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-    Pardonnez-moi ! murmura-t-il. Je n'avais pas le droit de faire cela !

Elle revint à une conscience nette mais, dans l'obscurité du porche qui les abritait, ses yeux se mirent à briller comme des étoiles :

-    Pourquoi ?... Cela signifie-t-il que vous m'aimez ?

-    Ne dites pas de sottises ! Je n'en ai pas le droit.

-    Pourquoi ?

-    Parce que vous êtes de grande famille et moi un homme sans naissance...

-    Quelle folie est-ce là ? Vous êtes bien vivant, il me semble, donc vous êtes « né ». C’est je crois la seule façon de venir au monde et elle est la même pour n'importe qui. Pour le Roi comme pour le balayeur !

-    Il ne faut pas dire ces choses-là, vous vous feriez jeter en prison !

-    Ce n’est qu'une simple logique. Embrassez-moi encore !

-    Je viens de vous dire que je n’en avais pas le droit...

-    Oh ne recommencez pas ! J’aime que vous m’embrassiez !

-    Vous êtes insupportable !

Mais il la reprit dans ses bras et cette fois elle glissa les siens autour de son cou pour mieux se serrer contre lui et l’enchantement reprit et dura... jusqu’à ce qu’un signal d’alarme s’allume dans l’esprit d’Alban... Charlotte devait être de ces femmes rares pour qui l’amour est un tout allant du simple battement de cœur au don total de soi. Il s’arracha avec l’impression douloureuse de s’amputer lui-même.

-    Rentrez vite maintenant ! Vos amis doivent être dans la dernière inquiétude !

-    Cela a-t-il de l’importance ? Dites-moi encore que vous m’aimez !

-    Non ! Vous possédez l’inquiétant pouvoir de me faire perdre la tête ! Il se trouve que j’en ai grand besoin, de ma tête!

-    Alors, c’est moi qui le dirais : je vous aime... je vous aime... je vous aime !

-    Mon Dieu ! Qu’ai-je fait ?

Sans ménagements, cette fois, il l’obligea à rentrer dans l'auberge à peu près vide à cette heure où, à une table près de l’âtre, le conseiller Isidore jouait aux dés avec le patron.

- Je vous la ramène ! clama-t-il du seuil. Trouvez-lui de quoi manger ! Elle doit mourir de faim...

Puis il s’enfuit, sauta à cheval, piqua des deux et s’enfonça au galop dans le Paris nocturne qu’il connaissait si bien et qui, cependant, ne lui était jamais apparu si beau !

Le lendemain matin, le même Isidore, conscient de ses devoirs envers ses jeunes protégées, louait une voiture pour les amener personnellement à Fontainebleau où, d’après ce qu’il avait pu apprendre, la Cour devait séjourner jusqu’au début de juillet.

Le soleil qui reparut dès le matin illuminait la campagne et ajoutait au charme de la petite ville débordante d'activité comme toujours lorsque le Roi et sa cour y résidaient. C’était une ambiance de fête perpétuelle où les trompes de chasse répondaient aux violons des bals. Pourtant, en retrouvant le beau vieux palais assis sur ses miroirs d’eau et ses jardins débordant de fleurs, Charlotte eut l’impression que quelque chose avait changé, que si le décor était toujours le même, l’atmosphère était différente. Peut-être parce que aucun mariage royal n’était prévu au programme de ce séjour ? Il est vrai que le mariage en question n’était réjouissant que pour ceux qui avaient pour tâche de donner de l'éclat à l'événement et à ceux qui y participaient.

Fidèle à sa mission, Isidore Sainfoin du Bouloy, paré des couleurs d’émissaire du marquis de Villars et même de la cour d’Espagne puisque la reine Marie-Louise avait remis une lettre à celles qui la quittaient, eut la satisfaction de conduire lui-même ses protégées jusqu’aux appartements occupés par les Orléans dans la cour des Princes. Chose extraordinaire, et bien que les échos de la chasse royale voltigeassent sur les lointains de la forêt, Madame était au logis... et de fort méchante humeur. Cette cavalière émérite avait été deux jours plus tôt jetée à bas de sa monture par une branche basse, en avait récolté quelques contusions et surtout une douloureuse entorse ne lui permettant de se déplacer qu’avec des cannes ou, plus élégamment, avec une canne et l’assistance d’un bras secourable. C’est du moins ce que leur apprit la duchesse de Ventadour, dame d’honneur, qui traversait l’antichambre de Madame quand elles y arrivèrent. Avec une amabilité dont cette dame, fort haute d'habitude, n’était pas coutumière.

