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-    Allez dire à Mademoiselle qu'elle se prépare à m'accompagner à Saint-Germain ! Nous allons voir le Roi ! Dites aussi que l’on attelle !... Ah ! Monsieur de Saint-Forgeat, je ne vous avais pas vu ! Vous vouliez me parler ?

-    N... on ! C’est moi qui ai... emprunté le tableau après avoir été témoin du chagrin de Mademoiselle !

La Palatine le considéra avec une totale stupeur :

-    Vous ?... Il vous arrive donc de vous intéresser à autre chose qu'à vos ajustements et au nombre de vos rubans... Je n'en crois pas mes oreilles... mais bravo ! C'est vraiment très bien !

Une demi-heure plus tard, Charlotte assistait, d'une fenêtre du château, au départ de Madame, de sa belle-fille... et du portrait récupéré au dernier moment : carrosse d'apparat à huit chevaux, escorte militaire, robe de cour pour la jeune fille mais tenue de chasse pour « Liselotte » qui se sentait d'humeur trop guerrière pour donner dans les falbalas. Toujours enfermé avec ses trésors, Monsieur n'avait rien vu, rien entendu...

Madame Palatine était montée en voiture comme on monte à l'assaut, entraînée à la fois par son caractère impétueux, l’affection sincère qu'elle éprouvait pour sa jeune belle-fille - dont quelques années seulement la séparait - et la véritable répulsion que lui avait inspirée le portrait. Elle savait d’expérience que la raison d’Etat pouvait exiger que l’on épouse quelqu'un de laid puisque elle-même n’était pas belle - mais à ce point-là !...

L’annonce de son arrivée en réclamant une audience d’urgence fit le vide dans le cabinet du Roi. Cette visite suivant de si près l’autorisation donnée au marquis de Los Balbazes laissait deviner ce qu’on allait entendre. Madame Palatine s'apprêtait à déverser sur son royal beau-frère un torrent de revendications sonores... Or il n’en fut rien.

Ce fut sans dire un mot qu’elle lui offrit la plus parfaite des révérences dont il la releva lui-même en lui baisant la main.

-    Ma sœur, fit-il en souriant, avez-vous dans l'idée de m’emmener chasser ?

-    Non, Sire mon frère, répondit-elle en faisant montre d’une gravité bien inusitée de sa part, je suis venue seulement vous supplier d’écouter avec votre bonté habituelle la prière douloureuse de votre nièce.

Louis XIV se tourna vers Marie-Louise inclinée, la releva, lui sourit et l'embrassa :

-    Voyons cette prière !

A se sentir si solidement épaulée par sa belle-mère, la princesse avait retrouvé un peu du courage, assez insolent d'ailleurs, que lui avait légué sa mère. Elle plongea son regard encore étincelant de larmes dans celui du souverain :

-    Sire, dit-elle, je viens implorer le Roi de refuser pour moi la main du roi d’Espagne. Je ne veux pas l’épouser.

-    Et pourquoi donc ?

Madame, qui n’aimait pas tenir trop longtemps sa lumière sous le boisseau, éleva le portrait qu'elle tenait d’une main le long de sa jupe :

-    Faut-il vraiment poser la question, Sire ? Je suis mal placée sans doute pour jouer les arbitres de beauté puisque je n’ai jamais nié être laide, mais ceci dépasse les bornes. Ce n’est pas un homme, c'est un spectre !

-    Il n’a que dix-huit ans, ma sœur ! Ce n'est, en effet, pas tout à fait un homme au sens complet du terme mais vous savez combien les êtres évoluent à mesure que passe le temps et, puisque vous avez abordé le sujet la première, je dirai que... vous-même avez changé en quelques années...

-    Parti comme il est je le vois mal se transformer en prince charmant !

-    Sire... par pitié, reprit Marie-Louise, ne me contraignez pas à ce mariage. Je ne pourrai jamais !... J’aime... j’aime ailleurs !

