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C’était la première fois qu’elle en voyait une en dehors des films, mais elle n’eut pas le moindre doute sur ce qu’elle voyait. Le cinéma et la télévision nous ont habitués à un monde que la majorité d’entre nous ne connaît pas : celui de la violence, des armes à feu et du sang versé.

— Qu’est-ce que… ? eut à peine le temps de dire le visage brûlé en sentant le poids d’un autre corps sur son dos.

L’instant d’après, l’univers entier bascula : une flamme jaillit entre le canon de l’arme et la cagoule et — BANG ! — une seule détonation, énorme, assourdissante, qui fit vaciller la nuit. Elle perçut la pression sur ses tympans, qui se mirent aussitôt à siffler. Le cou de son agresseur parut se briser, basculant sur le côté, comme celui d’une poule morte, et le sombre nuage de particules — sang, os, cervelle — jaillit à l’opposé de la capuche, semblable à un geyser noir, avant que le corps tout entier ne verse dans la neige, raide mort, la libérant de son poids. Cette fois, elle crut bien hurler, encore que, a posteriori, elle ne serait plus aussi sûre si son cri était sorti de sa gorge ou non. Ses tympans bourdonnaient comme si elle avait un essaim dans chaque oreille. Dans les aigus. L’ombre s’était déjà relevée, l’arme fumante à bout de bras.

Elle crut l’espace d’une seconde que l’ombre qui la toisait allait la tuer elle aussi. Au lieu de cela, elle disparut comme elle était venue.

Alors, cette fois, elle en était sûre : elle hurla.

L’énorme détonation et ses hurlements hystériques réveillèrent tout le refuge. Les uns après les autres, les occupants se redressèrent sur leurs couchettes, attrapèrent leurs anoraks et se précipitèrent dehors. D’abord, ils l’appelèrent et — comme elle ne répondait pas — ils firent le tour du refuge.

— Putain ! s’exclama le jeune guide qui fut le premier à les découvrir, elle, en pyjama, et le cadavre, et il fit un pas en arrière.

La neige buvait le sang, si bien que la flaque qui s’était formée sous le crâne du violeur n’était pas si étendue que cela : au contraire, la cervelle et le sang chauds avaient creusé une petite cuvette, un entonnoir presque vertical dans la neige fraîche.

Emmanuelle était parcourue de tremblements violents à cause du choc comme du froid ; la bouche grande ouverte, elle émettait à la fois des sanglots et des hoquets. On aurait dit qu’elle se noyait et cherchait de l’air. Le guide s’agenouilla auprès d’elle et la prit aux épaules.

— C’est fini, dit-il. C’est fini.

Mais qu’est-ce qui était fini ? Il n’avait pas la moindre idée de ce qui s’était passé, putain. De toute évidence, quelqu’un avait explosé le crâne de ce type. Il attira Emmanuelle à lui et la serra pour la rassurer et la réchauffer.

— C’est toi ? demanda-t-il doucement. C’est toi qui as fait… ça ? Qui as tiré ?

Elle secoua vigoureusement la tête en signe de dénégation, sans cesser de hoqueter et de sangloter contre lui, incapable d’articuler un mot. Les autres les entouraient à présent. Ils regardaient tour à tour le cadavre et Emmanuelle, et aussi les bois, avec des yeux d’animaux apeurés.

— Il ne faut toucher à rien, dit soudain Beltran. Et il faut appeler la police.

Il sortit son portable, regarda l’écran.

— Merde, j’ai pas de réseau. Ça passe pas.

— Utilise le téléphone de secours dans le refuge, lui répondit le jeune guide, toujours à genoux, en levant la tête vers lui — puis il reporta son attention sur Emmanuelle.

— Tu peux te lever ?

Il l’aida à se redresser, la soutint, car les jambes d’Emmanuelle tressautaient et menaçaient de se dérober sous elle. Ils contournèrent soigneusement le cadavre, l’angle du mur, et il la ramena à l’intérieur, où les deux autres s’étaient déjà réfugiés.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda la brune, avec le plus de douceur possible dans la voix.

— Tu… Tu avais… raison : il y avait bien… quelqu’un.

Les dents d’Emmanuelle claquaient bruyamment.

— Oui. Il est là-dehors, dit le jeune guide en frémissant. Et en plus, il est armé.

20.

Gold Dot

Les premières lueurs du jour teintaient de rose le ciel entre les sommets des montagnes et les nuages quand les TIC[7] de la gendarmerie nationale apparurent enfin, en même temps que les gens de la Section de recherche. Le capitaine Saint-Germès ne fut pas mécontent de voir les phares clignoter entre les arbres : il avait effectué les premières constatations, isolé le périmètre avec son équipe avec la peur au ventre. Celle de foirer. Ce n’était pas tous les jours que la brigade de gendarmerie de Saint-Martin-de-Comminges se voyait confier une mission de cette nature.

L’air matinal était froid et vif, il piquait les joues et embaumait les sapins. Le ciel s’éclaircissait rapidement à présent, et chaque détail des montagnes sortait de l’ombre. Il regarda le cortège approcher en cahotant sur la neige. Cinq véhicules, dont un fourgon au toit surélevé dans lequel il reconnut le laboratoire ambulant de la Section de recherche de Pau. Saint-Germès n’avait encore jamais vu un débarquement pareil. Comme tout le monde ici, il avait entendu parler des événements de l’hiver 2008–2009 — ils faisaient partie de la légende locale, et les anciens aimaient à les évoquer, surtout à l’approche de l’hiver — mais, à l’époque, il n’était pas encore en poste. C’était son prédécesseur, le capitaine Maillard, qui avait géré toute l’affaire avec la SR de Pau et le SRPJ de Toulouse. Maillard avait été muté, comme bon nombre des gendarmes présents à l’époque. Depuis, c’était la première mort violente à laquelle le service était confronté. Ce qui s’était passé cette nuit ? Il n’en avait pas la moindre idée. Tout cela était extrêmement confus. Un chaos total. Les auditions des témoins n’avaient fait qu’ajouter à la confusion. Ce qui s’en dégageait n’avait aucun sens : un randonneur qui avait traîné l’une des filles du groupe dehors pour la violer dans la neige à 3 heures du matin et une ombre surgie de nulle part qui lui avait tiré dans la tempe avant de disparaître. Ça n’avait ni queue ni tête.

Les véhicules se garèrent devant le refuge et Saint-Germès vit plusieurs membres de la Section de recherche en descendre. Celui qui allait en tête était un type à lunettes et à la mâchoire carrée. Il portait comme les autres un gros pull sous son gilet tactique plein de poches. Ses yeux bleu clair détaillèrent Saint-Germès à travers les verres de ses lunettes tandis qu’il s’avançait vers lui, et il broya consciencieusement la main du capitaine dans la sienne.

— C’est où ?

— Voyons voir. Elle dit que la victime l’a entraînée dehors pour la violer sous la menace d’un couteau et qu’un type a surgi des bois et lui a tiré une balle dans la tête, c’est bien ça ?

— C’est exact.

— Je n’ai jamais rien entendu d’aussi absurde, conclut le type aux yeux bleus qui s’appelait Morel.

— Pourtant on a bien retrouvé le couteau, objecta Saint-Germès qui détestait déjà le bonhomme et ses grands airs.

— Et après ? Elle a très bien pu le mettre là elle-même. Il faut vérifier si cette fille a des antécédents psychiatriques, si elle est inscrite à un club de tir, si elle a déjà eu des problèmes relationnels avec les mecs et si elle et la victime se connaissaient avant la randonnée. Toute cette histoire ne tient pas la route.

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7

Techniciens en identification criminelle.