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Cécile de Neuville eut un petit rire vite étouffé :

-    Votre Majesté veut plaisanter ? Le beau François ne quitterait Madrid ni pour or ni pour argent tant que la Reine y sera et elle le sait bien. Il est tellement amoureux d’elle que même un ordre du roi Louis ne l’en tirerait pas !

Pour Charlotte la nouvelle venue, Cécile expliqua que ce jeune homme, lieutenant aux gardes du corps, s’était pris pour la princesse d’une véritable passion alors qu'elle avait à peine quatre ans et n’avait jamais pu s’en guérir. Il avait souffert mille morts quand il avait appris qu'elle aimait son cousin, le Grand Dauphin, et le mariage espagnol l’avait horrifié. Il s’était arrangé pour être de l’escorte et, depuis, implanté chez Villars qui lui était cousin, il n’en bougeait plus.

-    Il sera bien obligé de partir s’il m'aime tant. Je l’ai choisi pour porter ma plainte à mon oncle. Je veux rentrer en France, auprès de mon père et de la bonne Liselotte dont on ne m’accorde pas le droit de lire les lettres seule. C’est la Terranova qui les ouvre et les lit devant toutes les dames et avec un air pincé qui serait amusant s'il ne me faisait mal !

-    Madame, hasarda Cécile, le roi Louis tient énormément à ce mariage. Je ne pense pas qu'il consentirait à ce que vous le rompiez.

-    Parce qu’il croit que de moi va naître une dynastie nouvelle régénérée d’un sang nouveau, mais je n’aurai jamais d’enfants du roi Charles. Donc je ne sers à rien !

-    Pourquoi pas d’enfants ? S’étonna Charlotte. Il n’y a pas de nuits que le Roi ne passe auprès de la Reine et il me semble fort épris...

-    Auprès de moi, oui, mais c’est tout ! Lâcha Maria-Luisa exaspérée. Oui, il se couche auprès de moi et il me caresse indéfiniment mais il n’a pas accompli l’acte d’amour. Il en est incapable !

-    La Reine veut dire... qu’il est impuissant ? Souffla Cécile.

-    Evidemment qu’il l’est et moi je ne sers à rien. Si ce n’est sans doute à endosser la rancune et le mépris de ces gens quand, au fil des années, on s'apercevra que je ne donne naissance à aucun prince. C’est moi que l’on rendra responsable et Dieu sait alors ce qui m’arrivera ? La reine mère, l’Autrichienne Marie-Anne qui ne quitte jamais ses habits de deuil et presque jamais son couvent, me déteste sans me connaître parce que je suis française et vous pouvez être sûre qu’elle fera le maximum pour me nuire et mettre une cousine à ma place...

-    Cela n’avancera à rien si le Roi ne peut procréer.

-    Soyez sûre qu'elle fera ce qu’il faut pour que sa protégée, qui sera une Habsbourg comme elle, y parvienne. Alors je vous en prie, faites ce que je vous demande ! Il y va de ma vie..., acheva la jeune femme dont les larmes se remirent à couler.

A ce moment, la double porte de la chambre s'ouvrit en grand et un chambellan apparut et annonça :

-    Le Roi !

Cécile et Charlotte eurent juste le temps de sauter à bas du lit pour saluer le souverain qui ne leur prêta attention que pour leur montrer la sortie d’un geste autoritaire avant de se diriger vers sa femme en jetant son chapeau, sa canne et en commençant d’arracher son habit sans se soucier de faire sauter les boutons de diamants. Sa grosse bouche humide souriait et le regard halluciné, il répétait comme au jour de leur mariage :

-    Mi reina !... Mi reina !... Mi reina !

Comme un leitmotiv et en tendant les bras.

-    Lui arrive-t-il de lui dire autre chose ? Souffla Charlotte tandis qu'elles regagnaient leur chambre fusillées par le regard furibond de la Camarera mayor revenue dans le sillage du Roi :

-    Il n'a pas un vocabulaire très étendu, soupira Cécile. Quand il donne audience, assis sur son trône, l'œil fixe et le chapeau enfoncé jusqu’aux sourcils, il n'use jamais que de quatre formules, toujours les mêmes : « C'est possible... », « C’est souhaitable... », « Baisez-moi les mains » et « Nous verrons bien ».

