mais c’était présenté avec tant de politesse qu’il lui était difficile de faire un esclandre. Devant son silence le Seychellois se hâta de conclure :
— Je vous remercie de votre compréhension, Mr Linge. Il se trouve que Mr Cassan n’a pas très bonne réputation. Il lui arrive de boire plus que de raison. Cela doit venir de là.