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Malko balaya du regard les dizaines de personnes étalées sur la plage de Beauvallon. Sûrement l’endroit où Rachid Mounir se sentait le plus en sécurité. Un meurtre parfait. Il n’éprouvait ni pitié, ni même plaisir. Simplement un grand détachement. Les mains en visière devant ses yeux, il recommença à suivre des yeux le petit pantin qui se balançait dans le soleil, attendant le « craac » sourd de la grosse carabine.

* * *

Rachid Mounir acheva de débarrasser ses cheveux du sable que la toile avait projeté sur lui en se déployant. C’était une sensation grisante de flotter ainsi en plein ciel, comme un oiseau. Le harnais tirait bien un peu à l’entrecuisse, mais ce n’était pas vraiment pénible. Il regarda à sa droite le drapeau rouge qui flottait sur la résidence de l’ambassadeur soviétique, juste au-dessus de la plage. On se serait cru en hélicoptère.

Soudain, le câble se détendit : le bateau ralentissait. Le conducteur s’amusait à faire perdre un peu d’altitude à celui qu’il tractait pour le remonter brutalement, en accélérant. Parfois, les pieds du « parachutiste » touchaient l’eau… Amusé, Mounir se sentit descendre doucement. Son regard s’abaissa vers la mer et en une fraction de seconde, une terreur abjecte balaya son amusement.

Le vieux trimaran vert était juste devant lui. Un homme se trouvait à demi dissimulé dans l’écoutille menant au carré. Il ne pouvait voir son visage, mais distinguait parfaitement le canon noir de la longue carabine braqué sur lui. La lunette, reflétant le soleil, émit un éclair aveuglant.

Rachid Mounir se souvint de ce qu’on disait : il y a deux choses qu’on ne peut regarder de face. Le soleil et la mort.

La mort, il était en train de la regarder en face. Sa réflexion ne dura qu’une fraction de seconde. Avec l’énergie du désespoir, il s’agrippa au mousqueton de son harnais, tentant de le décrocher de la corde afin de tomber dans l’eau. Il y arriva presque. Mais le conducteur du canot augmenta la vitesse et Rachid Mounir se sentit brusquement tiré vers le haut. La pression sur le mousqueton était trop forte pour qu’on puisse le décrocher. L’Irakien hurlait, la bouche ouverte, lorsque la balle expansive le frappa un peu au-dessous de la ceinture, faisant éclater son péritoine, perforant, ses intestins, ouvrant dans son dos un trou grand comme une soucoupe par où s’échappèrent des fragments de sa colonne vertébrale.

L’onde de choc rejeta son corps en arrière, presque à l’horizontale. Croyant qu’il s’amusait le pilote du hors-bord lui adressa un signe joyeux de la main. Rachid Mounir, la bouche ouverte, essayait de comprimer son ventre éclaté. Puis il eut l’impression qu’on le plongeait dans un bain glacé et bienfaisant. Lorsqu’il passa au-dessus du trimaran vert, il ne le vit même pas.

* * *

Quelques personnes seulement avaient levé la tête en entendant la détonation. Malko vit la secousse qui agita Rachid Mounir et comprit. Le hors-bord continuait sa course, effectuant le tour de la baie. Il ne serait pas là avant plusieurs minutes. Malko se leva et regagna sa Mini.

Décidément, les Israéliens ne pardonnaient pas. Il était encore sous le coup de la fin brutale de l’Irakien lorsqu’il se gara dans le parking du Fisherman’s Cove. Cesare Zeffirelli attendait sur la banquette circulaire du lobby, l’air catastrophé. En voyant Malko, il se leva et fonça sur lui.

— Signor, dit-il, y a des problèmes. Il paraît qu’il faut une autorisation pour mouiller le ponton. Ils ont mis des soldats autour et m’ont empêché de travailler. Est-ce que vous avez pensé à la demander ?

Cela commençait. Bill avait réagi rapidement.

— Non, dit Malko, mais je vais m’en occuper tout de suite.

