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- Non, pas de tonnerre mais des hurlements suscités par une douleur surhumaine… Des hurlements qui ont duré, duré et que proférait une voix unique. Les autres se sont vite éteintes. Seul continuait ce cri inhumain, coupé d'imprécations, qui s'est mué en gémissements avant de s'éteindre tout à fait au bout de ce qui m'a paru une éternité… et qui en était une pour celui qui l'endurait : une heure s'est écoulée avant que ne revienne le silence et que les murs n'achèvent de s'effondrer. Il y avait déjà un moment que nos gardiens épouvantés s'étaient enfuis, laissant le château grand ouvert et il faisait jour quand les gens du village, terrifiés par ce qu'ils avaient entendu, ont osé monter jusqu'ici nous délivrer de nos liens et relâcher nos gens enfermés dans le cellier et dans le corps de garde. Mais il a été nécessaire que le père Anselme déploie des flots d'éloquence inspirée pour rassurer ces âmes simples qui n'étaient pas loin de s'imaginer que le château tout entier était maudit. Il leur expliqua patiemment que loin d'être l'objet de la colère de Dieu, Valcroze en avait reçu une véritable bénédiction puisque le Seigneur avait pris la peine d'anéantir lui-même son pire ennemi…

- Raison de plus pour déblayer, père ! Il faut retrouver les restes de ce démon…

- Il ne doit pas en subsister grand-chose…

- Ce que l'on trouvera, on le leur montrera avant de le jeter au torrent. Ensuite nous reconstruirons. Nous devons remettre à l'abri la cheminée dont nous ignorons si le mécanisme fonctionne encore. Si c'est le cas, il faudra le détruire afin de fermer à jamais le chemin de l'Arche qu'une occasion fortuite pourrait révéler. Et quand le mal en aura été extirpé, le père Anselme bénira solennellement notre ouvrage…

- Tu as peut-être raison et nous allons y songer. Tu ne veux quand même pas que l'on s'y mette dès à présent ?

- Le plus tôt possible. Dès que Montou et moi aurons accompli notre pèlerinage à Notre-Dame-de-Moustiers !

- Tu veux partir déjà ?

- C'est l'affaire de trois jours, sourit Olivier. Ensuite je ne vous quitterai plus…

Les deux hommes redescendirent vers le logis au seuil duquel ils trouvèrent Montou :

- Nous partirons pour Moustiers quand vous le désirerez, lui dit Olivier. Nous avons une nouvelle raison de rendre grâce.

Et en quelques phrases, il lui raconta la mort de Roncelin. Le visage de Montou était impassible en l'écoutant et quand ce fut fini il n'y eut aucun commentaire. Simplement l'ancien Templier se dirigea vers les ruines et resta à les contempler. Olivier respecta sa méditation durant quelques instants puis le rejoignit. Pierre se retourna et il vit des larmes sur son visage.

- Vous pleurez ? s'étonna-t-il.

- Pas sur lui mais sur un jeune frère que j'avais… et qu'il a jadis perverti, avili, déviant de la droite voie avec une part du Temple. Antoine s'est donné la mort et c'est pourquoi, moi, je me suis fait Templier pour chercher et punir l'auteur de ce désastre.

- Il n'est pas le seul a avoir détourné certains des nôtres, observa Olivier avec douceur. Bien avant lui, l'Orient et ses doctrines étranges nous avaient entamés.

- Sans doute, mais Antoine seul importait pour moi et mon cœur n'était pas pur quand j'ai reçu le manteau blanc. De cela aussi je dois compte à Dieu qui s'est chargé de ma vengeance… Allons à Moustiers, s'il vous plaît ! J'ai hâte d'y être…

Ils partirent dans l'heure suivante, à pied comme ils étaient venus et comme il convenait à ces errants de Dieu qui sillonnaient l'Europe vers les hauts lieux de la foi. Mais, cinq jours plus tard, Olivier revint seul…

A leur arrivée à Moustiers, le soleil arrachait des éclairs à la grande étoile de bronze pendue au-dessus de la vertigineuse crevasse entre les deux pics jumeaux. Cette vue marqua pour Montou une sorte de chemin de Damas : il tomba à genoux sur la terre puis se prosterna un long moment sans un mot avant de monter à la chapelle où jadis, Sancie venait prier Notre-Dame de ne pas laisser son fils devenir Templier.

