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Néanmoins — et il en avait été surpris au début —, seuls dix pour cent environ lui répondaient. Vic ne savait pas très bien pourquoi. Peut-être que le fait de regarder des films porno n'était plus une tare, comme autrefois. Peut-être que la femme du type était déjà au courant. Bon sang, peut-être qu'elle les regardait avec lui! Mais le vrai problème de Vic était qu'il s'éparpillait trop.

Il fallait se recentrer davantage. Trier ses cibles.

D'où son idée de viser certaines professions, celles qui auraient beaucoup à perdre si l'information venait à être divulguée. Une fois de plus, les ordinateurs de la compagnie lui ont fourni tous les renseignements dont il avait besoin. Il a commencé à frapper chez les enseignants. Le personnel des crèches. Les gynécologues. Quiconque exerçant une fonction susceptible de pâtir d'un scandale de ce genre. C'étaient les professeurs qui paniquaient le plus, mais c'étaient aussi eux qui avaient le moins d'argent. Par ailleurs, ses lettres étaient maintenant plus ciblées. Il mentionnait le nom de la femme. Le nom de l'employeur. Aux profs, Vic promettait d'inonder le conseil de l'établissement et les parents d'élèves de « preuves de perversité », une expression de son cru. Les médecins, il les menaçait d'envoyer ses « preuves » au conseil de l'ordre, sans oublier la presse locale, les voisins et les patients.

L'argent a commencé à rentrer plus vite.

Jusqu'à ce jour, l'arnaque avait rapporté à Vic près de quarante mille dollars. Et voilà qu'il avait ferré son plus gros poisson, tellement gros que son premier réflexe avait été de laisser tomber. Mais il n'avait pas pu. Il n'avait pas eu le cœur de renoncer à la prise la plus fabuleuse de sa vie.

Eh oui, il s'était fait quelqu'un de connu. Quelqu'un de haut placé. Randall Scope. Jeune, beau, riche, femme sexy, 2,4 enfants, ambitions politiques, l'héritier en vue de l'empire Scope. Et il n'avait pas commandé un film. Ni même deux.

En l'espace d'un mois, Randall Scope avait visionné vingt-trois films pornographiques.

Waouh!

Vic avait passé deux nuits à rédiger le brouillon de sa lettre, pour finalement s'en tenir à la version de base: brève, froide et extrêmement précise. Il réclamait à Scope cinquante mille dollars. Il les voulait dans sa boîte pour aujourd'hui. Et, sauf erreur de sa part, ces cinquante mille dollars étaient en train de lui brûler la poche.

Vic aurait bien aimé y jeter un œil. Là, tout de suite. Mais il était la discipline incarnée. Il attendrait d'être chez lui d'abord. Il verrouillerait sa porte, s'installerait par terre, ouvrirait le paquet et en ferait pleuvoir les billets verts.

Ce coup-ci, c'était du sérieux.

Vic a garé sa voiture dans la rue et s'est engagé dans l'allée. La vue de son logement — un appartement au-dessus d'un garage minable — le déprimait. Mais il n'allait pas y rester. Avec ces cinquante mille dollars, plus les quarante mille ou presque qu'il avait planqués chez lui, plus les dix mille qu'il avait économisés…

À cette idée, il a fait une pause. Cent mille. Il avait cent mille dollars en liquide. Sacré nom de Dieu!

Il allait partir immédiatement. Prendre l'argent et filer en Arizona. Il avait un ami là-bas, Sammy Viola. À eux deux, ils ouvriraient un commerce, un restaurant ou une boîte de nuit. Vic en avait marre du New Jersey.

Il était temps de tourner la page. Recommencer à zéro.

Il a gravi l'escalier menant à l'appartement. Pour la petite histoire, Vic n'avait jamais mis ses menaces à exécution. Jamais envoyé de lettre à quiconque. Si une de ses victimes ne voulait pas payer, c'était fini, on n'en parlait plus. Lui nuire après coup n'aurait servi à rien. Vie était un artiste de l'arnaque. Son arme, c'était son cerveau. Il recourait aux menaces, certes, mais sans passer à l'acte. Car ça risquait seulement de provoquer la colère de l'autre et, qui sait, de lui retomber dessus.