L’Italien le suivit jusqu’au bungalow, expliquant ses malheurs. Malko n’osa pas lui dire qu’il y avait très peu de chance qu’il obtienne son autorisation. À quoi bon le décourager. Il fallait s’en débarrasser avant que les Israéliens n’arrivent. Eux, allaient grimper au plafond.

— Cesare, dit Malko, repartez là-bas, je m’en occupe.

L’Italien se leva. Pour se heurter pratiquement au Derviche. Immédiatement l’Israélien fut sur ses gardes.

— Que se passe-t-il ?

Il aurait fallu bâillonner Cesare Zeffirelli…

Consterné, Malko écouta pour la seconde fois ses malheurs. Les yeux bleus du Derviche s’assombrirent. Heureusement, l’Italien était pressé de partir. Dès qu’ils furent seuls, le Derviche planta ses yeux bleus dans les yeux dorés de Malko.

— Alors ? Où en est votre plan brillant ?

— Cela va s’arranger, promit Malko. Zeffirelli connaît tout le monde ici. Mais j’ai envie, en attendant, d’aller voir ce qui se passe là-bas, demain matin. Que nous n’ayons pas de mauvaise surprise.

— Il y en a suffisamment déjà, fit amèrement l’agent Israélien, s’asseyant sur le bord de la chaise longue.

— Rachid Mounir en a eu une, fit remarquer Malko. Le Derviche hocha la tête et fit d’un ton las :

— Oui.

— Comment avez-vous convaincu la fille de vous aider ?

Les muscles faciaux de l’Israélien semblaient paralysés.

— C’était sa vie contre celle de Mounir, dit-il. Visiblement, il ne tenait pas à s’étendre sur le sujet.

Il releva la tête.

— Si vous partez demain matin, je viens avec vous. Ce n’était pas une question, ni même une menace.

Une évidence tout juste. Malko parvint à ne rien montrer de ses sentiments.

— Votre ami également ?

— Non, fit le Derviche, il reste ici pour garder le contact avec les locaux. Et surveiller les autres.

— Vous ne craignez pas que Bill réagisse après les deux morts ? demanda Malko.

Le Derviche le regarda, presque absent.

— Non, Bill a des problèmes en ce moment avec le chef de la police qui trouve qu’il prend trop de poids. Dans cette affaire, il a agi pour son compte. Il ne fera pas de vagues. Mais ils vont envoyer quelqu’un pour remplacer Rachid. Nous n’avons pas beaucoup de temps.

— Je sais, dit Malko. Le Derviche se leva.

— Alors, demain matin. Six heures ?

— Six heures.

Il restait à prévenir Rhonda.

La jeune femme devait être douée d’un sixième sens elle aussi, car à peine Malko eut-il pénétré dans la chambre qu’elle le fixa avec inquiétude.

— Que se passe-t-il ?

Il s’assit sur le lit, lui sourit.

— Je vais être obligé de prendre le bateau pour une journée.

— Je vais avec toi.

Le cri du cœur. Malko ouvrit la bouche et la referma tant les traits de la jeune Australienne exprimaient de détermination.

— Mais tes blessures ?

— Je ne me mettrai pas au soleil, dit-elle. Le docteur m’a dit qu’il n’y avait rien à faire qu’à me nettoyer tous les jours et à prendre des calmants si j’avais trop mal. De toute façon, tu ne connais pas assez le bateau.

La cause était entendue. Au fond, Malko n’était pas mécontent d’emmener Rhonda. Un kidnapping suffisait. Bill pouvait avoir envie de se venger. Ou les amis de Rachid Mounir.

* * *

— Vous êtes sûr de votre repérage ?

Le Derviche observait Malko plein de méfiance.

Depuis une heure ils tournaient en rond, marchant au sondeur, cherchant le sec. Rhonda, allongée sur le divan du carré, ne pouvait guère les aider. Malko avait pourtant scrupuleusement suivi le cap indiqué. Mais le fond se maintenait désespérément à 25 mètres. Il donna un nouveau tour de barre et partit vers l’ouest.

Dix minutes plus tard, un objet blanc flottant sur la houle attira son regard. La bouée.