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— Bien, dit Armitage, glissant, jambes ballantes, à travers l’écoutille et contemplant d’un air appréciateur le dédale de toiles.

Riviera le suivit, moins assuré dans la gravité partielle.

— Où vous étiez, vous, quand on avait besoin de vous ? demanda Case à Riviera.

L’homme ouvrit la bouche pour parler. Une petite truite en sortit, suivie d’un improbable sillage de bulles. Elle glissa le long de la joue de Case.

— Aux chiottes, dit Riviera et il sourit.

Case rigola.

— À la bonne heure, dit Riviera. Vous pouvez rire. Je vous aurais aidé volontiers mais je ne suis pas adroit de mes mains.

Il les éleva, paumes ouvertes et soudain elles doublèrent. Quatre bras, quatre mains.

— Toujours le clown innocent, Riviera, c’est ça ? s’interposa Molly.

— Toué, dit Aérol depuis l’écoutille. T’veux bien venir avec, cow-boy, man ?

— C’est votre console, dit Armitage, et le matos de l’autre. Aidez-le à décharger ça de la soute.

— T’m’as l’air bien pâle, man, fit Aérol comme ils guidaient le Hosaka bien empaqueté de mousse le long du corridor central. T’veux p’t-êt’manger que’qu’chose.

Case sentit sa bouche s’inonder de salive ; il hocha la tête. Armitage annonça un séjour de huit heures à Sion. Molly et Case s’entraîneraient en gravité zéro, disait-il, et s’acclimateraient à y travailler. Il allait les briefer sur Zonelibre et la Villa Lumierrante. La mission de Riviera demeurait mal définie mais Case ne se sentait pas d’humeur à poser des questions. Quelques heures après leur arrivée, Armitage l’avait expédié dans le dédale jaune pour le charger d’inviter Riviera à dîner. Il avait retrouvé ce dernier blotti comme un chat sur une mince plaque de mousse, nu, apparemment endormi, avec en orbite autour du crâne une auréole en rotation de petites formes géométriques blanches, cubes, sphères et pyramides.

— Eh, Riviera.

L’anneau tournait toujours. Case était revenu le dire à Armitage.

— Il est défoncé, déclara Molly, quittant des yeux son flécheur en pièces détachées. Laisse courir.

Armitage semblait estimer que la gravité zéro affecterait la capacité de Case à opérer dans la matrice.

— Pas de lézard, protesta ce dernier. Je me branche et je ne suis plus là. C’est pareil.

— Votre taux d’adrénaline est plus élevé, remarqua Armitage. Vous êtes encore en SAS. Vous n’aurez pas assez de temps pour que ça passe. Vous allez devoir apprendre à travailler avec.

— Alors, je lance donc ma passe d’ici ?

— Non. Juste un entraînement, Case. Maintenant. Prenez le corridor…

Le cyberspace, tel que le représentait la console, n’avait pas de relation particulière avec l’environnement physique dans lequel celle-ci se trouvait. Lorsque Case se brancha, ses yeux en s’ouvrant retrouvèrent la configuration familière de la pyramide de données de l’Électronucléaire de la Côte Est.

— Comment va, Dixie ?

— Je suis mort, Case. J’ai passé assez de temps sur cet Hosaka pour en déduire au moins ça.

— Quel effet ça fait ?

— Aucun.

— Ça t’embête ?

— Ce qui m’embête, c’est que rien m’embête.

— Comment ça ?

— J’ai eu un pote en camp chez les Russes, en Sibérie, il avait eu le pouce gelé. Les toubibs se pointent et l’amputent. Un mois après, v’là qu’y se démène toute la nuit. Elroy, que je lui dis, qu’est-ce qui te bouffe ? Ce putain de pouce qui me démange, qu’y me dit. Alors j’l’ui dis, gratte-le. McCoy, qu’y me fait, c’est l’autre putain de pouce. (Quand le construct se mit à rire, cela sortit comme autre chose, non pas un rire, mais un aiguillon de glace qui dévala le long de l’échine de Case.) Rends-moi un service, gamin.

— Lequel, Dixie ?

— Tes magouilles, là, dès qu’c’est fini, tu m’effaces tout ça.

Case ne comprenait rien aux Sionites.

Aérol, sans provocation particulière, narra l’histoire du bébé qui avait jailli de son front pour partir gambader dans une plantation de ganja hydroponique.

— Tout ch’tit bébé, man, pas plus long qu’ton doigt.

Il frotta de la paume son grand front brun parfaitement lisse et sourit.

— C’est la ganja, commenta Molly quand Case lui rapporta le récit. Ils ne font guère de différence entre les divers états, tu comprends. Aérol te dit que c’est arrivé, bon, eh bien ça lui est arrivé, à lui. C’est pas des craques, plutôt de la poésie. Tu saisis ?

Case opina, dubitatif. Les Sionites vous touchaient toujours quand ils vous parlaient, les mains posées sur votre épaule. Il n’aimait pas ça.

— Eh, Aérol, lança Case, une heure plus tard, comme il s’apprêtait à une passe d’entraînement dans le corridor en chute libre. Viens donc ici, mec. J’voudrais te montrer ce truc.

Il lui tendit les trodes.

Aérol exécuta une pirouette au ralenti. Ses pieds nus se plaquèrent contre la paroi d’acier et d’une main libre il saisit une poutrelle. L’autre tenait une outre transparente gonflée d’algues bleu-vert. Il cligna doucement de l’œil, tout sourire.

— Essaie un coup, dit Case.

Il prit le bandeau, le passa et Case ajusta les trodes. Il ferma les yeux. Case pressa l’interrupteur. Aérol frémit. Case le redébrancha.

— Qu’est-ce que t’as vu, mec ?

— Babylone, dit Aérol, tristement, lui restituant les trodes avant de se propulser d’un coup de pied vers le bout du corridor.

Riviera était assis, immobile, sur sa plaque de mousse, le bras droit raide étendu, au niveau de l’épaule. Un serpent aux écailles de joyaux, les yeux comme des néons de rubis, avait enroulé ses anneaux serrés à quelques millimètres derrière son coude. Case regarda le serpent, épais comme le doigt et rayé de noir et d’écarlate, se contracter avec lenteur, resserrant son étreinte autour du bras de Riviera.

— Allez, viens, dit l’homme en caressant le pâle scorpion cireux dressé au centre de sa paume retournée. Viens.

Le scorpion fit danser ses pinces brunâtres et lui détala le long du bras, les pattes suivant le sombre itinéraire des veines. Parvenu au creux du coude, il s’arrêta et parut se mettre à vibrer. Riviera poussa un léger sifflement. L’aiguillon se dressa, frémit, et s’enfonça dans la peau juste au-dessus d’une veine saillante. Le serpent de corail relâcha son étreinte et Riviera poussa un lent soupir quand l’injection fit son effet. Puis serpent et scorpion disparurent et il se retrouva, une seringue de plastique blanc laiteux dans la main gauche.

— « Si Dieu a créé quelque chose de mieux, il se l’est gardé pour lui. » Vous connaissez l’expression, Case ?

— Ouais, dit Case. Je l’ai entendue appliquée à quantité de choses différentes. Vous faites toujours le même petit cinéma ?

Riviera desserra l’élastique du garrot chirurgical et le retira de son bras.

— Oui. C’est plus marrant. (Il sourit, le regard désormais lointain, le rouge aux joues.) J’ai fait poser une membrane, juste au-dessus de la veine, comme ça je n’ai plus à me soucier de l’état de propreté de l’aiguille.

— Ça fait mal ?