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Finalement, sur un dernier signe de croix, Hervé se releva et parla. Pour tous les deux comme il le faisait souvent, certain de n'être pas repris par Olivier :

- L'honneur est grand, dit-il, qui nous est fait de confier à nos soins ce reliquaire insigne, mais je me demande comment nous allons faire pour l'emporter de cette crypte si bien close ? Je ne comprends même pas comment on a pu l'y descendre : ce caveau est si bien fermé !

- Il a été construit pour l'Arche et obturé sur elle mais il est, croyez-moi, possible de l'en sortir sans démolir quoi que ce soit et vous me permettrez de garder là-dessus le secret. Sachez seulement que demain au soleil levant je vous mènerai à l'endroit où vous pourrez vous en charger. Vous recevrez alors de nouvelles instructions mais tout sera prêt et vous n'aurez plus qu'à partir…

Olivier s'était relevé à son tour et, le cou tendu, observait la voûte et, singulièrement près de l'un des coins du caveau où se remarquait un cercle en creux :

- Qu'est-ce ? demanda-t-il.

- L'ultime recours au cas où un péril extrême nous mettrait, mes frères et moi, hors de possibilité de défendre le trésor. Cette crypte, ainsi que vous pouvez vous en rendre compte, est creusée dans la craie qui est imperméable à l'eau mais, si je mettais en marche le mécanisme commandant ce qui n'est en fait qu'un bouchon, l'eau de l'étang s'y déverserait et l'inonderait.

- Cela veut dire que nous sommes sous l'étang ?

- Nous y sommes, en effet.

- Alors je ne vois pas pourquoi il faut tirer d'une si bonne cachette cet inestimable trésor pour l'envoyer au hasard des grands chemins et jusqu'en Provence, si j'ai bien compris ?

Il y avait longtemps qu'Olivier, le secret, n'avait prononcé un tel discours et Hervé l'écoutait, mi-surpris mi-amusé. Il est vrai que le sujet était capable de faire sortir un homme de lui-même. Les mains au fond de ses manches, frère Raoul, le cou ployé, garda un instant le silence.

- C'est, dit-il enfin, que les temps sont révolus. Augures et présages ont rejoint frère Clément et il sait que, si dense soit-elle, notre forêt - le berceau du Temple ! - serait fouillée méthodiquement, minutieusement et que sa découverte, au cas où nous n'aurions pas le temps d'actionner le mécanisme de noyade, pourrait nous causer grand préjudice. Nous pourrions être accusés d'affiliation au judaïsme. Ce qui nous serait mortel ! Frère Clément pense qu'il faut agir quand il en est temps encore.

Olivier hocha la tête, s'estimant sans doute satisfait, mais ce n'était pas le cas d'Hervé et il reprit la parole :

- Comment se fait-il que ce soit frère Clément, si élevé soit-il dans la hiérarchie templière, qui prenne de telles décisions, sachant que le Grand Maître, Jacques de Molay, a quitté Chypre voici près d'une année pour venir en France rencontrer notre sire Philippe et Sa Sainteté le Pape Clément ?

- Justement. Le Grand Maître réside à Limassol et se soucie peu du Temple de France, sinon pour en obtenir toute l'aide possible en vue d'une nouvelle croisade. Dans le royaume frère Clément a plus de poids que lui. Il est celui qui sait !

- Mais pourquoi la Provence, si lointaine ?

- Je n'ai pas reçu d'explications à ce sujet, répondit le « gardien » d'un ton sec. Uniquement des ordres, comme vous-mêmes, et j'exécute ces ordres. Demain vous saurez sinon votre destination exacte, du moins quels chemins prendre.

Le sujet ainsi clos, on remonta. L'heure en étant venue, il s'agissait à présent de regagner la chapelle où l'un des nombreux offices du jour allait commencer... Au-dessus de leurs têtes, une cloche à la voix frêle tintait et, comme frère Raoul laissait ses hôtes dans deux stalles avant d'aller revêtir les habits sacerdotaux, Hervé ne put s'empêcher de répéter à voix basse :

- Mais enfin, pourquoi la Provence et pas l'un de nos forts châteaux au péril de la mer ou sur les côtes ?

