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Le rapport s’achevait ici.

Case se retourna sur la mousse et Molly le maudit à voix basse de l’avoir dérangée.

Le téléphone sonna. Il le tira vers le lit.

— Ouais ?

— On part pour Istanbul, dit Armitage. Ce soir.

— Qu’est-ce qu’il veut encore, l’autre salaud ? demanda Molly.

— Dit qu’on part pour Istanbul ce soir.

— C’est tout bonnement merveilleux.

Armitage débitait numéros de vol et heures de départ. Molly s’assit sur le lit et alluma.

— Et mon matos ? demanda Case. Ma console ?

— Le Finnois s’en occupe, dit Armitage, et il raccrocha.

Case la regarda faire les bagages. Elle avait des cernes sombres sous les yeux mais même avec son plâtre, c’était comme de regarder un ballet. Pas un geste inutile. Alors que ses vêtements à lui s’entassaient en pile chiffonnée à côté de son sac.

— T’as mal ? demanda-t-il.

— J’passerais volontiers encore une soirée chez Menton.

— Ton dentiste ?

— Je veux. Super-discret. La moitié de son rack est transformée en clinique. Il remet en état des samouraïs. (Elle zippait son sac.) Déjà allé à Istanbul ?

— Deux jours, une fois.

— Rien n’a changé, dit-elle. Toujours le même sale vieux trou.

— C’était déjà pareil quand on est partis pour Chiba, dit Molly, contemplant par la vitre du train le paysage lunaire de zones industrielles ravagées, avec à l’horizon les balises rouges pour prévenir le survol aérien d’une centrale à fusion. On était à L.A. Il s’est pointé en disant : remballe, et on était en route pour Macao. Une fois là-bas, j’ai joué l’entraîneuse au Lisboa tandis qu’il traversait la baie pour se rendre à Zhongshan. Le lendemain, je jouais les fantômes avec toi dans la Cité de la nuit.

Elle sortit un mouchoir de batiste de la manche de son blouson noir et polit ses incrustations. Le paysage du nord de la Conurb éveillait dans la mémoire de Case des souvenirs d’enfance confus, touffes d’herbe morte dans les fissures des plaques de béton d’une chaussée d’autoroute.

Le train se mit à décélérer à dix kilomètres de l’aéroport. Case regarda le soleil se lever sur le paysage de son enfance, sur les terrils abandonnés et les coques rouillées des raffineries.

7

Il pleuvait à Beyoglu et la Mercedes de location glissait devant les rideaux de fer tirés et les vitrines éteintes de joailliers arméniens et grecs circonspects. La rue était presque vide ; sur les trottoirs, quelques rares silhouettes vêtues de sombre se retournaient pour lorgner la limousine au passage.

— Ceci constituait naguère le secteur européen prospère du quartier ottoman d’Istanbul, ronronna la Mercedes.

— Manifestement, il est sur le déclin, remarqua Case.

— Le Hilton est situé à Cumhuriyet Caddesi, dit Molly qui se radossa contre l’ultra-velours gris des sièges.

— Comment se fait-il qu’Armitage vole seul ? demanda Case qui avait la migraine.

— Parce qu’il t’a dans le nez. Et avec moi, ça va pas tarder.

Il avait envie de lui raconter l’histoire de Corto mais jugea préférable de s’en abstenir. Dans l’avion, il avait fait usage d’un derme somnifère.

La route depuis l’aéroport avait été toute droite, comme une impeccable incision fendant la ville en deux. Il avait regardé défiler l’ahurissant patchwork de baraques en bois, de lotissements, d’appartements, d’arcologies, de projets immobiliers sinistres, avec encore et toujours ces taudis en plaques de contre-plaqué et de tôle ondulée.

Le Finnois, costume de shinjuku neuf, noir sarariman, les attendait, l’air maussade, dans le hall du Hilton, largué dans un fauteuil de velours sur une mer de moquette bleu pâle.