Madame ouvrit de grands yeux mais Louis se contenta de sourire :

-    Je sais, dit-il gentiment..., et rien ne m’eût été plus agréable que de faire de vous une future reine de France, mais mon fils devra se plier lui aussi à la raison d’Etat. Pour l'heure, celle-ci exige qu'après les traités signés l'an passé qui donnent la paix à l'Europe, des liens familiaux se tissent avec l'Espagne. Or je n'ai pas de fille à donner au roi Très Catholique. C'est donc comme ma fille que je vous traite. Le plaisir de vous voir élevée en un rang que vous méritez ne me console pas de la séparation d’une personne que j’aime tendrement mais qui doit savoir que les princesses sont à l’Etat. L’Espagne m’a fait jadis un grand présent en me donnant la Reine et je crois ne le pouvoir mieux reconnaître qu’en vous faisant reine d’Espagne. Je désire que, quoique française, vous soyez aussi bonne Espagnole que la Reine, ma femme, quoique espagnole, est bonne reine française... De ce fait, si des guerres éclataient encore entre nous et votre époux nous soyons assez grands seigneurs pour ne pas pouvoir nous ruiner.

La pauvre princesse était vaincue et Madame le ressentit en s’efforçant de ravaler sa colère. D’ailleurs, Louis se rapprochait de sa nièce qu’il prit aux épaules pour l’amener un instant contre lui :

-    Je n’aurais pu faire mieux pour ma fille[5] !

Marie-Louise cessa de pleurer, puis relevant fièrement sa jolie tête en une attitude qui rappelait sa mère, elle lança :

-    Vous pouviez faire mieux pour votre nièce !

Puis elle salua et sortit les yeux secs sans attendre Madame, qui, elle, avait les larmes au bord des cils. Celle-ci haussa alors les épaules avec une espèce de résignation, tendit à Louis le désastreux portrait dont elle n’avait plus que faire et quitta le cabinet royal sans même songer à plier un genou...

Ce soir-là Charlotte apprit avec stupeur que Mademoiselle avait exprimé le désir de la compter parmi celles qui, dans quelques semaines, l’accompagneraient à Madrid. Au titre de fille d’honneur.

Encore qu’elle n’en eût guère envie, il fallut bien remercier. Le moyen de refuser lorsque l’on affirme la certitude d’avoir trouvé en elle une amie véritable...

Le mariage devant avoir lieu le 31 d’août au palais de Fontainebleau, les derniers jours du mois virent s’abattre sur la petite cité royale et le magnifique domaine créé jadis par François Ier la Cour au grand complet : le Roi, la Reine, la mariée et ses parents, les favorites royales, tous les princes, plus les ministres, plus les ambassadeurs espagnols, plus une visiteuse particulièrement chère au cœur de Madame : sa tante Sophie d’Osnabrück[6] qui était aussi sa principale correspondante. Mais les Bellifontains étaient habitués à recevoir des foules et, tant dans les vastes bâtiments du château que dans les manoirs des alentours et les demeures privées que les plus grands seigneurs s’étaient construites en ville, on arriva à caser tout le monde.

Pour Charlotte, c’était une sorte de baptême du feu en même temps qu’un moment de désenchantement. D’un seul coup, elle avait sous les yeux tout ce qui comptait au royaume de France mais sans doute pour la première et la dernière fois puisque dans quelques jours elle monterait en carrosse avec les femmes de la nouvelle reine pour un pays dont elle n’attendait rien sinon un ennui démesuré. Son nouvel ami Saint-Forgeat ne lui avait guère laissé d’illusions à ce sujet :

-    Un mien oncle y est allé avec je ne sais plus quelle ambassade. Il en est revenu horrifié : on y crève de chaud l'été, de froid l’hiver, les logis sont malcommodes, la nourriture infâme et les palais plus sinistres qu’un monastère de Chartreux, mais les églises, fort belles, ruissellent d’or. Quant aux distractions il n’y en a que deux : les courses de taureaux et les autodafés.

-    Les quoi ?

-    Au-to-da-fés ! Cela veut dire acte de foi et je n’ai jamais compris pourquoi : l’Inquisition, qui fait la pluie et le beau temps là-bas, vide ses prisons de temps en temps, empile sur des bûchers des Juifs, des relaps ou n’importe qui soupçonné d’avoir éternué pendant la messe ou quelque chose d’approchant et y met le feu. Tout le monde trouve ça charmant, mais je ne suis pas certain que cela plaise à notre princesse !