— Vous croyez que c’est mieux de se promener avec un ponton de 50 mètres de long et toutes les barbouzes du coin à nos trousses ? demanda-t-il amèrement. De toute façon, je ferai comme je vous l’ai dit. Nous continuons officiellement l’opération « ponton ». Les otages récupérés, je m’occuperai du déchargement du « 747 » d’Air France.
Willard Troy le suivit jusqu’à sa voiture.
— Et si vos adversaires vont plus vite ?
Malko se retourna avant de monter dans la Mini :
— Ils ne vont pas amener un ponton à la nage, non ? Grâce à votre idée de le faire venir par avion, nous avons un peu d’avance.
Il mit en route et le bruit du moteur couvrit les dernières paroles du chef de station de la CIA. Cela valait mieux, elles n’étaient sûrement pas flatteuses pour Malko.
Il fallait « vendre » l’opération aux Israéliens. Sans cela, le Derviche était capable de n’importe quoi pour la faire échouer. Y compris une opération-suicide. Il était onze heures et demi. Il restait une demi-heure à Malko.
L’Israélien était seul au bar, dans un fauteuil, face au jardin. Impénétrable, comme d’habitude. Malko s’assit et ils échangèrent un bref regard. Le Derviche savait que Malko avait été voir le chef de station de la CIA. C’était le moment ou jamais d’être crédible.
— J’ai de bonnes nouvelles, annonça Malko.
Pas trop chaleureux quand même…
— Oui, fit le Derviche. Sans se compromettre.
— Washington est d’accord pour que nous collaborions.
Une lueur d’intérêt passa dans les yeux bleus de l’Israélien malgré son flegme.
— C’est-à-dire ?
— Nous récupérons la cargaison du Laconia ensemble et nous ne nous opposons pas à ce qu’elle entre en votre possession…
C’était la concession majeure. Canossa. Le Derviche fit grincer son fauteuil, demeura silencieux quelques instants comme s’il digérait la nouvelle puis demanda d’une voix égale :
— Qu’exigez-vous ?
— Nous livrons à Mounir la position du Laconia B contre les otages.
L’Israélien sursauta.
— Jamais, vous êtes fou. Jamais mon gouvernement n’acceptera cela.
— Écoutez, dit Malko, soyons réalistes. C’est moi qui détient cette information, pas vous. C’est vrai, je vous ai menti, maintenant je vous dis la vérité et vous associe. Nous ne prenons aucun risque en donnant la position du Laconia. Le ponton arrive demain. Les opérations de renflouage de la cargaison commenceront dans deux jours, le temps de le monter et de l’acheminer. Il ne suffit pas de savoir où se trouve le Laconia, il faut avoir les moyens techniques de récupérer la cargaison. Les Irakiens ne les ont pas. Cela m’étonnerait qu’ils disposent d’un « 747 » cargo comme celui d’Air France. Nous les battrons de vitesse. À vous de faire venir un navire d’Israël pour embarquer vos fûts.
— Ils vont tout faire pour nous empêcher de mener à bien cette opération, fit le Derviche. Fermé, buté.
— Vous êtes là pour les en empêcher, dit Malko. De toute façon, vous n’avez pas le choix.
L’Israélien le fixa de ses yeux bleus sans aucune expression.
— Si.
Malko savait à quoi il pensait. Le tuer. Il haussa les épaules.
— Cela ne servirait à rien. Ils ont Rhonda. Elle sait où se trouve le Laconia B. C’est elle qui m’y a mené. Ils la feront parler, vous le savez aussi bien que moi.
Le Derviche consulta sa montre et se leva.
Onze heures quarante-sept.
— Très bien, dit-il j’accepte. Mais vous répondez sur votre vie de cette opération.
