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-    Monsieur de Saint Chamant, dit-elle en ôtant son masque, nous sommes venues vous dire que la Reine a besoin de vous !

Il abandonna aussitôt sa rêverie pour scruter les deux visages :

-    Qui êtes-vous ?

-    Nous sommes de ses filles d’honneur : voici Mlle de Fontenac, et moi je suis Cécile de Neuville. Nous nous sommes déjà rencontrés au Palais-Royal !

On échangea des saluts :

-    Certes, certes, fit le jeune officier. Et vous dites que la Reine a besoin de moi ?

-    Sans aucun doute, appuya Charlotte. Elle attend de vous un service d’une extrême importance. J’irais même jusqu’à dire... vital !

L’émotion de Saint Chamant fut quasi palpable :

-    Elle ?... De moi ! Mais quel bonheur !... Peut-être devrions-nous quitter cet endroit...

Il les prit chacune par un bras pour les entraîner le long de la rivière là où il n’y avait plus d’autres lumières que celle, incertaine, du ciel. Ils trouvèrent bientôt un muret sur lequel il les fit asseoir, restant lui-même debout et le chapeau à la main.

Charlotte se souvenait de lui, à présent, pour l'avoir vu deux ou trois fois au Palais-Royal et à Saint-Cloud. C’était un homme d’une trentaine d’années, blond et de belle taille, au visage agréable mais sans autre caractère qu’une tristesse latente et qui semblait incurable. Mais, à l’instant où elle avait mentionné la Reine, elle avait senti qu’il s’éclairait en dépit de l’obscurité. Etait-ce la flamme de l’espérance ?

-    Que veut de moi sa douce Majesté ?

-    Que vous regagniez Saint-Germain sans délai et de toute la vitesse de vos chevaux...

La flamme s’éteignit instantanément :

-    Oh non !...

-    Si vous me laissiez finir ma phrase ? S’impatienta Charlotte. J’allais ajouter : pour porter d’urgence une lettre à Mme la duchesse d’Orléans...

-    N’importe quel courrier peut s’en charger ! Moi...

-    C’est une manie !... Une lettre qui en contiendra une seconde destinée au Roi. Une lettre qui ne devra tomber à aucun prix dans de mauvaises mains. Madame se chargera volontiers de la remettre. Ensuite... eh bien vous pourrez revenir !

-    Vous avez compris maintenant ? Enchaîna Cécile.

-    Je... Oh oui ! Oh ! Comment vous remercier d’avoir pensé à moi ?

-    Vous l’aimez, non ?

-    Oh si !... Plus que ma vie ! Donnez-moi vite ces lettres.

Il en trépignait presque. Charlotte posa sur son bras une main apaisante :

-    Une minute ! Il faut d’abord les rédiger et vous savez à quel point la Reine est surveillée. Elle n'est pas libre de prendre la plume elle-même. Ses lettres doivent obtenir l'approbation de Terranova. De plus, c'est cette vieille bique qui s'est arrogé le droit de lire, à haute voix, le courrier qui arrive de France. Soi-disant pour qu'aucun mot malsonnant n'offense les oreilles sacrées de la Reine !

-    Doux Jésus ! Elle est encore plus malheureuse que je ne le pensais.

-    C'est pourquoi il faut vous faire messager mon cher comte, conclut Cécile. Si vous en êtes d'accord, nous nous retrouverons demain, ici... et vers cette heure-ci. Mais n'allez pas boire au cabaret !

-    Juste ce qu’il faut pour me réchauffer. Je partirai à l’aube... suivante. A présent, je vais, s’il vous plaît, vous raccompagner à l'Alcazar. Les abords de la rivière la nuit ne sont pas un endroit pour les nobles demoiselles. Ni même pour les demoiselles tout court !