- C’est le Seigneur Dieu en personne qui vous envoie ! dit-elle. Vous apportez avec vous l’air de la lointaine Espagne, des nouvelles de la petite reine et cela va lui changer les idées.

Après quoi, elle donna l’ordre que l’on appelle Mlle de Theobon avant de disparaître dans les escaliers, montrant une hâte qui en disait long sur son soulagement. La belle Lydie la remplaça presque aussitôt :

- Mais quel bonheur ! s’écria-t-elle en les embrassant. Vous êtes tout juste ce dont Madame a besoin ! Venez vite !

-    Madame ou vous ? Plaisanta Cécile Elle et Theobon se connaissaient en effet depuis l'arrivée en France de la Palatine.

-    Les deux ! Ou plutôt Madame et son entourage ! Sa jambe la fait souffrir mais aussi son bras droit, ce qui la gêne pour écrire ! Vous pouvez imaginer ce que nous vivons !

L’instant suivant elle les introduisait dans la chambre princière en les poussant pratiquement devant elle et en clamant :

-    Voilà des nouvelles qui vont sûrement réjouir Madame ! Mlles de Neuville et de Fontenac nous arrivent d’Espagne !

En vérité, le spectacle qu’offrait Elisabeth-Charlotte était affligeant. Emballée plutôt que vêtue d’une ample robe d’intérieur en taffetas rose ouvrant sur une chemise de batiste à volants parsemés de miettes de gâteau, elle mangeait du pain d'épices à demi étendue sur un lit de repos placé devant une fenêtre ouverte sur le parc. Le cheveu en désordre, la mine lugubre, elle avait encore grossi durant les huit mois d'absence des deux filles. Ce qui n’avait rien d’étonnant si l’on considérait les assiettes, drageoirs et autres corbeilles contenant des pâtisseries, des sucreries et des fruits variés qui l’environnaient. Il y avait bien deux ou trois livres abandonnés sur le tapis où l’un d’eux gisait ouvert, mais la princesse n’y attachait visiblement qu’une importance des plus limitées.

Du fond de sa révérence, Charlotte vit un sourire soulever les joues rouges et le double menton de la princesse, qui enfourna d’un coup le reste du gâteau afin de libérer ses deux mains qu'elle tendit aux arrivantes :

-    Pienfenues, cheunes villes ! barrit-elle, retrouvant sous l’effet de la surprise l’accent allemand dont elle avait tant de peine à se débarrasser. Fenez ça gue che fous emprasse !

Avec respect les voyageuses s’agenouillèrent pour recevoir chacune un baiser légèrement collant et parfumé au miel après quoi Madame leur ordonna de s’asseoir, chassa les reliefs de sa collation et croisa ses mains sur son ventre :

-    Racontez... vite... à... bre... présent !

Mais elle eut à peine le temps de terminer sa phrase : la sonnerie des trompes de chasse éclatait aux abords immédiats du château. Mlle de Theobon se précipita :

-    Voilà le Roi qui rentre, Madame ! Comme Sa Majesté va sans doute venir prendre des nouvelles, peut-être vaudrait-il mieux remettre le récit à plus tard pour que les femmes de Madame puissent l’accommoder comme il sied. Pendant ce temps je conduirai nos voyageuses à leur logis et, ce soir, elles auront tout le loisir d’apprendre à Madame ce qu’elle veut savoir ?

-    Certes, certes ! Vous avez raison ! Et veillez à ce que personne ne leur pose de questions avant que je les aie entendues... et même à ce que personne ne les voie en dehors des domestiques.