Olivier tourna vers lui un regard où passait une étincelle de gaieté :

- La Provence a des côtes, mon ami, et des forteresses au péril de la mer. L'ignores-tu ?

- Pas vraiment...

- En outre, elle appartient au Roi Charles II de Naples qui est aussi duc d'Anjou... et Roi titulaire de Jérusalem d'où l'Arche est venue. Même s'il est proche de la couronne de France, il convient de prendre des gants avec lui. A présent, prions !

Cependant et pour une fois, Olivier ne trouva pas dans la prière l'apaisement de ses doutes ni l'habituel élan vers Dieu. Si tourné fût-il vers la spiritualité, la révélation de ce qu'il allait devoir convoyer l'accablait. Comment faire traverser la France, la Bourgogne, les Etats du Pape et la Provence - mais jusqu'où ? - à ce coffre flanqué de ses deux anges sans soulever la curiosité et surtout le fanatisme des peuples traversés ? L'Arche d'Alliance procédait de la Bible, pas des Evangiles. Cela pouvait créer de dramatiques confusions et de dangereux mouvements de foule. Ils voudraient voir, approcher peut-être les Tables rapportées par Moïse de la cime du Sinaï. Il en mesurait l'ampleur à son aune personnelle et s'avouant qu'il brûlait lui-même de contempler, de toucher les écrits de Dieu ! Habitué à se dominer, il chercha un réconfort dans la pensée que les neuf Templiers de saint Bernard avaient réussi à rapporter discrètement l'insigne sarcophage et que plus tard Adam Pellicorne, seul autant dire, était revenu de Jérusalem avec les Tables sorties de l'Arche par la prudence d'un Grand Prêtre au temps des guerres romaines. C'était plutôt rassurant. Malgré ces pensées apaisantes il ne réussit pas, cette nuit-là, à trouver le sommeil. Et Aulnay pas davantage car, comme ils finissaient plus ou  moins par s'assoupir, la cloche de matines puis celle de prime se chargèrent de les jeter à bas de leurs couchettes : en déplacement ou pas la Règle de l'Ordre s'applique inexorablement à ses fils.

Après la messe de l'aurore, frère Raoul les reçut en son particulier.

- C'est prêt, leur dit-il, et je vais vous conduire à l'endroit où vous attendent le chariot et son chargement.

La question fusa aussitôt de la bouche d'Hervé :

- Vous avez sorti l'Arche ? Comment avez-vous fait ?

Un sourire éclaira brièvement le visage fatigué du Prieur :

- Permettez-moi de garder au moins ce secret-là ! A présent, écoutez ce que je dois vous dire : le chariot qui vous attend, attelé de deux chevaux solides, est censé transporter jusqu'à Digne le cercueil d'un de nos frères, Martin de Fenestrel, mort voici peu dans notre commanderie de Bonlieu mais originaire de Provence, et dont Sa Sainteté le Pape dont il était jadis l'ami, a ordonné par faveur spéciale qu'il puisse reposer dans sa terre natale.

Il se tourna vers la modeste table de bois brut où il faisait les comptes de la maison pour y prendre un petit parchemin :

- Ceci est une sorte de décharge signée de frère Etienne, notre commandeur qui vous remet la dépouille et ses instruments d'alchimie - frère Martin qui était fort âgé travaillait depuis longtemps au Grand Œuvre. Si j'ai bien compris son message, cet acte a été demandé par Paris peu avant votre départ. Nous avons donc, lui et moi, fait notre part de cette importante affaire. C'est votre tour à présent. Vous voyagerez par courtes journées en ne vous arrêtant que dans nos maisons : il y en a suffisamment à travers les pays que vous traverserez - grâce à Dieu ! -pour que vous n'ayez aucun problème.

- Qui va conduire le chariot ? demanda Olivier.

- Frère Anicet, l'un des nôtres, sous une robe de moine augustin pour le respect. Il est de là-bas et pourra s'intégrer à l'une des commanderies ou revenir, bien que, ajouta-t-il avec un sourire un peu triste, cette maison n'ait plus guère de raison d'exister. Venez, maintenant !