Il monta l’escalier du bar. Malko savait qu’il allait rendre compte au Mossad, par radio. Il resta seul, attendant Brownie Cassan. Pensant à ce qui pouvait arriver à Rhonda. Il connaissait la férocité froide des services spéciaux. Heureusement, dans ce métier, on se retrouvait toujours. Les Irakiens n’avaient pas intérêt à se mettre mal inutilement avec la CIA. Si on traitait, les otages seraient saufs… Son sixième sens le fit se retourner. Brownie Cassan descendait l’escalier du bar. Pas très assuré. Il s’approcha de la table de Malko et s’assit. Ce dernier ne lui laissa pas le temps d’ouvrir la bouche.
— J’accepte les conditions, dit-il. Je suis prêt à mener vos amis au Laconia. Contre les otages, bien entendu.
L’Australien était tellement soufflé qu’il demeura plusieurs secondes silencieux. Puis il dit d’une voix mal assurée :
— Bien, bien… Je vais leur dire. Mais nous ne pouvons rien faire avant demain matin. Qu’il fasse jour.
— Si vous voulez, dit Malko froidement. Voilà ce que je veux. Nous nous retrouvons sur la plage demain matin. Là où on les a enlevées. Vous les amenez. Je pars avec vous sur le Koala jusqu’à l’emplacement du Laconia. Je serai sur la plage à six heures du matin. Au revoir.
Il se leva et sortit par le jardin, laissant l’Australien médusé. Surtout, ne pas entamer une discussion. Les autres étaient trop anxieux d’avoir cette information pour discuter les conditions de Malko. Mais la nuit allait être longue… Il regagna sa chambre et se jeta sur son lit. Pensant à Rhonda et à Zamir. Espérant qu’il avait choisi la bonne solution. Il ne le saurait que trop tard pour changer.
Rachid Mounir tâta la bande qui lui enserrait le cou, du menton aux épaules. En dépit de la piqûre calmante, il souffrait encore beaucoup des déchirures causées par les griffes d’acier de l’Israélienne.
Il repassait mentalement les termes de la proposition que venait de lui transmettre Brownie Cassan. Cherchant le piège. Il ne pouvait envisager une seconde qu’un agent de la réputation de Malko Linge donne une information de cette valeur en échange de deux femmes qui n’appartenaient même pas à la CIA… Il devait y avoir un piège. Pourtant, il ne pouvait dire non. Il faudrait se méfier et compter sur Bill pour la protection. Il leva les yeux sur le Seychellois qui attendait en silence.
— Vous irez les chercher à cinq heures et demi, dit-il. Ayez une bonne escorte. Dans un véhicule fermé. Attention aux surprises. J’irai sur le bateau avec Ali et Wahdi. Vous viendrez me chercher à mon retour. Allez vous reposer maintenant.
Il leur restait quatre heures de sommeil. Rachid Mounir s’étendit mais ne put s’endormir. Il pensait à l’œil de Zamir. C’était une erreur. Jamais il n’aurait pensé que les autres traiteraient.
Malko s’immobilisa à mi-chemin entre l’ambulance blanche stationnée dans la cocoteraie et le Koala à l’ancre, à une centaine de mètres du rivage. La portière avant de la Toyota jaune arrêtée à côté de l’ambulance s’ouvrit et Rachid Mounir sortit, escorté aussitôt des deux Arabes que Malko avait déjà aperçus sur la plage du Coral Sands et de Brownie Cassan. Les quatre hommes s’avancèrent sur lui, et s’immobilisèrent à quelques mètres. La plage était absolument déserte et le soleil ne chauffait pas encore. Malko se retourna vers le Fisherman’s Cove, aperçut le Derviche et Zvi dans le jardin.
— Elles sont là, dit Mounir en anglais.
— Faites-les sortir de l’ambulance, dit Malko.
Conciliabule entre Mounir et un des Arabes qui repartit en courant. Les portes de l’ambulance s’ouvrirent et des Noirs en sortirent deux civières sur lesquelles on distinguait des formes blanches. Ils les posèrent à terre et rentrèrent dans le véhicule.
— Très bien, dit Malko. Que l’ambulance s’en aille. Nous allons monter sur le bateau. Elles sont vivantes ?