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Car, de temps à autre, Louis XIV jetait un coup d’œil à la tribune de droite. Là, juste en face de la nouvelle favorite, il y avait une autre statue de l’orgueil : une femme superbe, un peu trop en chair sans doute et plus âgée que Fontanges, mais possédant la peau la plus éclatante et la chevelure la plus dorée qui soit, de la teinte exacte de la robe qui la vêtait. Elle avait des yeux magnifiques, d’un outre-mer profond mais tellement chargés de colère que leur couleur s'effaçait par instants. Ils ne quittaient Fontanges que pour se poser sur le Roi, qui, alors, détournait les siens d’un air mécontent.

-    Qui est-ce ? demanda Charlotte à Saint-Forgeat quand on fut sorti de la chapelle.

-    Quoi ? Vous ne la connaissez pas ? Mais vous débarquez vraiment de votre campagne mon petit ?

-    Je sors de Saint-Germain, riposta-t-elle, vexée. Allez donc dire au Roi que c’est la campagne : il y est né !

-    Oui... Bon ! Excusez-moi et apprenez à connaître votre monde ! C'est la marquise de Montespan, ma chère ! Ses charmes tiennent notre Sire captif depuis... plusieurs années et elle lui a donné une collection de bâtards qu’il adore ! Mais les jeunes appâts de la Fontanges font sérieusement pâlir son étoile et elle n'aime pas ça. On peut la comprendre. Mais à mon sens elle a tort de se tourmenter : Fontanges est ravissante mais elle est bête à pleurer tandis que Montespan a un esprit d'enfer. Le Roi a beaucoup ri avec elle...

-    Mais il me semble avoir entendu parler aussi d'une certaine Mme de Maintenon ?

-    Ah, la gouvernante des petits bâtards ! Elle n'est pas présente aujourd’hui. Depuis l’arrivée de la belle rousse on en parle moins. Et cela se comprend !

-    Et la Reine dans cette histoire ?

-    Elle ? Vous venez de la voir ! Elle prie et répète à qui veut l’entendre que le Roi l'aime tellement ! Comme si elle voulait s'en persuader ! Seulement elle sait ce que c'est que garder sa dignité : cela sert d'être née infante ! Cela vous tient droite la vie durant ! Vous comprendrez mieux quand vous vivrez à Madrid ! C’est assez curieux dans un sens !

-    Vous en parlez à votre aise ! Je n'ai aucune envie d'y aller. Je ne parle même pas espagnol.

De cet air supérieur qu’il prenait parfois avec elle et qui l’agaçait prodigieusement, il lui caressa la joue du bout de ses doigts gantés de soie rose :

-    Bah ! A votre âge, on apprend facilement ! En outre, vous n’êtes pas vilaine. Vous nous séduirez quelque hidalgo à la moustache farouche qui vous couvrira de bijoux barbares...

-    Pourquoi barbares ?

-    Parce que nos Ibères en ont rapporté des caisses pleines des Amériques. Des pierres énormes qu’ils enchâssent dans des masses d’or pesantes en diable... mais vous ne m'écoutez pas ! Se plaignit-il soudain.

Charlotte, en effet, avait cessé de lui prêter attention et regardait Mme de Montespan qui s'appuyait au bras d’une dame. Elle bavardait d’un air indolent en maniant un éventail doré et venait dans leur direction. La splendeur de cette femme était fascinante et surtout il y avait cette allure royale qui semblait lui être naturelle. Brusquement, elle s'arrêta près des deux jeunes gens, fixant Charlotte avec curiosité :

-    Qui êtes-vous, Mademoiselle ? Je ne vous ai jamais vue ?

Sa voix était mélodieuse, bien timbrée mais impérieuse :

-    Cela tient à ce que je viens à la Cour pour la première fois. Depuis peu, j'étais fille d’honneur de Madame...

-    Et vous ne l’êtes plus ?

-    Non, Madame. Sa Majesté la reine d’Espagne a exprimé le désir de me prendre dans sa maison et je vais partir à sa suite.

-    Votre nom ? Ah ! Monsieur de Saint-Forgeat ! Je ne vous avais pas vu !

-    Charlotte de Fontenac, répondit l’interpellée tandis qu’Adhémar balayait le sol des plumes de son chapeau en bafouillant qu’il était tout à fait le serviteur de Mme la marquise de Montespan.

Celle-ci d’ailleurs s’en désintéressa aussitôt pour reporter son attention sur Charlotte qui décidément semblait l’intriguer. Elle demanda :

-    Etes-vous originaire du pays de Loire ?

Encore ! pensa Charlotte. La même question et presque avec les mêmes mots :

-    Non, Madame la marquise. Je suis originaire de Saint-Germain.

-    Ah!

Elle n’en dit pas davantage et s’éloigna avec sa compagne. Charlotte l’entendit dire :

-    Curieux cette ressemblance, vous ne trouvez pas ?

-    Elle n’est pas très évidente ! En outre, cette petite a sûrement plus de caractère que cette pauvre Louise. Et elle promet d’être plus belle...

-    Sans doute. Au fond c’est une bonne chose qu'elle quitte la France !

Les deux dames s'éloignaient lentement, ce qui avait permis de les entendre jusque-là car elles ne songeaient même pas à baisser leurs voix. Charlotte revint à Saint-Forgeat :

-    J’aimerais savoir à qui je ressemble ? C’est la seconde fois que l’on me fait cette remarque !

-    De qui était la première ?

-    Monsieur !

-    Il est assez bien avec la Montespan. Je pourrais le lui demander si... -

-    Si quoi ?

-    Si vous ne partiez pas ! Comme on ne sait si l’on vous reverra, ce n’est pas la peine de le déranger !

-    On n’est pas plus obligeant ! Grand merci !

Furieuse, elle tourna les talons et partit en courant rejoindre la maréchale de Clérambault qui devait accompagner la nouvelle reine jusqu'à la frontière et l’appelait d’un signe.

Quelques jours plus tard, Marie-Louise quittait Fontainebleau escortée d’un brillant cortège à la tête duquel était le chevalier de Lorraine. Quand elle l’avait appris, la jeune reine avait eu un mouvement de révolte :

-    Quoi ? Celui qui a assassiné ma mère ?...

On se hâta de lui expliquer qu’il n’en était rien, qu’il s'agissait seulement d’un de ces bruits de cour sans consistance comme en génère toujours la mort des princes, et que, surtout, Monsieur son père ne croyait faire mieux qu’en la confiant aux soins de son meilleur ami, mais elle ne voulut pas en démordre et sa tristesse ne fit que s’accroître. Enfin, ce fut l’adieu au Roi :

-    Madame, je souhaite de vous dire adieu pour jamais. Ce serait le plus grand malheur qui vous pût arriver que de revoir un jour la France...

On ne pouvait rien dire de plus cruel et Charlotte, indignée par la douleur qui se peignit à ces mots sur le joli visage de Marie-Louise, décida une fois pour toutes que cet homme n’avait pas de cœur et qu’elle le détesterait toute sa vie...