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— Elizabeth, ai-je murmuré.

Elle est restée là encore une seconde ou deux. Puis elle a dit quelque chose à la caméra. Je ne pouvais l'entendre, mais j'ai lu sur ses lèvres.

— Pardon, a articulé silencieusement ma femme morte.

Et elle est partie.

4

Vic Letty a jeté un coup d'œil à droite et à gauche avant de pénétrer en clopinant chez Boîtes Postales Etc. Son regard a fait le tour de la pièce. Personne ne se préoccupait de lui. Parfait. Vic n'a pas pu s'empêcher de sourire. Son arnaque était en béton. Il n'y avait aucun moyen de remonter jusqu'à lui, et son plan était sur le point d'en faire un homme riche.

La clé, se disait Vic, c'était la préparation. C'est ça qui faisait toute la différence entre un type doué et un génie. Le génie brouillait les pistes. Le génie parait à toutes les éventualités.

Pour commencer, Vic s'était procuré de faux papiers d'identité auprès de son tocard de cousin, Tony. Ensuite, avec ces faux papiers, il avait loué une boîte postale sous le pseudonyme UYS Enterprises. Vous pigez l'astuce? On utilise un faux nom et un pseudonyme. Comme ça, même si quelqu'un suborne le crétin derrière le comptoir, même si quelqu'un découvre qui loue la boîte d'UYS Enterprises, le seul nom qui ressortira sera celui de Roscoe Taylor, qui figure sur la fausse carte d'identité de Vic.

Il n'y avait aucun moyen de remonter jusqu'à Vic lui-même.

À travers la pièce, Vic a scruté par la petite fenêtre la boîte 417. On n'y voyait pas très clair, mais manifestement il y avait quelque chose. Magnifique. Vic n'acceptait que les espèces ou les mandats. Pas de chèques, évidemment. Rien qui puisse conduire jusqu'à lui. Et quand il venait chercher l'argent, il prenait soin de se déguiser. Comme maintenant. Il portait une casquette de base-ball et une fausse moustache. Il faisait aussi semblant de boiter. Il avait lu quelque part qu'un boitillement, ça se remarque; donc, si on demandait à un témoin de décrire l'individu utilisant la boîte 417, que dirait-il? Facile. Un type avec une moustache et qui boitait. Et si on graissait la patte à cet abruti d'employé, on en déduirait que le dénommé Roscoe Taylor avait une moustache et boitait.

Alors que le véritable Vic Letty n'était ni boiteux ni moustachu.

Néanmoins, Vic prenait d'autres précautions. Il n'ouvrait jamais la boîte s'il y avait des gens autour. Jamais. Si quelqu'un venait chercher son courrier ou bien traînait dans les parages, il faisait mine d'ouvrir une autre boîte ou de remplir un formulaire de la poste, un truc comme ça. Quand la voie était libre — et seulement quand la voie était libre —, Vic allait vers la boîte 417.

On n'est jamais trop prudent.

Même pour venir ici, Vic prenait des précautions. Il garait le camion de l'entreprise — Vie s'occupait de dépannage et d'installation pour le compte de CableEye, la plus grosse compagnie de câble de la côte est — quatre rues plus loin. Il se faufilait à travers deux passages. Il portait un coupe-vent noir par-dessus son bleu de travail, pour qu'on ne voie pas « Vic » cousu sur sa poche de poitrine.

En songeant maintenant à la somme colossale qui devait l'attendre dans la boîte 417, à trois mètres de là, il avait des fourmis dans les doigts. À nouveau, il a inspecté la pièce.

Deux femmes étaient en train d'ouvrir leurs boîtes. L'une d'elles s'est retournée et lui a souri distraitement. Vic s'est dirigé vers les boîtes situées à l'opposé en tripotant son porte-clés — il avait un de ces porte-clés qui se fixent par une chaîne à la ceinture — et a feint d'examiner ses clés une par une. Tête baissée, il leur tournait le dos.

Prudence.

Deux minutes plus tard, les femmes sont reparties avec leur courrier. Vie était seul. Rapidement, il a traversé la pièce et ouvert sa boîte.

Nom d'un chien.

