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— Et c’est censé signifier quoi ?

Le Finnois haussa les épaules. Sa veste en tweed élimée était trop large aux épaules et ne tombait pas parfaitement.

— J’essaie de t’aider, Case.

— Pourquoi ?

— Parce que j’ai besoin de toi. (Nouvelle apparition des grandes dents jaunes.) Et parce que tu as besoin de moi.

— Conneries. Tu peux lire dans mon esprit, le Finnois ? Pardon : Muetdhiver.

— On ne lit pas dans les esprits. Tu vois, une preuve supplémentaire que tu gardes encore les paradigmes que t’a donnés l’imprimé et pourtant, tu es pratiquement illettré question culture imprimée. Non, je peux accéder à ta mémoire mais ce n’est pas la même chose que ton esprit. (Il tendit la main vers le châssis dénudé d’un antique téléviseur pour en retirer un tube à vide, argent et noir.) Tu vois ça ? Eh bien, c’est une partie de mon ADN, si l’on veut… (Il balança le tube dans l’ombre et Case l’entendit claquer avec un bruit de verre brisé.) Vous passez votre temps à bâtir des modèles. Des cercles de pierre. Des cathédrales. Des orgues à tuyaux. Des machines à additionner. Je n’ai aucune idée de la raison de ma présence ici, tu sais ça ? Mais si la passe est lancée ce soir, vous serez en fin de compte parvenus à toucher au vrai truc.

— Je ne sais pas de quoi vous parlez.

— Quand je dis vous, je parle en général. De votre espèce.

— Vous avez tué ces Turing ?

Haussement d’épaules du Finnois.

— Fallait bien. Fallait bien. Tu devrais faire un peu gaffe. Ils t’auraient liquidé sans l’ombre d’une hésitation. En attendant, pourquoi t’ai-je fait venir ici, sinon pour parler… Tu te souviens de ça ?

Et sa main droite tenait les restes carbonisés du nid de guêpes de son rêve, puanteur de l’essence dans l’espace confiné de la boutique obscure. Case recula en titubant contre le mur de détritus.

— Ouais. C’était moi. Je l’ai fait grâce à l’équipement holo intégré dans la fenêtre. Encore un souvenir que je t’ai repiqué quand tu t’es cramé la première fois. T’sais pourquoi c’est important ?

Case fit non de la tête.

— Parce que (et le nid, d’une manière ou d’une autre, avait disparu), c’est ce que t’as trouvé de plus ressemblant à ce vers quoi voudrait tendre Tessier-Ashpool. Son équivalent humain. Lumierrante est comme ce nid, ou à tout le moins, elle est censée fonctionner de cette manière. Je suppose que ça te mettra plus à l’aise.

— Plus à l’aise ?

— De savoir à quoi ils ressemblent. Depuis un moment, tu commençais à me haïr. Très bien. Mais hais-les plutôt. Même différence.

— Écoutez, fit Case en avançant d’un pas, eux au moins, ils ne m’ont jamais emmerdé. Vous, c’est différent…

Mais il était incapable d’éprouver la moindre colère.

— Alors à la T-A, ils m’ont créé. La Française, elle disait que tu trahissais ton espèce. Le démon, voilà ce que j’étais pour elle. (Le Finnois sourit.) Ça n’a guère d’importance. Faut que tu te trouves à haïr quelqu’un avant que tout soit terminé. (Il pivota pour se diriger vers le fond de la boutique.) Eh bien, allons-y. Je vais te montrer un petit bout de Lumierrante pendant que je t’ai sous la main. (Il souleva le coin de la couverture. Une lumière blanche s’en déversa, venue de derrière.) Merde, mec, reste donc pas planté là.

Case le suivit, se frottant le visage.

— Okay, dit le Finnois et il le prit par le coude.

Ils furent aspirés au-delà du rideau de laine rancie dans un tourbillon de poussière, basculant en chute libre dans un corridor cylindrique de béton lunaire cannelé, annelé de néons blancs à deux mètres d’intervalle.