C'était à sa mère qu'Olivier pensait sans cesse tandis que se déroulaient les rites du pèlerinage. Elle était exaucée maintenant mais au prix de tant de drames, de tant de souffrances, de tant d'épreuves que le rescapé se demandait comment elle aurait vécu cet étrange accomplissement. Alors il pria pour elle et pour les siens avec toute la ferveur de jadis sans plus se soucier de Montou que celui-ci ne s'occupait de lui. Il ne sut rien du cheminement intime du fabuleux archer qui avait osé faire parler une cathédrale, et c'est seulement quand vint le moment de se remettre en route que la fracture se manifesta : Pierre de Montou voulait entrer dans le monastère au-dessus duquel brillait une étoile qui parlait d'Orient.

Olivier ne montra aucune surprise, n'essaya pas de discuter - au nom de quel droit ? - une décision dont la fermeté ne faisait aucun doute. Et il se sépara de lui comme il s'était séparé d'Hervé : sur une chaude accolade à cette différence près qu'il lui promit de revenir parfois s'enquérir de lui. Au dernier instant, cependant, l'ancien Montou refit surface :

- J'aimerais avoir le privilège de bénir vos enfants… quand vous en aurez ! lui dit-il gravement.

Le mot fit sursauter Olivier :

- Mes enfants ? Devrais-je donc en avoir ?

- C'est le but de tout mariage chrétien, non ? Vous avez lavé votre âme et vous allez vous marier ! Cette belle jeune fille vous aime. Vous l'aimez aussi : il m'a suffi de vous voir ensemble pour en être certain.

- J'ai prononcé des vœux ! Comment pourrais-je les renier ? murmura-t-il d'une voix soudain très lasse. En bonne justice je devrais suivre votre exemple.

- Ce serait stupide. D'abord parce que je n'ai jamais été un exemple pour personne… ensuite parce que l'Eglise a effacé le Temple. S'il n'existe plus vos vœux non plus…

Depuis qu'il était arrivé à Valcroze, Olivier tentait de s'en persuader. Avait-il dit d'ailleurs autre chose à son frère Hervé au moment de le quitter ? Mais l'atmosphère de ce couvent l'avait replongé dans ses doutes et ses scrupules. Devinant ce qu'il pensait, Montou ajouta :

- Allez donc en discuter avec le père Anselme ! C'est un prêtre comme il en faudrait davantage parce qu'il sait écouter les voix de la nature… et de son Créateur ! Valcroze a besoin de vous pour continuer…

- Si Aude veut de moi, décida alors Olivier, nous le continuerons ensemble…

Tandis qu'il regagnait son château, il courait presque à tel point il se sentait pousser des ailes, tant il avait hâte de « la » revoir, de « lui » parler, de « la » conquérir enfin ! Il entra dans Valcroze comme en Paradis et sans même souffler chercha son père. Il le trouva assis dans son cabinet d'armes et si visiblement soucieux qu'il s'inquiéta, mais Renaud ne lui laissa pas le temps de poser une question.

- Tu en as mis du temps ! s’écria-t-il. Devais-tu t'attarder à ce point ? Tu avais dit trois jours !

Il semblait hors de lui et Olivier, sur le coup, ne sut quoi répondre sinon :

- J'avais besoin de prier davantage… Etait-ce d'une telle importance ?

- Plus que tu ne crois ! Ils sont partis !

- Qui ?

- Qui veux-tu ? Rémi et cette ravissante enfant !... C'est elle qui l'a voulu ! Avant-hier comme souvent elle était allée faire une promenade à la chapelle que j'ai fait édifier à l'endroit où ta mère est…

Comme d'habitude, il buta sur le mot parce qu'il refusait toujours d'associer le nom de son épouse à la mort, mais il ne fit que le sauter et reprit :

- Quand elle rentrée, Aude était bouleversée et sans rien vouloir expliquer, elle a supplié son frère de l'emmener loin d'ici.

- Mais enfin, cela n'a pas de sens. Pourquoi ?

- Encore une fois je n'en sais rien. Elle s'est tut obstinément, se contentant d'assurer que s'il ne l'emmenait pas elle partirait seule ! Il a bien fallu s'exécuter. La mort dans l'âme chez Rémi qui je crois nous aime.