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— GUSTAV ! hurla-t-il.

Le gamin se retourna. Le regarda. Il eut l’impression que son cœur allait exploser de joie. Mais voilà que la peur se lisait dans les yeux de l’enfant et qu’il se mettait à son tour à fendre la foule… pour le fuir ! Un gamin de cinq ans. Seul dans le métro. Servaz grimpait maintenant deux par deux les marches de l’Escalator, repoussant les corps qui lui faisaient obstacle avec l’énergie du désespoir. Il atteignit le carrefour de couloirs au sommet. S’immobilisa. Il n’y avait plus personne. Les couloirs s’étaient vidés d’un coup.

Il était seul.

Il regarda les interminables corridors autour de lui, mais il n’y avait pas âme qui vive à l’horizon. Le silence lui-même lui semblait avoir une fréquence particulière. Il fit volte-face. L’Escalator qu’il avait emprunté était pareillement vide — ses marches défilaient inutilement —, de même que le quai en bas. Il appela Gustav, mais seul l’écho lui répondit. Il était perdu. Seul. Il lui sembla soudain que ces couloirs étaient sans issue, sans espoir. Qu’il était enfermé ici, dans ces souterrains, pour l’éternité. Il voulut crier mais, au lieu de cela, il se réveilla. Kirsten dormait. Il entendait sa respiration.

Ils n’avaient pas tiré les rideaux et une légère phosphorescence dessinait un rectangle de clarté au niveau de la fenêtre, dans la pénombre bleutée, irréelle, de la chambre. Il repoussa le drap et l’édredon de duvet, s’approcha de la croisée. Colla son visage à la vitre. Là-bas, toutes les lumières du chalet étaient éteintes et le bâtiment était plongé dans l’obscurité. Sa silhouette noire se découpait sur la nuit plus claire, elle avait quelque chose d’hostile et d’inquiétant. Tout autour, le paysage de neige lui fit penser aux douves d’un château fort, protégeant ses occupants de l’envahisseur.

Puis la buée sur la vitre troubla sa vision et il retourna au lit.

— Je reste ici, déclara Kirsten le lendemain au petit déjeuner. Je vais voir s’il est possible de faire de la raquette et surveiller le chalet en même temps. Histoire de n’être pas enfermée tout le temps.

— Très bien.

Il avait l’intention de rentrer à Toulouse, où il remettrait son arme, puis de filer à la médiathèque ou dans une librairie se procurer l’ouvrage de Labarthe. Il serait de retour avant ce soir. On était samedi, mais il avait aussi l’intention d’appeler Roxane Varin pour que, dès lundi matin, elle se renseigne sur l’adoption de Gustav. Il attrapa son téléphone et appela Espérandieu chez lui. Celui-ci était en train d’écouter We are on Fire d’Airplane Man lorsque son téléphone sonna.

— Roland et Aurore Labarthe, tu me les passes au TAJ[12], au FIJAIS et casier éventuel…

Les écrits de Labarthe témoignaient de son intérêt pour des pratiques sexuelles qui amenaient parfois leurs adeptes à commettre des infractions à la loi.

— Houlà ! C’est qui ces gugusses ? Tu sais qu’on est samedi ?

— Un prof de fac et sa femme. Lundi à la première heure, dit-il. Embrasse Charlène…

— Un prof de fac ? Sans rire ? Et ils ont fait quoi ?

— C’est ce que je veux savoir.

— Ça a un rapport avec le gosse ?

— On l’a retrouvé. C’est eux qui s’en occupent.

Il y eut un silence au bout du fil.

— Et tu m’annonces ça comme ça ?

— On ne le sait que depuis hier.

Il devina la colère de son adjoint.

— Martin, depuis que tu es avec ton esquimaude, tu oublies les amis, on dirait. Je vais finir par être jaloux… Fais gaffe, ici y en a un qui t’attend… J’ai l’impression qu’il t’a dans le collimateur. Et il attend aussi ton arme.

— Je sais. J’ai rendez-vous avec lui.

