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Elles rejoignirent les appartements de Maria-Luisa au moment où elle y revenait soutenue par deux dames espagnoles. Elle restait encore très pâle et marchait péniblement, précédée par la Camarera mayor. Ce que voyant, Mme de Grancey explosa :

-    Pourquoi obliger la Reine à marcher ? Ne pouvait-on l'étendre sur une civière ou un fauteuil et la faire porter par des laquais ?

-    Seules des femmes peuvent toucher la Reine, Madame... et le Roi, bien entendu.

-    Eh bien il fallait faire porter votre brancard par des dames, vous par exemple ? Vous êtes assez solide pour ce faire !

-    Madame ! Sachez que...

Charlotte et Cécile n’en entendirent pas davantage. Elles enlevèrent Marie-Louise à ses porteuses empêtrées d’ailleurs dans leurs énormes jupes, la déposèrent sur son lit où Françoise Carabin, sa nourrice, accourut pour la dégrafer tandis que Charlotte appelait les femmes de service pour faire rallumer les braseros que l’on avait regrettablement laissés s’éteindre... Dame Isabelle et la Terranova poursuivaient leur différend oral, la première ne pouvant plus résister à son envie de faire entendre son point de vue sur le genre de distractions que l’on offrait à une jeune femme de dix-huit ans sous le prétexte qu’elle était reine d’Espagne.

-    Cent cinquante malheureux à moitié morts et livrés bâillonnés aux flammes, vous trouvez que c’est une distraction?

-    Que cela vous plaise ou non, c'est l’une de celles que le Roi Très Catholique apprécie particulièrement parce qu’elle élève l'âme par la vue de la purification et de la délivrance d’autres âmes infectées par le mal, l'hérésie ou leur sujétion au démon. Le malaise de Sa Majesté l’a vivement affecté...

-    On ne le dirait guère. Où est-il ? Il est resté sur son balcon ?

-    Naturellement ! Eût-il suivi la Reine que c'eût été une offense pour la Très Sainte Inquisition. En outre je peux vous assurer qu'il est fort contrarié de l’attitude de son épouse. Une reine...

-    Ce que vous appelez une attitude est pour moi un malaise totalement indépendant de sa volonté... Et j’ajoute qu’il pourrait être fatal au cas où Sa Majesté serait en attente d’enfant.

La Camarera mayor pinça un peu plus ses lèvres minces, qui, de ce fait, disparurent complètement :

-    Rien ne l'indique jusqu'à présent. De toute façon le Roi ne rejoindra pas la Reine aussitôt l'exécution achevée. Il ira d'abord prier au monastère San Geronimo pour le salut de son âme et celles de ces misérables auxquels on vient d'accorder la purification...

-    Seigneur, chuchota Charlotte, occupée à glisser un oreiller supplémentaire sous la tête dont Cécile ôtait les ornements de cheveux. Cette purification sent bien mauvais. Les fenêtres sont fermées et l'odeur arrive jusqu’ici !

A peine avait-elle achevé sa phrase qu'un nuage d’encens s’éleva des braseros dans lesquels on venait d’en jeter quelques grains. L’odeur en fut améliorée mais la vaste chambre devint presque irrespirable. Quelqu'un se mit à tousser puis quelqu’un d’autre. Dona Juana ordonna alors de rouvrir les fenêtres, ce qui risquait de ramener la situation à son point de départ, mais, heureusement, l'appel d’air attira les nuages parfumés qui firent écran contre la puanteur extérieure.

Les deux jeunes filles reculaient pour laisser les caméristes achever de déshabiller la Reine et la mettre au lit mais elles entendirent celle-ci chuchoter :

-    Ne partez pas ! Restez près de moi même si l’on veut vous faire sortir...

Elles se contentèrent donc de s'écarter, restant au bas des marches surélevant l'énorme lit à baldaquin doré mais sans rejoindre le cercle des dames qui se tenaient debout autour de la pièce dans une immobilité hiératique, les mains nouées sur leur giron. Dona Juana et son adversaire, ayant fini d'en découdre, s'étaient postées au bas des degrés chacune près d'un angle du lit, sans plus sonner mot.

