Il se mit sur le ventre, les bras étendus en avant, le bout des doigts contre la paroi du cercueil. Elle se jucha sur ses reins, les genoux sur la mousse, contact frais du futal de cuir contre sa peau. Il sentit ses doigts lui effleurer le cou.
— Comment ça se fait que tu ne sois pas au Hilton ?
Elle lui répondit en passant la main en arrière, entre ses cuisses pour venir lui pincer doucement le scrotum entre le pouce et l’index. Elle ondula une bonne minute ainsi dans le noir, dressée au-dessus de lui, l’autre main toujours plaquée sur son cou. Le cuir de son jean craquait doucement au rythme de ses mouvements. Case changea de position, sentant son membre se durcir contre la mousse.
La tête l’élançait mais sa nuque commençait à se désensabler. Il se leva sur un coude, roula sur le dos, retomba contre la mousse, l’attirant vers lui, lui léchant les seins, petits mamelons durs qui glissent, humides, contre sa joue. Il trouva le zip du jean de cuir et le fit descendre.
— C’est okay, fit-elle. Je peux y voir.
Bruit du jean qui glisse. Elle se tortilla à côté de lui, jusqu’à ce qu’elle parvienne à se dégager à coups de pied.
Elle lui passa une jambe par-dessus et il lui effleura le visage. Dureté inattendue des lentilles implantées.
— Non, fit-elle… les empreintes.
Elle l’avait à présent enjambé de nouveau, lui prenant la main, la refermant sur elle, le pouce glissé le long du sillon des fesses, les doigts étendus en travers des lèvres. Alors qu’elle commençait à nouveau à s’abaisser, les images revinrent, puissantes : visages, fragments de néon qui déferlaient et repartaient. Elle vint se couler tout autour de lui et il sentit son dos s’arquer dans un spasme convulsif. Elle le chevaucha de cette manière, s’empalant, glissant et coulissant sur lui, jusqu’à ce qu’ils aient joui tous les deux, orgasme d’éclat bleu dans un espace hors du temps, vaste comme la matrice, où les visages étaient éclatés, pulvérisés au long de corridors de tempête, et ses cuisses fortes et moites contre ses hanches.
Sur Ninsei, la version de la semaine, plus clairsemée, de la foule du dimanche parcourait les mêmes pas de la danse. Des ondes sonores déferlaient des galeries et des salles de patchinko. Case jeta un œil au Tchat et vit Zone surveiller ses filles dans la pénombre chaude qui sentait la bière. Ratz était au bar.
— T’as vu Gage, Ratz ?
— Pas ce soir.
Ratz ne manqua pas de hausser un sourcil en voyant Molly.
— Tu le vois, tu lui dis que j’ai son fric.
— La chance tourne, l’artiste ?
— Trop tôt pour dire.
— Eh bien, faut que je voie ce mec, dit Case en contemplant son reflet dans ses verres. J’ai des affaires à annuler.
— Armitage ne va pas apprécier que je ne te garde pas à l’œil.
Elle se tenait devant la pendule molle de Deane, mains sur les hanches.
— Le mec ne va jamais me parler si tu es là. Deane, je m’en contrefous. Il sait se débrouiller tout seul. Mais j’ai des types qui vont y passer si je disparais de Chiba. C’est mes gars, tu piges ?
Sa bouche se durcit. Elle hocha la tête.
— J’ai des gars à Singapour, des contacts à Tokyo – à Shinjuku et Asakusa – et ils vont dé-grin-go-ler, tu comprends ? lui mentit-il, les mains posées sur les épaules de son blouson noir. Cinq minutes, cinq, pas plus. À ta montre. D’ac ?
— J’suis pas payée pour ça.
— Ce pour quoi t’es payée est une chose. Que je laisse crever mes amis proches sous prétexte que madame suit les ordres trop à la lettre en est un autre.
— Conneries. Amis proches, mon cul. T’es venu là pour nous régler notre compte, avec ton contrebandier.
Elle posa un pied botté sur la table basse Kandinsky couverte de poussière.
