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-    Puis-je quelque chose pour vous ?

L’apparition tressaillit :

-    Je... oui... non ! La voiture qui me ramenait de Clagny a eu un accident, ce qui m’a empêchée de rentrer plus tôt. Je pensais trouver ici de quoi manger !

-    Et vous ne trouvez que moi qui ne suis pas comestible. Mais vous avez certainement une femme de chambre ?

-    Je... oui, bien sûr !

-    Alors appelez-la ! Elle devrait pouvoir vous dénicher un en-cas. Vous êtes Mademoiselle de Fontanges n'est-ce pas?  ajouta Charlotte qui se souvenait des paroles de Theobon au sujet de la quatrième fille d’honneur : « Fort belle mais bête à pleurer... !» Il y avait quelque chance qu’elle eût en face d’elle l’original du portrait. Et, en effet, la demoiselle opinait de la tête et s’enquérait :

-    Vous me connaissez ?

-    Non... mais on m’a parlé de vous.

-    Ah!

Nouveau silence. Charlotte se demanda si on allait finir la nuit ainsi : elle assise dans son lit et l’autre apparemment pétrifiée dans le double encadrement de la porte et de sa grande mante brune doublée de fourrure dont le capuchon était rabattu sur les épaules. Elle reprit l’offensive :

-    Voulez-vous que je sonne pour que l’on vous reconduise chez vous ?

-    Oh non ! C’est inutile ! Je vous souhaite une bonne nuit !

Et de repartir comme elle était venue. La porte se referma sur elle et sa bougie tandis que Charlotte se recouchait, remontait drap et couvertures par-dessus ses oreilles et se rendormait aussitôt...

Dès le lendemain, Charlotte put constater que le métier de fille d’honneur chez Madame n’avait rien d’astreignant et que ces demoiselles constituaient surtout un élément décoratif lorsque la princesse ou le couple recevait et aussi quand leur entourage était réuni aux soupers. La plupart du temps on s'ennuyait élégamment, une broderie ou un livre aux doigts, mais, heureusement on était au cœur de Paris et ses nombreuses boutiques offraient une possibilité de distractions sans compter les relations avec l’aristocratie du Marais et, par beau temps, la promenade de la Place-Royale. La Palatine, elle, se satisfaisait, lorsqu’elle ne chassait pas, à rester dans son cabinet pour y converser avec les portraits de ses parents allemands qu’elle y avait rassemblés et surtout à écrire, sur un riche papier épais à tranche dorée, d’innombrables lettres auxdits parents sans oublier ceux ou celles qui avaient su s’attirer son amitié. Même à la toilette que Madame voulait minutieuse - et à l’eau froide ! - elles ne jouaient qu’un rôle effacé : c’était l’ouvrage des femmes de chambre et de la dame d’atour, laquelle d’ailleurs ne croulait pas sous le contenu de la garde-robe dont on sait qu’elle ne débordait pas de vêtements et encore moins de falbalas. Evidemment, elle avait la charge des bijoux mais comme Madame, à l’exception de quelques belles perles, n’en portait pas souvent, elle se contentait de les passer en revue chaque jour afin de s'assurer qu’il n’en manquait pas. Il pouvait arriver que Monsieur, qui, lui, les adorait, se permît un emprunt mais il ne manquait pas de les restituer. Seule exception dans le quatuor juvénile, Mlle von Venningen, avec qui Madame parlait allemand, ne la quittait guère comme Mlle de Theobon qui avait son amitié et sa confiance.

Au matin de son arrivée, donc, Charlotte choisit d’aller visiter le jardin qu’elle avait seulement aperçu depuis les fenêtres. Elle adorait les plantes, les fleurs, les arbres, et ses meilleures heures au couvent avaient été celles passées dans l’enclos à regarder pousser et s’épanouir selon les saisons perce-neige et ellébores, primevères, violettes, giroflées et pivoines mais surtout les roses. Sans oublier les herbes médicinales dont l’infirmerie faisait grande consommation. Le plus souvent en compagnie de son amie Victoire des Essarts qui partageait cette attirance.

Au Palais-Royal, le jardin ne ressemblait guère à celui des Ursulines. Récemment redessiné par le déjà célèbre Le Nôtre, il étalait noblement ses parterres de broderies autour des deux bassins qu’animaient des jets d’eau lorsque les princes s’y promenaient. De part et d’autre, une longue allée d’ormes abritant des bancs de pierre invitait à un moment de détente ou de rêverie. C’est sur l’un d’eux que Charlotte choisit de s’asseoir après avoir effectué le tour complet. Il faisait doux ce matin et un clair soleil s’insinuait entre la tendre verdure des feuilles nouvelles en train de poindre. Elle y était depuis un petit moment quand elle vit venir à elle cette Fontanges dont elle avait fait connaissance dans la nuit de façon tellement inattendue.

-    Me permettez-vous de m’asseoir auprès de vous ? demanda celle-ci avec un air de timidité qui lui allait bien. Je suis vraiment désolée de vous avoir dérangée dans votre sommeil. Je ne l’ai pas fait exprès...

-    J’en suis persuadée, dit Charlotte en lui rendant son sourire. Vous ne pouviez pas deviner qu’on avait installé un lit dans ce cabinet. Mais prenez place, je vous en prie, ajouta-t-elle en resserrant ses jupes contre elle. On a dû vous dire que j'étais entrée au Palais-Royal de façon un peu fortuite, amenée par ma tante la comtesse de Brécourt que vous connaissez peut-être ?

-    Non. Il n'y a pas très longtemps que je suis au service de Madame et on ne me parle pas beaucoup. Avant que Mme la marquise de Montespan ne m’invite chez elle, je m'ennuyais parce que j’étais souvent seule...

-    Seule ? Dans ce palais plein de monde ?

-    Il y a du monde, oui, mais il est parfois si méchant !

-    Méchant ? Pas Madame tout de même ?

-    Non. Elle a été bonne pour moi. Même, elle a empêché les autres de se moquer de moi.

Charlotte ouvrit de grands yeux :

-    Qui pourrait avoir envie de se moquer ? Vous êtes belle à miracle.

-    Oui, mais je ne suis pas au fait des usages d'ici. Je viens d'une campagne d'Auvergne et je ne sais pas de quoi on parle quand il est question de livres, de théâtre, ou des bruits de la Ville et de la Cour. Les autres filles me trouvent gauche, sotte parce que je ne sais rien de ce qui les amuse. Alors j'ai regretté ma campagne. C'est beau chez moi, vous savez ?

Et peut-être parce qu’elle s'était tue trop longtemps, elle se mit à évoquer pour cette inconnue son vieux Cropières, la vaste maison méritant à peine le nom de château, tapie au fond d'un vallon près du bourg de Rauhlac. De hauts toits d'ardoise et une courte tour carrée marquaient seuls la seigneurie de cette demeure où elle était née et elle trouva pour la décrire des mots simples et touchants mais devint presque lyrique en évoquant les bois de châtaigniers, les eaux vives, les nuages changeants de son plateau cantalien et les petits bergers des champs paternels.

-    Et chez vous, comment est-ce ? demanda-t-elle en forme de conclusion.

-    Je n’ai pas de chez moi. Tant qu’a vécu mon père je vivais dans une belle demeure de Saint-Germain mais dès sa mort j’ai été mise pensionnaire chez les Dames Ursulines et l’on m’a fait savoir que je devais me préparer à y passer le reste de ma vie.