Lorsque la Reine fut commodément installée dans ses draps de soie, Dona Juana frappa dans ses mains :

-    La Reine doit prier à présent. Retirez-vous, Mesdames!

Mlle de Neuville alors éleva la voix :

-    Sa Majesté désire que nous restions auprès d’elle, Mlle de Fontenac et moi ! Avec sa permission nous prierons avec elle !

-    Je le veux ! Articula Maria-Luisa.

La Camarera mayor, qui ouvrait déjà la bouche pour protester, fut obligée de la refermer. Le ton avait été royal, elle ne pouvait s'y opposer. Le mécontentement inscrit sur le visage, elle plongea dans sa révérence et imitée par toutes les autres l'on se retira en silence. Même Mme de Grancey, qui s'était contentée de lever un sourcil surpris.

Tandis que les dames sortaient, Marie-Louise, assise dans son lit, les suivit des yeux. Ce fut seulement quand la porte fut retombée qu’elle se rejeta en arrière, laissant éclater des sanglots violents mais avec suffisamment de présence d’esprit pour mordre la soie des coussins afin d'en étouffer le bruit. Aussitôt les deux filles furent près d’elle et Cécile, s'autorisant de leur enfance commune, l'entoura de ses bras en murmurant des paroles apaisantes comme l'on fait aux petits enfants qui ont du chagrin. Charlotte regardait sans trop savoir quoi faire, profondément désolée de découvrir pareille douleur chez celle qu’elle avait suivie sur le long chemin qui la menait à l’une des plus nobles couronnes du monde, mais apparemment pas au bonheur. Comment pouvait-il en être autrement d’ailleurs avec un tel époux ?

Enfin les sanglots s’apaisèrent et Marie-Louise retrouva peu à peu son calme mais sans quitter l’abri des bras de son amie d’enfance :

-    Nous voyons bien, dit Charlotte doucement, que Votre Majesté n’est pas heureuse. Ce qui nous désole et, s’il nous était donné de pouvoir apporter un adoucissement quelconque à tant de douleur...

-    Il se peut que vous puissiez, Charlotte. Je voudrais que le Roi mon oncle connaisse l’étendue de ma détresse et la réalité de ce mariage que tous voulaient si flatteur.

-    La Reine veut que je retourne en France pour porter ce message ? Je le ferais volontiers mais je suis peu de chose à la Cour. Le Roi ne daignera pas me recevoir !

-    Aussi n’en est-il pas question. Pour l’instant allez donc vérifier à la porte que nous ne sommes pas épiées. Pendant ce temps Cécile va me porter un peu d’eau.

-    Dans votre état, Madame, un peu de vin d’Alicante vaudrait mieux pour Votre Majesté, fit observer la jeune Neuville. Qu'au moins les produits de son royaume lui servent à quelque chose.

-    Si tu veux ! Soupira-t-elle en s'essayant à sourire.

Leur mission remplie, les deux jeunes filles revinrent s’asseoir sur le grand lit comme on le leur demandait afin d’être plus proches.

-    C’est vrai, commença la Reine, je veux envoyer un message au roi Louis mais je n’ai aucun moyen de réaliser ce souhait puisque je ne peux même pas écrire...

-    Une reine d’Espagne ne rédige pas de lettres elle-même parce qu’une reine d’Espagne ne possède ni plume ni encre, récita Cécile les yeux au plafond en imitant la Camarera mayor. En outre, pour correspondre avec qui que ce soit d’autre que son royal époux, elle doit en demander la permission. D’ailleurs, je ne suis même pas certaine qu’une reine d’Espagne ait le droit de savoir écrire...

-    Tu as résumé parfaitement la situation. Il faut d’abord que vous me trouviez de quoi écrire une lettre que je vous remettrai bien entendu. En même temps l’une de vous se rendra le plus discrètement possible chez l’ambassadeur de France, le marquis de Villars, qui réside dans la grande rue d’Atocha, mais ce n’est pas à lui que vous parlerez. Aussi faudra-t-il vous assurer auparavant que François de Saint Chamant est toujours à Madrid...