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Suis le mur. Courbe de béton. Mains dans les poches. Continue de marcher. Longe des visages aveugles, tous les yeux levés vers l’image du vainqueur au-dessus du ring. Un bref instant, un visage européen couturé dansa dans la lueur d’une allumette, lèvres ourlées autour du tuyau court d’une pipe en métal. Odeur de haschich. Case continua de marcher, insensible.

— Case. (Ses miroirs émergèrent des ténèbres.) Tu te sens bien ?

Quelque chose vagit et gargouilla dans l’ombre derrière lui. Il hocha la tête.

— Le combat est fini, Case. Il est temps de rentrer.

Il essaya de la dépasser, de réintégrer les ténèbres, où quelque chose était en train de mourir. Elle l’immobilisa d’une main posée sur la poitrine.

— Des potes à ton ami proche. Ils t’ont tué ta nana. Tu leur as pas rendu un fier service, à tes amis du coin, pas vrai ? On a pu obtenir un profil partiel de ce salaud quand on t’a chopé, mec. Il serait prêt à frire n’importe qui pour une poignée de yens. L’autre, là-bas, a dit qu’ils lui sont tombés dessus lorsqu’elle a essayé d’escamoter ta RAM. Ça leur revenait moins cher de la liquider pour la lui piquer ensuite. Pas de petits profits… J’ai fait parler celui qui avait le laser. Pure coïncidence qu’on se soit trouvés ici, mais il fallait que je m’en assure.

Sa bouche était dure, les lèvres pressées en une ligne étroite.

Case avait l’impression d’avoir la cervelle brouillée.

— Qui ? demanda-t-il. Qui les a envoyés ?

Elle lui passa un sachet de gingembre en poudre marqué de sang. Il vit qu’elle en avait les mains gluantes. Derrière, dans l’ombre, quelqu’un émit un bruit humide et mourut.

Après la visite postopératoire à la clinique, Molly le conduisit au port. Armitage attendait. Il avait loué un hydroglisseur. La dernière image que Case eut de Chiba fut la vision des arêtes sombres des arcologies. Puis la brume se referma sur les eaux noires et les amas de détritus à la dérive.

DEUXIÈME PARTIE

L’EXPÉDITION DANS LES MAGASINS

3

Retour au bercail.

Le bercail : la Conurb, l’AMAB, l’Axe métropolitain Atlanta-Boston.

Programmez une carte pour représenter la fréquence des échanges de données, un seul pixel par millier de mégabytes sur un écran géant. Manhattan et Atlanta y brillent d’un blanc éblouissant. Puis elles se mettent à palpiter, au risque que le rythme du trafic surcharge votre simulation. Votre carte est en passe de se transformer en nova. On se calme. On diminue l’échelle. Un pixel par million de mégabytes. À cent millions de mégabytes par seconde, on commence à discerner certains pâtés de maisons dans le centre de Manhattan, les contours de zones industrielles vieilles d’un siècle cernant le noyau historique d’Atlanta…

Case s’éveilla d’un rêve d’aéroports, du cuir sombre de Molly qui glissait devant lui le long des coursives de Narita, Schiphol, Orly… Il se regarda acheter une fiasque de plastique de vodka danoise dans un kiosque quelconque, une heure avant l’aube.

Quelque part parmi les racines de ferro-béton de la Conurb, un train chassait une colonne d’air confiné à travers un tunnel. Le train lui-même était silencieux, glissant sur son coussin à induction mais le déplacement d’air faisait résonner le tunnel, des graves aux infrasons. La vibration atteignait la pièce où il reposait, soulevant la poussière des fissures du parquet desséché.

Ouvrant les yeux, il vit Molly, nue et juste hors de portée, sur une étendue de mousse rose toute neuve. Au-dessus, la lumière du soleil filtrait par une verrière maculée de suie. Un demi-mètre carré de verre avait été remplacé par une plaque d’agglo, un gros câble gris en émergeait pour venir pendre à quelques centimètres du sol. Il se mit sur le côté pour la regarder respirer, contempler ses seins, la courbe d’un flanc défini avec l’élégance fonctionnelle d’un fuselage d’avion de combat. Son corps était économe, net, les muscles pareils à ceux d’une danseuse.

