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-    Et vous ne le souhaitez pas ?

-    Evidemment non ! Je veux seulement une vie comme les autres : me marier, avoir des enfants ! Vivre enfin, mais ma mère ne le veut pas. C’est pourquoi je suis réfugiée chez Madame. Et je suis bien contente !

La jeune Angélique prit un air boudeur :

-    Pas moi ! Et j’espère ne plus revenir ici ! C’est tellement mieux à Clagny, chez Mme de Montespan ! Tout est fabuleux ! Les salons, les meubles, les toilettes, les jardins !...

Charlotte émit un sifflement aussi peu protocolaire que possible :

-    Vous me paraissez difficile, Mademoiselle de Fontanges ! Ici ce n’est pas mal non plus il me semble et l’on m’a dit que le château de Saint-Cloud, où nous passerons la belle saison, est une merveille !

-    Ce n’est pas pareil ! Là-bas on m’a habillée comme une princesse... et puis il y a le Roi à qui j'ai été présentée ! Asséna-t-elle avec une autorité et un air de tête qui se voulaient superbes.

-    Ah ! Evidemment ! Et comment est Sa Majesté ?

Une sorte d’extase se peignit sur le visage de la jeune fille tandis qu’elle joignait ses mains et levait les yeux vers le ciel telle une sainte attendant une apparition.

-    Oh ! C'est le plus bel homme de la terre ! Il brille comme le soleil tant son habit porte de pierres précieuses ! Mais il pourrait ne porter qu’un petit habit : à son regard impérieux on sait tout de suite qu’il est le maître ! Et ce regard il l’a posé sur moi ! Il a même pris un moment ma main dans la sienne et j’ai cru défaillir !

-    A ce point ? Émit Charlotte, qui pensait que c’était peut-être un peu beaucoup.

-    Oh oui ! Bien plus même !... Il a promis que nous nous reverrions bientôt ! C’est pourquoi, ajouta-t-elle soudain boudeuse, je suis fort étonnée que Mme de Montespan ne m’ait pas gardée chez elle. Enfin ! J’ai bon espoir d’y retourner un jour prochain puisque le Roi a promis !

Elle se leva sur ces derniers mots :

-    Je crois que je vais rentrer ! Je sens un peu de frais !

Elle quitta Charlotte sur un petit salut et retourna vers l’entrée du palais, laissant sa confidente d’un instant partagée entre la compassion et l’envie de rire. Mlle de Theobon avait raison, Angélique de Fontanges était sans doute la plus jolie fille qui soit mais c'était une vraie bécasse ! Etonnamment frileuse pour qui avait passé sa vie dans les montagnes d’Auvergne et au milieu des moutons ! En reprenant sa promenade à travers les jardins, Charlotte se promit de lui montrer à l’avenir plus d’intérêt puisque c’était ce dont elle semblait manquer le plus. Ainsi elles se sentiraient moins seules l’une et l’autre...

Elle se disposait à rentrer à son tour quand elle vit venir l’un des pages de Madame, un jeune Allemand nommé Wendt qui l’avait saluée quand les princes allaient à table et avec qui elle avait échangé un sourire. Avec un accent à couper au couteau, il lui remit une lettre que l’on venait d’apporter pour elle, salua, sourit à nouveau et s’éclipsa. Reconnaissant l’écriture de sa tante, Charlotte se hâta de l’ouvrir...

A son retour à Prunoy, Claire de Brécourt trouva sa maisonnée en révolution, ses jardiniers déjà occupés à effacer, sur le sable des allées, le passage d’une troupe à cheval et Marguerite au comble de l’excitation. Laissant à peine le temps à sa maîtresse de descendre de carrosse, elle clama :

-    Est-ce que Madame la comtesse se rend compte ! Les gendarmes du Roi ici, fouillant la maison, posant des questions sur ceci ou sur cela ?

-    Ne serait-ce pas sur Charlotte ? Il fallait bien nous attendre à quelque chose de ce genre. Ont-ils fait des dégâts ?