— Seigneur, dit Molly. Un rat déguisé en homme d’affaires.

Ils traversèrent le hall.

— Combien t’a-t-on payé pour venir ici, le Finnois ? (Elle déposa son sac près du fauteuil.) Pas assez, je parie, pour avoir à porter ce costume, hein ?

Le Finnois retroussa la lèvre supérieure.

— Pas assez, tendre morceau. (Il lui tendit une clé magnétique munie d’une étiquette jaune ronde.) Z’êtes déjà inscrits. Le Honcho est en haut. (Coup d’œil circulaire.) Ce bled est totalement puant.

— Toi, tu fais de l’agoraphobie, dès qu’on te sort de sous un dôme. J’sais pas, moi, fais comme si c’était Brooklyn. (Elle fit tourner la clé autour d’un doigt.) T’es ici pour jouer les valets de chambre, ou quoi ?

— Faut que je contrôle l’implant d’un mec, dit le Finnois.

— Et ma console ? demanda Case.

Grimace du Finnois.

— Observe le protocole. Demande au patron.

Les doigts de Molly glissèrent dans l’ombre de son blouson, frémissement d’un signal. Le Finnois regarda, acquiesça.

— Ouais, fit-elle. Je sais qui c’était. (De la tête, elle indiqua les ascenseurs.) Allez, viens, cow-boy.

Case la suivit avec les deux sacs.

Leur chambre aurait pu être celle de Chiba où il avait fait la connaissance d’Armitage. Il gagna la fenêtre, au matin, s’attendant presque à découvrir la baie de Tokyo. Il y avait un autre hôtel en face. Il pleuvait toujours. Quelques écrivains publics avaient trouvé refuge dans les embrasures de porte, leur antique imprimante vocale protégée sous une feuille de plastique transparente, preuve évidente que la parole écrite jouissait encore ici d’un certain prestige. C’était un pays stagnant. Il vit une berline Citroën d’un noir terne, un antique modèle à piles à combustible, dégorger en bas de l’immeuble cinq officiers maussades en uniforme vert froissé. Ils pénétrèrent dans l’hôtel de l’autre côté de la rue.

Il se retourna pour regarder Molly étendue sur le lit et sa pâleur le frappa. Elle avait laissé le plâtre en micropore sur la plaque de mousse de leur loft, près de l’inducteur transdermique. Ses verres reflétaient une partie des éclairages de la chambre.

Il avait le téléphone dans la main avant qu’il ait pu sonner une deuxième fois.

— Ravi que vous soyez levé, dit la voix d’Armitage.

— À l’instant. Madame est encore dans les toiles. Écoutez, patron, je crois qu’il serait peut-être temps qu’on ait une petite conversation. Je crois que je bosse mieux quand je suis un peu plus au courant de ce que je fais.

Silence au bout du fil. Case se mordit la lèvre.

— Vous en savez autant qu’il vous est nécessaire. Plus, même.

— Vous croyez ?

— Habillez-vous, Case. Faites-la lever. Vous aurez un client d’ici un quart d’heure. Il s’appelle Terzibachjian.

Le téléphone chevrota doucement. Armitage avait raccroché.

— Debout, bébé. Au boulot.

— Ça fait une heure que je suis réveillée.

Les miroirs se tournèrent.

— Paraît qu’on a un persil pas chiant qui se pointe.

— T’as vraiment le don des langues, Case. Toi, j’parie que t’es moitié arménien… En fait, c’est l’œil qu’avait mis Armitage sur Riviera. Aide-moi donc à me lever.

Terzibachjian se révéla être un jeune homme en costume gris et verres-miroir cerclés d’or. Sa chemise blanche avait le col ouvert, révélant une toison de poils bruns si dense que Case la prit tout d’abord pour une espèce de t-shirt. Il arriva, porteur d’un plateau noir du Hilton sur lequel étaient disposées trois minuscules tasses emplies d’un odorant café noir et trois pâtisseries orientales gluantes, couleur paille.