— Ah, Case, mon ami, il semblerait que ta compagne soit indubitablement armée, sans parler du fait qu’elle a une bonne quantité de silicone dans la tête… Mais c’est à quel sujet, au juste ?
Le toussotement spectral de Deane demeurait comme en suspension dans l’air entre eux.
— Attends voir, Julie. De toute façon, j’entre seul.
— T’as intérêt, fils. Je ne l’entendais pas autrement.
— D’accord, fit-elle. Vas-y. Mais cinq minutes. Une de plus, et j’entre refroidir définitivement ton ami proche. Et tant qu’on y est, tâche voir de deviner un truc…
— Lequel ?
— Pourquoi je te fais cette faveur.
Elle pivota et sortit, longeant les modules entassés de gingembre en poudre.
— Alors, on a des fréquentations plus bizarres que d’habitude, Case ? demanda Julie.
— Julie, elle est partie. Tu veux me laisser entrer ? Je t’en prie, Julie…
Les verrous cliquetèrent.
— Doucement, Case, dit la voix.
— Allume donc ton bidule, Julie, tout le truc est dans la console, dit Case en prenant place dans le fauteuil pivotant.
— Elle est allumée en permanence, fit Deane d’une voix douce ; il avait saisi un pistolet caché derrière les entrailles éventrées de sa vieille machine à écrire et visait soigneusement Case.
C’était un mastard, un Magnum au canon scié à ras. La garde de détente avait été entaillée et la crosse était entourée par ce qui ressemblait à du vieux ruban adhésif. Case trouva sa présence très bizarre entre les mains roses et manucurées de Deane.
— Simple précaution, comprends-tu. Rien de personnel. À présent, dis-moi ce que tu veux.
— J’ai besoin d’une leçon d’histoire, Julie. Et d’un topo sur quelqu’un.
— Qu’est-ce qui se passe, fils ?
Deane portait une chemise de coton à rayures, col dur et blanc, comme de la porcelaine.
— C’est moi qui passe, Julie. Je me barre. Je disparais. Mais rends-moi ce service, d’ac ?
— Un topo sur qui, fils ?
— Un gaijin du nom d’Armitage, il a une suite au Hilton.
Deane reposa le pistolet.
— Bouge pas, Case. (Il tapa quelque chose sur un clavier portatif.) On dirait que t’en sais presque autant que mon réseau, Case. Ce gentleman semble avoir passé un accord temporaire avec le Yakuza et les fils du chrysanthème de néon ont les moyens de protéger leurs alliés des curieux de mon genre. À leur place, je ferais pareil. Bon, l’histoire, à présent. Tu parlais d’histoire. (Il reprit son pistolet mais ne le braqua pas directement sur Case.) Quel genre d’histoire ?
— La guerre. T’as fait la guerre, Julie ?
— La guerre ? Pour en savoir quoi ? Elle a duré trois semaines.
— L’opération Poing hurlant.
— Célèbre. Ils t’enseignent donc pas l’histoire aujourd’hui ? Ça a fait un sacré putain de football politique, après-guerre, tiens. Z’ont tout watergaté de fond en comble… Votre galonné, Case, votre galonné de la Conurb, où qu’il était, McLean ? Planqué dans les blockhaus, tout ça… le gros scandale. Pendant qu’on dilapidait un bon paquet de jeune chair patriotique, histoire de tester une quelconque technologie nouvelle. Ils étaient au courant des défenses russes, devait-il apparaître plus tard. Au courant des EMPs, des armes à impulsion électromagnétique. Z’ont quand même envoyé ces petits gars, rien que pour voir. (Deane haussa les épaules.) Un coup dans l’eau pour Ivan.
— Il y en a qui s’en sont sortis ?
— Bon Dieu, ça remonte à un putain de bail… quoique, je crois bien que certains y soient parvenus. L’une des équipes. Se sont emparés d’un appareil russe. Un hélicoptère, tu vois. Z’ont regagné avec la Finlande. Ils avaient pas les codes d’entrée, bien entendu, alors, ils ont ratiboisé une bonne partie des défenses finnoises dans l’affaire. C’étaient des mecs des forces spéciales d’intervention. (Deane renifla.) Un putain de merdier.