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Malko, en maillot, sauta sur la plage et s’éloigna vers la droite, là où brillaient les lumières du Coral Sands et du Beauvallon-Hotel.

Une chauve-souris le frôla et fila s’enfouir dans la cocoteraie bordant la plage. La marée était haute, rétrécissant la bande de sable. Il s’avança jusqu’au ressac, trempant ses pieds dans l’eau tiède. Chose unique à Mahé, le fond était en pente douce.

Cent mètres plus loin, avant de franchir la petite rivière qui coupait la plage, il devina un couple allongé dans l’ombre d’un falao, à même le sable. Depuis les consignes de moralité du nouveau gouvernement, les « sex-boys », Seychellois amateurs de fraternisation, n’avaient plus le droit aux hôtels. Le romantisme y gagnait, mais pas le confort. Les lumières de l’hôtel Beauvallon se trouvaient à un kilomètre environ. Malko s’arrêta et avança dans l’eau peu profonde. Quelques minutes plus tard, une silhouette se détacha de la cocoteraie et vint vers lui. Un homme en maillot, lui aussi, les cheveux en brosse avec des lunettes d’écaille. La quarantaine massive. Malko se retourna.

— Monsieur Troy ?

L’arrivant lui tendit la main avec un sourire.

— Appelez-moi Willard. Désolé d’être en retard. J’ai une crise d’amibiase carabinée actuellement et au dernier moment…

Malko sourit.

— Ce n’est rien. La température est paradisiaque… Vous êtes passé par le Beauvallon ?

L’Américain hocha la tête affirmativement.

— Oui, il y a tant de gens là-bas qu’on passe facilement inaperçu…

— Ça vous fait un long chemin de la Misère, remarqua Malko.

Willard Troy, chef de station de la Central Intelligence Agency à Mahé, habitait une superbe villa sur la route de la Misère, de l’autre côté de l’île, à côté de la « Satellite Tracking Station ». Officiellement Troy n’était qu’un des 120 contractants civils de l’US Air Force. Une « couverture » en pur mohair…

Malko ne se réjouissait pas de l’amibiase. Le chef de station de la CIA risquait de ne pas être d’un grand secours… Enfin, c’était la vie. Les espions aussi tombaient malades. Les deux hommes firent quelques pas dans l’eau, s’éloignant de la plage.

— Ce n’était pas imprudent de vous téléphoner ce matin ? demanda Malko.

— Non, répondit Willard Troy. Ils ne savent même pas encore ce qu’est une table d’écoute. Mais ça ne durera pas. Avec les Tanzaniens…

Malko était arrivé le matin même, par le vol d’Air France, le « 747 » qui desservait l’île Maurice et la Réunion. Ne sachant de sa mission que ce que contenait le bref mémo de la station de Vienne, son point d’attache. Il avait d’ailleurs été étonné que la CIA lui donnât signe de vie. L’heure était aux économies et les consignes demandaient aux chefs de service de faire appel le moins possible aux agents non-statuaires, comme lui.

— Où en êtes-vous ? demanda-t-il.

— Nulle part, avoua l’Américain. Sourire tordu. Il y a treize jours exactement dans la nuit du 30 octobre au 1er novembre, un cargo battant pavillon libérien, le Laconia B a fait escale à Mahé. Venant de Durban, en Afrique du Sud, allant à Eilath, en Israël. Il est arrivé à huit heures à Victoria, s’est débrouillé pour entrer sans pilote, on se demande comment, et n’est resté que six heures. Le temps d’une réparation urgente.

— Ce soir-là, il y avait pas mal de vent et de mer. Queue de mousson. Le Laconia B est reparti droit au nord. Et, au nord de Denis a coulé en quelques minutes. Les Seychellois ont capté son SOS et, le lendemain, des recherches ont été entreprises pour retrouver des survivants. On n’en a trouvé qu’un. Blessé. Ils n’avaient même pas eu le temps de mettre les radeaux à la mer. Il y avait des creux de quatre mètres et les requins…

— C’était un gros bateau ?