-    Comment le savez-vous ?

Le beau regard gris de la jeune fille se mit à pétiller :

-    J’ai mes sources. L’un de ses gentilshommes me veut du bien et de plus, considérant son souverain comme un imbécile total, il en fait facilement des gorges chaudes... Remarquez, ajouta-t-elle après un instant de réflexion, je ne pense pas que

Charles soit idiot... Il est triste, capricieux, maladif et versatile mais il est très imbu de son rang. Il a des absences surtout à la suite de ses crises... en dehors de cela il connaît des moments d'intelligence... et je crois qu'il aime sincèrement sa belle épouse !

-    Souhaiteriez-vous être aimée par lui ?

-    Non ! Quelle horreur !

-    Alors occupons-nous sans plus tarder de tirer notre princesse des griffes de ce malade !

Les dames de la Reine ayant tout loisir d’aller où bon leur semblait quand elles n'étaient pas de service, on attendit la tombée du soir pour se rendre chez l'ambassadeur. Sur la Plaza Mayor, l'énorme bûcher n'était plus qu'un amoncellement de braises que les valets du bourreau tisonnaient au moyen de longues fourches pour attiser la combustion de ce qui pouvait rester, donnant une assez fidèle image de l'enfer qu'une foule aux yeux écarquillés persistait à regarder. L’odeur se dissipait peu à peu.

Chemin faisant, Charlotte et Cécile avaient affiné le plan initial : au lieu de confier à Saint Chamant une lettre pour le Roi à remettre au monarque en personne, on lui en donnerait deux. Une pour Madame la priant de bien vouloir se charger de la supplique. Elle ne demanderait pas mieux, aimant beaucoup sa jeune belle-fille qu’elle plaignait sincèrement, et Louis XIV, de son côté, accorderait davantage d’attention à la lettre que si elle lui était remise par n’importe quel autre messager.

A « l’ambassade », une grosse maison située dans le quartier d’Atocha où se groupaient les quelques commerçants français tolérés par le pouvoir, le marquis de Villars n'était pas visible. Au retour de l’autodafé Son Excellence avait pris médecine et s’était mise au lit. Quant à M. de Saint Chamant, il passait ses soirées, faute d’exutoires, dans une posada proche de l’Alcazar et donnant sur le Manzanares dont les berges constituaient la promenade préférée des Madrilènes. C’était d’ailleurs la plus huppée de la ville et l’on pouvait au moins être sûr que le vin y était bon et la maison propre.

Les deux jeunes filles, résolument décidées à mettre leur plan à exécution, s’interrogèrent sur ce qu’il convenait de faire: attendre le retour du jeune officier - mais s’il revenait complètement ivre ce serait du temps perdu ! - ou se rendre à l’auberge en question en espérant, justement, qu’il n'était pas encore trop éméché.

Arrivées en vue de la taverne éclairée seulement par ses quinquets intérieurs, elles hésitèrent bien naturellement à pénétrer dans cet univers inconnu d’où jaillissaient cris d’ivrognes, grattements de guitare et chansons dont il était certainement préférable qu’elles ne saisissent pas les paroles. Même masquées comme elles l’étaient et enveloppées de vastes pelisses à large capuche, ce n’était visiblement pas un endroit pour des demoiselles.

-    Que faisons-nous ? murmura Cécile. On entre ou l'on attend que Saint Chamant sorte ?

-    Je crois qu’il va falloir se décider à entrer. Si on l’attend on risque d’avoir le même problème que chez l’ambassadeur.

Mais la chance, ce soir-là, était avec elles. Au moment où, après un signe de croix, elles s’apprêtaient à franchir le seuil, un homme sortit et s’accota au mur de l’auberge pour respirer sans doute, car il resta là, son chapeau à la main, la tête tournée vers l’Alcazar dont la silhouette se découpait sur le ciel noir à peine éclairé par les feux brûlant aux murailles. A son costume, elles virent qu’il était français et s’élancèrent à sa rencontre pour lui demander si M. de Saint Chamant se trouvait dans l’auberge. Mais avant d’avoir ouvert la bouche, Cécile l’avait reconnu :