La pièce était vaste. Il s’assit sur le lit. La pièce était vide, à l’exception de la vaste plaque rose du lit et de deux sacs de nylon, neufs et identiques, déposés à côté. Des murs nus, pas de fenêtres, une unique porte pare-feu en acier peinte en blanc. Les murs étaient recouverts d’innombrables couches de peinture latex blanche. Local industriel. Il connaissait ce genre de piaule, ce genre d’édifice ; leurs locataires opéraient dans cette zone transitoire où l’art n’était pas tout à fait un crime, le crime pas tout à fait un art.

Il était de retour au bercail.

Il pivota pour poser les pieds par terre. Le sol était fait de petits morceaux de bois – certains partis, d’autres décollés. Il avait la migraine. Lui revint le souvenir d’Amsterdam, d’une autre chambre, la vieille ville dans le centre, des bâtisses qui dataient de plusieurs siècles. Molly revenue des abords du canal, avec du jus d’orange et des œufs. Armitage parti pour quelque mystérieuse expédition, Molly et lui, marchant seuls sur la place du Dam en direction d’un bar qu’elle connaissait du côté du Damrak. Paris était un rêve flou. Les magasins. Elle l’avait emmené faire les magasins.

Il se leva, enfila la paire de jeans noirs, neufs mais froissés qui gisait à ses pieds et s’accroupit à côté des sacs. Le premier qu’il ouvrit était celui de Molly : vêtements pliés avec soin et petits gadgets d’aspect coûteux. Dans le second, s’entassaient les objets qu’il n’avait pas souvenir d’avoir achetés : bouquins, bandes, une console de simstim, des fringues aux étiquettes italiennes et françaises. Sous un t-shirt vert, il découvrit un paquet plat, dans un emballage cadeau en papier de soie recyclé, plié en origami.

Le papier se déchira lorsqu’il saisit le paquet ; en tomba une éblouissante étoile à neuf branches – qui vint se planter toute droite dans une fissure du plancher.

— Un souvenir, dit Molly. J’ai remarqué que t’arrêtais pas de les reluquer.

Il se tourna et la vit assise en tailleur sur le lit, en train, l’air somnolent, de se gratter le ventre du bout de ses ongles bordeaux.

— Quelqu’un passera plus tard renforcer la protection des lieux, annonça Armitage.

Il se tenait sur le seuil, une antique clé magnétique dans la main. Molly était en train de faire du café sur le minuscule bleuet qu’elle avait sorti de son sac.

— Je peux le faire, répondit-elle. J’ai déjà suffisamment de matos. Balayage infrarouge, alarme périmétrique…

— Non, fit-il en refermant la porte. Je veux du sérieux.

— À votre guise.

Elle portait un t-shirt en filet sombre, enfoncé dans une culotte bouffante de coton noir.

— Déjà échaudé, monsieur Armitage ? demanda Case depuis son coin, le dos appuyé au mur.

Armitage n’était pas plus grand que Case mais avec sa carrure et son port militaire, il donnait l’impression de remplir toute la porte. Il portait un costume italien sombre ; dans la main droite, une mallette de veau noir. La boucle d’oreille des Forces spéciales avait disparu. Les traits fins, inexpressifs, présentaient la beauté banale des boutiques de cosmétiques, amalgame discret de visages de célébrités médiatiques de la dernière décennie. L’éclat pâle de ses yeux renforçait l’effet de masque. Case regrettait déjà sa question.

— Je veux dire… il y a quantité de types des Forces qui finissent flics. Ou vigiles, ajouta Case, mal à l’aise. (Molly lui tendit une tasse de café fumant.) Ce numéro que vous leur avez fait exécuter sur mon pancréas, ça sent la méthode flicarde.