-    Non. Nous y avons veillé, Marguerite et moi, déclara Robin, le majordome, et nous n’avons pas eu trop de mal parce que si ces gens venaient au nom du Roi, ils n’avaient aucun ordre écrit à présenter. Ils se sont contentés de regarder partout mais sans rien abîmer et sans rien déranger. Ça, ils ont ouvert toutes les portes pour regarder ce qu’il y avait derrière et ils ont interrogé tout le monde sans obtenir une autre réponse que : on n’a pas vu Mlle de Fontenac depuis six mois. Et quand je leur ai rappelé que Madame était des dames de la Reine, ils ont eu l’air surpris et n’ont pas insisté.

-    Allons, le mal n’est pas grand et je vous remercie tous de votre attitude et de votre fidélité. L’absence de mandat prouve à l’évidence que ces gens ont dû être envoyés grâce à une complaisance de leur chef... Au fait, savez-vous son nom?

-    Un certain capitaine Langlumée, mais ce n’est pas lui qui m’en a informé : c’est l’un de ses hommes... Bizarre, non ?

-    Oui, mais facile à comprendre : ils n’avaient aucun pouvoir réel et leur intervention a dû être obtenue d’une façon aussi peu officielle que possible ! Je verrai cela demain en allant chez la Reine...

Elle devinait sans peine d’où venait le coup. Ce Langlumée devait faire partie des « relations » de sa belle-sœur mais il convenait d’être prudente et de ne pas prendre l’affaire à la légère, même si le Roi n’en savait rien. Ce qui signifiait que les relations nouées par la mère de Charlotte avec la nouvelle marquise de Maintenon étaient peut-être plus efficaces que l’on ne pouvait s’y attendre...

La confirmation lui vint une heure plus tard en la personne de Marie-Jeanne elle-même dont la voiture stoppa devant le perron du château peu avant l’heure du souper. Laissant à peine au cocher le temps d’arrêter ses chevaux, Mme de Fontenac sauta à terre et se précipita à l’intérieur, relevant à pleines mains une jupe de velours rose et des jupons de dentelle découvrant des petits souliers de même tissu et de même couleur. Sur l’ensemble une ample mante dans une gamme de nuances assortie mais beaucoup plus foncée et fourrée d’hermine dont la vue remonta d’un pouce les sourcils de Mme de Brécourt : avait-on jamais vu une veuve proche de la quarantaine s’habiller de rose comme une jouvencelle ? Il devait y avoir du vrai dans cette histoire de remariage...

N’ayant nulle envie de la voir envahir ses salons, elle choisit de la recevoir dans le vestibule afin de ne laisser aucune équivoque sur le ton réel de leurs relations, mais elle n’eut pas le loisir d’ouvrir la bouche pour demander à l’intruse ce qu’elle venait faire chez elle. Déjà, la baronne s’écriait :

-    Où est Charlotte ? Puisque ces imbéciles ont été incapables de la trouver je viens la chercher ! Qu’on me l’amène, je n’ai pas de temps à perdre,…

-    Moi non plus. Alors autant que vous le sachiez une bonne fois, elle n’est pas ici et vous pouvez repartir !

Le joli visage de poupée que la maturité commençait à orner d’un double menton se crispa de fureur :

-    Pas sans elle ! Je sais qu'elle est chez vous et je vous conseille de cesser ce jeu qui pourrait vous coûter fort cher !

Debout sur la dernière marche du grand escalier, les bras croisés sur sa poitrine, la comtesse s’esclaffa :

-    N’essayez pas de m’intimider. Vous me connaissez suffisamment pour savoir que c'est au-dessus de vos moyens. En outre vous devriez accorder quelque confiance à la horde que vous avez eu l’audace de m’expédier. Ils n’ont pas trouvé ma nièce pour l’excellente raison qu’elle n’y est pas ! Rentrez chez vous et n’en parlons plus !

-    Vous ne vous en tirerez pas de la sorte. Si elle n’est pas ici, c’est qu'elle est dans votre hôtel de Paris ou - pourquoi pas ? - à Brécourt.

Claire haussa les épaules :

-    Ridicule ! Voulez-vous me dire ce que pourrait faire une enfant de quinze ans seule dans un hôtel fermé ou dans un château féodal glacial battu par les vents de mer ? Le remède serait pire que le mal, car ce serait changer de prison.