Il n’avait pas envie de parler davantage. Pas maintenant. Il raccrocha, mit le contact et démarra doucement sur la route verglacée. Il lui fallut deux heures pour rejoindre Toulouse et l’hôtel de police. En ce samedi matin, il était aux trois quarts vide mais Rimbaud avait quand même tenu à l’entendre sans tarder. À défaut de pouvoir le faire sur son territoire, le commissaire l’attendait dans un petit bureau à l’écart, réquisitionné pour l’occasion. Servaz lui trouva la tête d’un ancien boxeur, avec son nez épaté et sa mâchoire de bouledogue. Un boxeur qui aurait pris plus de coups qu’il n’en aurait donné. Mais Servaz savait que c’était à son tour de lui servir de punching-ball.

— Votre portable, commandant, s’il vous plaît, dit d’emblée Rimbaud.

— Pardon ?

— Votre portable, mettez-le en mode « Ne pas déranger ».

Servaz lui tendit l’appareil.

— Faites-le vous-même. Je ne sais pas comment on fait ça.

Rimbaud le toisa avec l’air de se demander si Servaz se foutait de lui. Il s’exécuta à contrecœur et lui rendit le téléphone.

— J’ai l’intention de vous entendre au sujet du meurtre de Florian Jensen, annonça-t-il. Comme vous vous en doutez, il s’agit là d’une affaire de la plus haute importance, du fait qu’il a été tué par une arme de service, une affaire très délicate.

— À quel titre ? Suspect ?

Rimbaud ne répondit pas. Servaz se demanda quelle attitude il allait adopter : la confrontation ou la collaboration ? Ils étaient assis face à face de part et d’autre du bureau : la confrontation.

— J’aimerais que vous me parliez en particulier de ce qui s’est passé sur ce wagon, et surtout de la nuit où vous vous êtes rendu à Saint-Martin…

— Tout est dans mon rapport.

— Je l’ai lu. On m’a dit que vous avez passé plusieurs jours dans le coma, vous vous sentez comment ?

Question ouverte, songea Servaz. Selon le manuel, « les questions ouvertes incitaient le locuteur à parler et à donner le plus d’informations possible ». Ensuite, on passait progressivement aux questions fermées : technique de l’entonnoir. Le problème, c’est que les truands connaissaient ces techniques d’interrogatoire presque aussi bien que les flics. Le problème des flics de l’IGPN, c’est qu’ils interrogeaient d’autres flics ; il leur fallait donc être plus malins, plus rusés, plus retors.

Mais ça, c’était le problème de Rimbaud.

— Comment je me sens ? Vous tenez vraiment à le savoir ?

— Oui.

— Laissez tomber, Rimbaud, si j’ai besoin d’un psy j’en trouverai un moi-même.

— Hmm. Vous avez besoin d’un psy, commandant ?

— Ah, c’est ça votre truc ? Répéter ce que l’autre dit ?

— Et vous, votre truc, c’est quoi ?

— Nom de Dieu ! On va jouer à ça longtemps ?

— Je ne joue pas, commandant.

— Laissez tomber…

— OK, bon, vous faisiez quoi sur ce toit ? Pourquoi vous êtes monté là-haut en plein orage ? Vous auriez pu griller comme un toast.

— Je poursuivais un suspect qui avait pris la fuite après nous avoir menacés avec son arme.

— Il y a longtemps, à ce moment-là, que la menace avait cessé d’en être une, non ?

— Qu’est-ce que vous voulez dire ? Que j’aurais dû le laisser filer ?

— Votre arme, vous l’aviez à la main en montant sur ce wagon ? Vous la braquiez sur Jensen ?

— Hein ? Quoi ? Je n’étais pas armé ! Elle était restée… euh… dans ma boîte à gants.

— Vous dites que vous poursuiviez un suspect armé et stone qui vous avait déjà braqué sans être vous-même armé ?

Question fermée mais un peu longue et rhétorique, estima Servaz.

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12

Traitement des antécédents judiciaires, fichier remplaçant les anciens fichiers STIC et JUDEX.