— Man, dit Maelcum d’une voix tranquille, monte voir ici, près de moi.
Case se faufila de côté sur l’échelle circulaire et grimpa les derniers barreaux. La passerelle débouchait sur une écoutille à la surface lisse et légèrement convexe, de deux mètres de diamètre. Les bras hydrauliques du tube disparaissaient à l’intérieur de logements flexibles intégrés dans l’encadrement de la porte du sas.
— Bon, alors qu’est-ce qu’on…
L’ouverture de l’écoutille lui ferma la bouche, la légère différence de pression lui projetant un flot de fines poussières dans les yeux.
Maelcum escalada le rebord en hâte et Case entendit le minuscule cliquetis du cran de sûreté de la Remington qu’on relevait.
— C’est toi, l’man pressé… chuchota Maelcum, déjà accroupi.
Bientôt, Case fut à ses côtés. L’écoutille était centrée sur une chambre circulaire, voûtée, revêtue d’un carrelage de plastique bleu antidérapant. Maelcum lui donna une bourrade, pointa le doigt et Case découvrit un moniteur de contrôle encastré dans la paroi incurvée. Sur l’écran, un grand jeune homme en costume de la Tessier-Ashpool était en train d’épousseter quelque chose sur les manches de sa combinaison sombre. Il se tenait à côté d’une écoutille identique, dans une chambre semblable.
— Vous nous voyez absolument désolés, monsieur, dit une voix sortant de la grille centrée au-dessus de l’ouverture.
Case leva les yeux.
— Nous vous attendions plus tard, au dock axial. Un instant, s’il vous plaît…
Sur l’écran, le jeune homme hocha la tête avec impatience.
Maelcum pivota, l’arme prête, tandis que s’ouvrait une porte sur leur gauche. Un petit Eurasien en survêtement orange pénétra dans le sas et les considéra, les yeux écarquillés. Il ouvrit la bouche mais pas un son n’en sortit. Il la referma. Case jeta un œil sur le moniteur. Écran vide.
— Qui… ? parvint à dire l’homme.
— La marine rastafari, répondit Case en se redressant, la console de cyberspace lui battant la hanche, et tout ce qu’on veut, c’est de quoi nous brancher sur votre système de surveillance.
L’homme déglutit.
— C’est un test ? C’est ça ! une mise à l’épreuve. Ce doit être une mise à l’épreuve.
Il s’essuya les paumes aux cuisses de son survêtement orange.
— Non, man, c’est pour de bon. (Et Maelcum apparut, se relevant en braquant le canon de la Remington sur le visage de l’Eurasien.) Allez, tu dégages.
Ils franchirent la porte à sa suite, pénétrant dans un corridor dont les parois de béton lissé et le sol irrégulier recouvert de bouts de tapis superposés étaient parfaitement familiers à Case.
— Jolies carpettes, observa Maelcum en lui enfonçant le canon dans le dos. Ça sent comme à l’église.
Ils arrivèrent devant un autre moniteur, un antique Sony, celui-ci monté au-dessus d’une console munie d’un clavier, lui-même surmonté d’une batterie de panneaux de connexion complexes bourrés de prises. Lorsqu’ils s’arrêtèrent, l’écran s’illumina, montrant le Finnois qui leur souriait, crispé, depuis ce qui ressemblait à l’antichambre de la Métro Holografix.
— Okay, dit-il, Maelcum emmène ce mec au bout du couloir jusqu’à la porte du vestiaire qui est ouverte, il le fourre dedans, je reverrouille la porte… Case, tu prends la cinquième prise à partir de la gauche, panneau supérieur. Il y a des adaptateurs dans le placard sous la console. Il te faut un raccord Ono-Sendaï vingt-Hitachi quarante.
Pendant que Maelcum faisait avancer son prisonnier, Case s’agenouilla et fouilla dans l’assortiment de connecteurs et de prises jusqu’à ce qu’il ait découvert le modèle qu’il voulait. Une fois sa console raccordée à l’adaptateur, il marqua une pause.