A leur retour, elles se postèrent à une fenêtre pour voir si leur messager était toujours là. Il avait en effet promis de ne pas bouger avant d'être certain qu’elles fussent en sécurité. Un premier quartier de lune s'était levé et éclairait suffisamment le chemin pour qu’elles puissent voir Saint Chamant s’éloigner en donnant tous les signes d’une joie exubérante, exécutant des entrechats en marchant et lançant son chapeau en l’air avec une virtuosité de jongleur. Charlotte émit :

-    Croyez-vous avoir fait le bon choix ? Il ne me semble pas fiable et, finalement, les courriers officiels auraient pu s'en charger !

-    Soyez tranquille ! S’il est fou c'est d’amour et il crèvera peut-être dix chevaux mais il fera le parcours plus vite que n’importe quelle poste.

Mlle de Neuville avait raison. Douze jours plus tard, François de Saint Chamant dégringolait de sa monture plus qu’il n’en descendait dans la cour du Palais-Royal. Dix minutes après, Madame le recevait tel qu’il était : crotté jusqu’aux yeux et mort de fatigue mais rayonnant de bonheur. Il avait réussi la mission confiée par sa reine bien-aimée et la double lettre remise entre les mains de Madame, il put en toute quiétude s’évanouir dans l’antichambre...

Dans le carrosse qui l’emmenait à Saint-Germain, Madame relisait pour la énième fois la lettre de sa belle-fille en se demandant comment le Roi allait recevoir celle qu'elle s'était chargée de lui remettre. Bien volontiers d'ailleurs : elle avait toujours été hostile à ce mariage délirant et plaignait sincèrement la pauvrette que l’on y avait contrainte. La peinture que celle-ci faisait de sa vie quotidienne avait quelque chose d’hallucinant : ces jours passés à ne rien faire - sinon prier ! - sous la surveillance d’un dragon femelle qui se mettait à la traverse du moindre désir dès l’instant où le Roi n’y avait pas part, ces nuits quasiment sans sommeil, livrée aux caresses malhabiles - et parfois violentes - d’un dégénéré incapable de leur apporter une conclusion naturelle ne pouvaient que révolter n'importe quelle jeune femme. Sa propre expérience conjugale n’avait rien d’exaltant mais au moins Monsieur, s’il n’était pas son idéal masculin, se comportait comme il convient pour un époux et lui avait donné des enfants qui étaient sa joie. Or, Marie-Louise n’avait aucune chance de connaître ce bonheur. Il était donc compréhensible qu’une fille de dix-huit ans essaie de sortir d’une telle situation. Madame n’en redoutait pas moins la réaction de Louis XIV. N’avait-il pas dit à sa nièce au jour de son départ qu’il espérait ne plus la revoir ?

L’idée l’effleura de passer d’abord chez la Reine avec qui elle entretenait les meilleures relations. A y réfléchir, le triste Charles II était son demi-frère mais au fond ce lien de parenté importait peu étant donné leur différence d’âge et le fait que leurs mères appartenaient à deux clans ennemis. En outre, la pauvre Marie-Thérèse, aux prises depuis des années avec les favorites successives de son époux, ne pouvait guère se targuer d’en avoir l’oreille. Enfin n’offrait-elle pas, depuis son mariage, l’image de la soumission aux volontés de Dieu d’abord, de son mari ensuite, se contentant d’opposer à la vie dissolue de Louis l’illustration parfaite d'une reine retranchée derrière sa dignité ainsi que celle d’une épouse exemplaire... et muette ! Sans doute plaindrait-elle beaucoup sa jeune belle-sœur, mais ne comprendrait pas qu’une souveraine pût vouloir se débarrasser de son époux comme de sa couronne...

Arrivée à destination, Madame envoya Theobon qui l’accompagnait faire préparer l’appartement réservé aux Orléans dans les résidences royales, puis apercevant M. de Saint-Vallier, capitaine des gardes de la porte, elle le fit appeler pour demander si le Roi était au château ou s’il chassait.

-    Non, Votre Altesse Royale. Sa Majesté a pris froid hier et ses médecins lui ont conseillé de ne pas sortir. Elle est dans son cabinet où Elle reçoit Mme la marquise de Maintenon...