Un paquet adressé à UYS Enterprises. Enveloppé de papier brun. Sans adresse de l'expéditeur. Et suffisamment épais pour contenir une bonne liasse de billets verts.

Vic a souri en pensant: Voilà donc à quoi ça ressemble, cinquante mille dollars.

Les doigts tremblants, il a pris le paquet. S'est délecté de son poids entre ses mains. Son cœur s'est mis à cogner. Oh, nom de Dieu! Cette arnaque, il la pratiquait depuis quatre mois déjà. Quelques gros poissons s'étaient pris dans ses filets. Mais ce coup-ci, bon sang de bonsoir, il avait péché une drôle de baleine!

Après avoir regardé autour de lui, Vic a fourré le paquet dans la poche de son coupe-vent et s'est dépêché de sortir. Il a regagné le camion en changeant d'itinéraire et a repris le chemin de l'usine. Ses doigts ont trouvé le paquet, l'ont caressé. Cinquante mille. Cinquante mille dollars. Le chiffre le dépassait complètement.

Le temps d'arriver chez CableEye, la nuit était tombée. Vic a garé le camion à l'arrière et traversé la passerelle pour récupérer sa propre voiture, une Honda Civic de 1991 mangée par la rouille. Il l'a contemplée en fronçant les sourcils: plus pour longtemps.

Le parking du personnel était désert. L'obscurité commençait à l'oppresser. Ses boots de travail claquaient monotonement sur le bitume. Le froid s'insinuait sous le coupe-vent. Cinquante mille. Il avait cinquante mille dollars dans sa poche.

Rentrant la tête dans les épaules, Vic a pressé le pas.

Pour tout dire, cette fois il avait peur. Il était temps qu'il arrête. Son arnaque était bonne, aucun doute à ce sujet. Géniale même. Mais il jouait maintenant dans la cour des grands. Il s'était interrogé sur le bien-fondé de cette démarche, avait pesé le pour et le contre et décidé que les génies — ceux qui changent réellement de vie — ne reculent pas devant le risque.

Or Vic avait envie de faire partie des génies.

C'était la simplicité même de son arnaque qui la rendait extraordinaire. Chaque logement câblé avait un commutateur sur sa ligne téléphonique. Quand on voulait s'abonner à une chaîne comme HBO ou Showtime, le gentil installateur venait bidouiller les interrupteurs. Votre vie sur le câble était contenue dans ce commutateur. Et ce qui contient votre vie sur le câble contient tout ce qu'il y a à savoir sur vous.

Les opérateurs du câble et les hôtels qui offrent l'accès au kiosque multivision prennent soin de spécifier que les titres des films que vous regardez n'apparaissent pas sur la facture. C'est peut-être vrai, mais ça ne veut pas dire qu'ils ne les connaissent pas. Essayez donc de ne pas payer, à l'occasion. Ils vont vous dresser toute la liste jusqu'à plus soif.

Vic avait eu tôt fait d'apprendre — sans trop entrer dans les détails techniques — que les choix effectués sur le câble étaient régis par des codes, transmettant votre commande via le commutateur au terminal informatique de l'opérateur. Il grimpait sur les poteaux télégraphiques, ouvrait les boîtiers et relevait les chiffres. De retour au bureau, il tapait les codes et découvrait tout.

Il découvrait par exemple qu'à dix-huit heures, le 2 février, vous et votre famille aviez loué par le biais du kiosque Le Roi Lion. Ou, pour prendre un exemple beaucoup plus parlant, qu'à vingt-deux heures trente, le 7 février, vous vous étiez payé À la poursuite de Miss Octobre et Sur la blonde dorée sur Sizzle TV.

Vous voyez l'arnaque?

Au début, Vic choisissait ses cibles au hasard. Il adressait une lettre au chef de famille. Une lettre brève et réfrigérante. Dedans, il énumérait tous les films porno qui avaient été commandés, avec la date et l'heure. En précisant que des copies de cette information seraient diffusées à tous les membres de sa famille, à ses voisins, à son employeur. Après quoi, Vic réclamait cinq cents dollars en échange de son silence. Ce n'était peut-être pas grand-chose, mais pour lui c'était la somme idéale: suffisante pour se constituer un petit pactole, et en même temps pas assez importante pour que ses victimes renâclent à payer.