— 14 000 tonneaux, précisa l’Américain. Un Freedom Ship.

Ils pataugèrent en silence. Une méduse frôla la jambe de Malko et il fit un saut de côté. Il pensait aux hommes qui s’étaient débattus en pleine nuit, dans cette mer infestée de requins. Ce qui le ramena à sa « couverture ».

Agent d’assurance de la Maritime Freight Carrier Insurance. Venu enquêter sur le naufrage.

— Comment se fait-il que la cargaison ait été assurée pour 3,7 millions de dollars ? demanda-t-il.

Il avait tout le dossier de Laconia B avec lui. Beau travail de la Technical Division de la CIA. Willard Troy inspecta la plage déserte d’un regard circulaire avant de répondre d’une voix posée :

— La « Company » s’intéressait au Laconia B depuis le départ. Il avait dans ses cales 200 tonnes d’oxyde d’uranium en provenance d’Afrique du Sud, réparties en 560 fûts plombés. Destinées en grand secret à l’usine israélienne de Dimona, dans le Neguev. Au cas où vous l’ignoreriez et pour vous faciliter la compréhension de cette histoire, avec 200 tonnes d’uranium, on peut fabriquer environ 30 bombes nucléaires, type « Hiroshima »… Un modèle qui a fait ses preuves, ajouta l’Américain avec un rictus amer.

Ce n’étaient pas les Japonais qui le contrediraient.

— L’usine de Dimona, continua Willard Troy, est camouflée en fabrique de textile, mais, en réalité, elle est destinée à produire de la matière fissile pour engins nucléaires. Les Israéliens n’ayant pas signé le traité de désarmement atomique, personne ne sait vraiment ce qui s’y passe… La cargaison du Laconia B était le dernier élément dont les Israéliens avaient besoin pour se munir d’armes atomiques… Ce transfert d’oxyde d’uranium d’Afrique du Sud en Israël avait été approuvé par notre ancienne administration. Secrètement, bien entendu. Le nouveau président n’est plus d’accord. Le naufrage du Laconia B nous offre peut-être l’occasion de récupérer cet oxyde d’uranium.

Malko regarda les lumières de Beauvallon, songeur.

— D’après le rapport de la Maritime Freight Carrier Insurance, le Laconia B a coulé par plusieurs centaines de mètres de fond.

— Oui, fit Willard Troy. Ce n’est pas aussi simple. Il y a quelques petits « loups »…

— Par exemple ? demanda Malko.

— Le survivant d’abord. Porteur d’un passeport au nom de Dan Glowitz. Officiellement, il a quitté l’hôpital et Mahé trois jours après le naufrage. Destination : Paris et ensuite Israël. Un seul ennui, Air France n’a aucune trace de son passage et les Israéliens ne l’ont jamais revu… Par contre, il y a quatre jours, un Hollandais, honorable correspondant du Mossad[4] à Mahé a repêché un cadavre qui pourrait être celui de Dan Glowitz…

— Pourquoi « pourrait » ?

Willard Troy se pencha et trempa sa main dans l’eau tiède.

— Parce que les Seychellois l’ont enterré à toute vitesse. Le mort avait été torturé. Tous les ongles arrachés. Ce Dan Glowitz était un ancien déporté. Il avait encore un numéro tatoué sur le bras. Ce qui a attiré l’attention de l’honorable correspondant du Mossad.

— Pourquoi ne s’en était-il pas inquiété plus tôt ? remarqua Malko.

— Il était à Nairobi quand le Laconia B a coulé. Il est rentré, le type était déjà « officiellement » sorti de l’hôpital…

Soudain, l’eau parut plus froide à Malko. Même ici, dans ce lieu paradisiaque, ceux du monde parallèle s’entre-tuaient.

— Vous avez une explication ? demanda-t-il.

Willard Troy fit claquer sa langue.

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4

Les services spéciaux d’Israël.