Il n'avait jamais réellement fait de mal à personne. À quoi bon?

Arrivé sur le palier, Vic s'est arrêté devant sa porte. Il faisait noir comme dans un four. Cette maudite ampoule avait encore grillé. Avec un soupir, il a tiré sur sa lourde chaîne porte-clés. Plissant les yeux dans l'obscurité, il a essayé de trouver la bonne clé. À tâtons, essentiellement. Puis il a tâtonné sous la poignée jusqu'à ce que la clé glisse dans la serrure. Il a poussé la porte, est entré. Quelque chose clochait.

Un truc froufroutait sous ses pieds.

Vic a froncé les sourcils. Du plastique. Il marchait sur du plastique. Comme celui qu'un peintre aurait posé pour protéger le plancher, ce genre-là. Il a appuyé sur l'interrupteur, et c'est là qu'il a vu l'homme avec le flingue.

— Salut, Vic.

Étouffant une exclamation, Vic a reculé d'un pas. L'homme en face de lui était âgé d'une quarantaine d'années. Grand et gros, avec un ventre qui se battait contre les boutons de sa chemise de soirée et qui, à un endroit au moins, avait déjà gagné. Sa cravate était desserrée, et sa coiffure était un vrai cauchemar: huit mèches tressées d'une oreille à l'autre et plaquées avec du gel au sommet de son crâne. Les traits de son visage étaient mous; son menton disparaissait dans des replis de graisse. Il avait posé les pieds sur le coffre que Vic utilisait en guise de table basse. Remplacez le flingue par une télécommande, et vous auriez eu devant vous un père de famille harassé, tout juste rentré du travail.

L'autre homme, celui qui bloquait la porte, était tout le contraire du gros. Un Asiatique d'environ vingt ans, trapu, taillé comme un bloc de granite, carré, les cheveux décolorés, un piercing ou deux dans le nez et un Walkman jaune sur les oreilles. Le seul endroit où on aurait pu les voir ensemble, ces deux-là, c'aurait été dans le métro, le gros fronçant les sourcils derrière son journal soigneusement plié, et le jeune vous observant tout en dodelinant de la tête au son de la musique qui beuglait dans son casque.

Vic a tenté de réfléchir. Essaie de savoir ce qu'ils veulent. Raisonne-les. Tu es un artiste de l'arnaque. Un cerveau. Tu vas t'en sortir. Il s'est redressé.

— Qu'est-ce que vous voulez?

Le gros avec les tresses a appuyé sur la détente.

Vic a entendu un bruit sec, puis son genou droit a explosé. Les yeux écarquillés, il a poussé un cri et s'est effondré en se tenant la jambe. Le sang a coulé entre ses doigts.

— C'est un vingt-deux, a dit le gros en parlant de son arme. Un petit calibre. Ce qui me plaît là-dedans, comme tu vas le constater, c'est que je peux te tirer dessus autant que je veux sans te tuer.

Les pieds toujours sur le coffre, l'homme a tiré à nouveau. Cette fois, c'est l'épaule de Vic qui a pris. Il a senti l'os éclater. Son bras est retombé telle une porte de grange dont un gond aurait lâché. Vic s'est renversé sur le dos en haletant, saoulé par un terrible cocktail de douleur et de peur. Les yeux grands ouverts et fixes dans le brouillard, il a soudain compris quelque chose.

Le plastique par terre.

Il était couché dessus. Pire, il saignait dessus. C'était pour ça qu'on l'avait déposé là. Ces hommes l'avaient étendu sur le sol afin de se simplifier le nettoyage.

— Tu veux me raconter ce que j'ai envie d'entendre, a fait le gros, ou je recommence?

Vic s'est mis à parler. Il leur a tout lâché. Il leur a avoué où était le reste de l'argent. Où se trouvaient les preuves. Le gros lui a demandé s'il avait des complices. Il a dit que non. Alors l'homme lui a tiré dans l'autre genou. Il a redemandé si Vic avait des complices. Vic a répété que non. L'homme lui a tiré dans la cheville droite.