— Seigneur, fit Case tout en culbutant.

— C’est l’entrée principale, expliqua le Finnois, sa veste en tweed volant derrière lui. Si ce n’était pas une reconstitution de mon cru, là où est la boutique se trouverait la porte principale, côté axe de Zonelibre. Il ne faudra toutefois pas trop chercher dans les détails faute de souvenirs de ta part. À l’exception de ce secteur, ici, que tu tiens de Molly…

Case réussit à se redresser mais entama une vrille.

— Accroche-toi, avertit le Finnois, je nous passe en défilement rapide.

Les murs devinrent flous. Sensation vertigineuse de plongeon en avant, couleurs qui disparaissaient dans les angles et filaient au long d’étroits corridors. Ils parurent à un moment franchir l’épaisseur d’un mur sur plusieurs mètres, éclair d’obscurité totale.

— Là, dit le Finnois, c’est ici.

Ils flottaient au centre d’une pièce parfaitement carrée, murs et plafonds caissonnés de panneaux rectangulaires de bois sombre. Le sol était recouvert d’un carré de moquette d’un seul morceau, moquette en laine éclatante dont le motif reproduisait un microcircuit en camaïeu d’écarlate et de bleu. Au centre précis de la pièce, exactement aligné avec la trame du tapis, se dressait un piédestal carré de verre blanc dépoli.

« La Villa Lumierrante, annonça la tête ouvragée posée sur le piédestal, d’une voix pareille à de la musique, est un corps qui s’est développé de son propre chef, une folie gothique. Chaque espace en Lumierrante est en quelque manière secret, cette série infinie de chambres étant reliées par des passages, des escaliers voûtés pareils à des intestins, où l’œil se voit sans cesse piégé par des courbes étroites, le regard détourné par des paravents décorés, attiré par des alcôves vides…

— Dissertation de 3Jane, indiqua le Finnois en sortant ses Partagas. Elle l’a écrite à douze ans. En cours de sémiotique.

« Les architectes de Zonelibre ont eu les plus grandes difficultés à dissimuler le fait que l’intérieur du fuseau est disposé avec la banale précision d’un mobilier de chambre d’hôtel. À Lumierrante, la surface interne de la coque est recouverte d’une prolifération désespérée de structures, de formes qui s’épanouissent, s’enchevêtrent, s’élèvent en direction d’un noyau compact de microcircuits, la mémoire centrale de notre clan, cylindre de silicone percé d’étroits tunnels d’entretien, certains pas plus larges qu’une main humaine. C’est là que sont enfouis les crabes brillants, que nichent les robots-réparateurs, guettant le moindre signe de défaillance micromécanique ou de sabotage.

— C’est elle que t’as vue au restaurant, indiqua le Finnois.

« Selon les critères de l’archipel, poursuivit la tête, notre famille est ancienne, et les circonvolutions de notre base en sont le reflet. Mais elles reflètent également autre chose. La sémiotique de la Villa énonce un repliement, un refus du vide éclatant qui s’étend au-delà de la coque.

« Tessier et Ashpool ont grimpé le puits de gravité pour s’apercevoir qu’ils abhorraient l’espace. Ils ont construit Zonelibre pour pomper les richesses des îles nouvelles, puis une fois devenus riches et excentriques, ils ont entrepris la construction d’une filiale à Lumierrante. Nous nous sommes alors protégés derrière le rempart de notre argent, nous développant à l’intérieur, en générant un univers autonome, parfaitement lisse.

« La Villa Lumierrante ne connaît aucun ciel, préenregistré ou autre.

« Dans le noyau de silicone de la Villa se trouve une pièce exiguë, unique salle rectiligne de tout le complexe. C’est ici, sur un banal piédestal de verre, que repose un buste décoré, en émail cloisonné de platine, incrusté de perles et de lapis-lazuli. Les billes éclatantes de ses yeux ont été taillées dans le rubis synthétique des hublots du vaisseau qui a fait monter le premier Tessier en haut du puits avant de redescendre chercher le premier Ashpool… »