— Tu te crois absolument obligé de prendre cette tête, mec ? demanda-t-il au visage sur l’écran.
Le Finnois s’effaça, ligne par ligne, pour être remplacé par l’image de Lonny Zone sur fond d’affiches japonaises déchirées.
— Tout c’que tu veux, mon chou, fit Zone d’une voix traînante, tu viens en causer à Lonny…
— Non, dit Case, remets-moi le Finnois.
Tandis que disparaissait l’image de Zone, il enficha l’adaptateur Hitachi dans sa douille et se disposa les trodes sur le front.
— Qu’est-ce qui t’a retenu ? demanda le Trait-plat, et il rigola.
— T’ai d’jà dit de plus faire ça, grinça Case.
— C’t’une blague, gamin, dit le construct, pour moi, le décalage temporel égale zéro. Bon, voyons voir c’que nous avons là…
Le programme Kuang était vert, exactement de la teinte de la glace T-A. Case le vit devenir de plus en plus opaque, même s’il pouvait toujours distinguer nettement l’espèce de requin-miroir noir lorsqu’il levait les yeux. Les lignes de fracture et les hallucinations avaient maintenant disparu, et la chose semblait aussi concrète que le Marcus Garvey, un antique jet dépourvu d’ailes, avec une peau lisse plaquée de chrome noir.
— Pile dessus, dit le Trait-plat.
— Exact, dit Case, et il cliqua.
— … comme ça. Je suis désolé, était en train de dire à Molly 3Jane tout en lui bandant la tête. Notre unité n’indique aucun traumatisme, aucun dommage permanent à l’œil. Vous ne le connaissiez pas très bien, avant votre entrée ici ?
— Je ne le connaissais pas du tout, dit Molly, l’air sombre.
Elle était allongée sur un lit élevé, à moins que ce ne fût une table rembourrée. Case était incapable de sentir la jambe blessée. L’effet synesthésique de l’injection originelle semblait s’être dissipé. La boule noire avait disparu mais la jeune femme avait les mains immobilisées par des courroies souples qu’elle ne pouvait voir.
— Il veut vous tuer…
— Apparemment, dit Molly, fixant le plafond brut au-delà d’une lumière absolument éblouissante.
— Je ne crois pas que j’aie envie de le laisser faire, dit 3Jane, et Molly tourna douloureusement la tête pour fixer ses yeux sombres.
— Ne jouez pas avec moi, dit-elle.
— Mais je crois, moi, que je pourrais aimer ça, dit 3Jane, et elle s’inclina pour lui baiser le front, écartant les cheveux bruns d’une main tiède.
Il y avait des taches de sang sur sa djellaba pâle.
— Où est-il reparti, à présent ? demanda Molly.
— Se faire une autre injection, sans doute, dit 3Jane en se redressant. Il guettait votre arrivée avec la plus grande impatience. Je trouve que ça pourrait être drôle de vous materner, le temps que vous soyez remise sur pied, Molly. (Elle sourit, essuyant distraitement une main ensanglantée sur le devant de sa robe.) Votre fracture à la jambe aura besoin d’être réduite mais nous pouvons arranger ça…
— Et Peter là-dedans ?
— Peter ? (Elle hocha doucement la tête. Une mèche de cheveux bruns se défit, lui tomba en travers du front.) Peter est devenu plutôt ennuyeux. Je trouve plus généralement l’usage de toutes drogues ennuyeux. (Elle gloussa.) Chez les autres, en tout cas. Mon père en était un usager plus qu’abusif, comme vous avez dû le constater.
Molly se raidit.
— Inutile de vous alarmer. (Les doigts de 3Jane effleurèrent la peau au-dessus de la ceinture du jean en cuir.) Son suicide était le résultat d’une manipulation, par mes soins, des marges de sécurité de sa congélation. Je ne l’ai jamais rencontré en personne, vous savez. Je suis sortie d’éprouvette après son dernier endormissement. Mais je le connaissais fort bien. Les mémoires de masse savent tout. Je l’ai vu tuer ma mère. Je vous montrerai ça, quand vous irez mieux. Il l’a étranglée dans son lit.