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-    Comme Madame voudra ! Je les emmène chez les filles d’honneur, n’est-ce pas ?

-    Pour ce soir oui et sans doute Mlle de Fontenac y restera-t-elle puisqu’elle en faisait partie au moment de son départ mais Mlle de Neuville était à ma belle-fille et il serait peut-être normal qu'elle rejoigne la petite Mademoiselle et ma fille ! Nous verrons cela ! Allez vite !

Et, dans une grande agitation, elle bouscula ses femmes pour les activer et mettre de l'ordre, ramasser les miettes, arranger sa coiffure et sa personne. A propos de coiffure, Charlotte s’intéressait à celle de Theobon. Surtout parce qu’elle en avait aperçu d'autres exemplaires sur les dames qu'elle avait croisées. Cela ressemblait à un éventail à moitié déployé planté droit sur la tête au milieu d'un entrelacs de rubans et de boucles de cheveux. C'était joli et la jeune fille ne retint pas longtemps sa curiosité :

-    C'est ravissant ce que vous portez là ! Mais qu'est-ce que c'est ?

-    Une « Fontange » ma chère ! Cela vous plaît ?

-    Beaucoup, mais pourquoi une « Fontange » ?

-    Cela coule de source : parce que notre jolie duchesse en a lancé la mode !

-    Duchesse ? Émit Cécile très surprise.

-    Eh oui, elle est duchesse, roule carrosse à huit chevaux, porte les plus beaux bijoux et les plus belles robes... inspire toutes les modes...

-    Parlez-nous d'abord de celle-ci. Comment en a-t-elle eu l'idée ?

-    Cela date de plusieurs mois. Un jour qu’elle chassait avec le Roi, le vent de la course a défait sa chevelure. Cela ne l'a pas émue : elle a alors rassemblé ses tresses en une sorte de bouquet au-dessus du front, l'a noué avec l'une de ses jarretières de ruban ornée de pierres précieuses et a continué la chasse. Elle était si jolie ainsi coiffée que le Roi lui en a fait compliment et que, dès le lendemain, presque toutes les dames de la Cour avaient adopté la « Fontange » dont elles varièrent les éléments. C'est, ainsi que vous le voyez, une simple armature de laiton tendue ici de taffetas rose mais que vous verrez couverte d’une foule d’autres tissus. On y ajoute des fleurs, des rubans bien sûr et des cheveux postiches la plupart du temps afin de ne pas compromettre l’ordonnance de la coiffure qui est en dessous. Vous allez devoir l’adopter car le succès ne fait que grandir[9]. Seules la Reine et Madame ont résisté jusqu’à présent mais cela ne saurait durer...

-    Ainsi notre ancienne compagne se trouve au faîte de sa gloire et continue de régner sans partage sur le cœur du Roi? demanda Cécile.

-    A vrai dire... plus vraiment : elle a eu un enfant au début de l’année et ses couches se sont mal passées. L’enfant est mort. Quant à cette pauvre fille, elle était affligée d’une perte de sang fort gênante dont elle est allée demander guérison à l'abbaye de Maubuisson où un certain prieur de Cabrières lui a prodigué des soins. Elle en est revenue il y a peu et elle va nettement mieux.

-    Le Roi doit en être charmé ?

-    Sans doute. Il a montré beaucoup de joie et d’attendrissement : la belle Angélique n'avait-elle pas été blessée à son service ? Mais il faut admettre qu’il prenait son mal en patience. Mme de Montespan l’attirait de nouveau et l’on put croire que l’ancienne passion renaissait mais...

-    Si « mais » il y a, observa Charlotte, il devrait évoquer une autre personne ?

-    Eh oui ! Il y a la bête noire de Madame, cette marquise de Maintenon dont l’influence sur le Roi ne cesse, à l’évidence, de grandir. Le Roi lui consacre chaque jour un peu plus de temps. Il s’enferme avec elle et ceux qui ont de bonnes oreilles les entendent rire parfois. Il est vrai qu’elle sait l’art de la conversation puisque, dans sa jeunesse, elle a fréquenté les salons du Marais, les Précieuses, et qu’autour du difforme Scarron, son défunt mari, se rencontraient les plus beaux esprits de Paris. Cela lui sert.

-    Pourtant j’ai entendu vanter l’esprit de Mme de Montespan et l’éclat de sa conversation ?

-    Certes, tout cela est fort brillant... Mais parfois cruel et ses flèches n’épargnent personne. Pas même le Roi.

-    Le Roi ? Elle oserait ?

-    Tout ! Il faut comprendre. La belle Athénaïs est une fort grande dame. Les Rochechouart-Mortemart, sa famille, appartiennent à la plus haute noblesse du royaume, la plus ancienne aussi, celle qui élisait le souverain[10]. Si la Reine venait à disparaître, le Roi pourrait l’épouser sans déchoir. En admettant que son époux, le marquis de Montespan, ait le bon esprit de passer de vie à trépas. Ce n’est pas le cas de la Maintenon qui a dû creuser son chemin dans l’ombre. Devenue veuve, elle entra au service de Montespan, dont elle éleva discrètement les bâtards royaux dans une modeste maison de Vaugirard. Le Roi y venait voir ses enfants et, à cette époque, il trouvait leur éducatrice fort ennuyeuse, un peu trop pédagogue, mais il aimait sa progéniture. En particulier le petit duc du Maine, qu’il appelait « mon mignon » mais qui était de santé fragile et boitait bas. Mme Scarron lui a montré une tendresse de mère, l’a soigné particulièrement et même l’a emmené par deux fois à Barèges pour lui faire suivre une cure thermale qui lui a fait le plus grand bien. Les terres de Maintenon et le titre de marquise ont couronné cette réussite puis les enfants et leur gouvernante étant venus vivre à Saint-Germain, les entretiens entre elle et le père se sont faits plus longs, plus intimes aussi. En fin de compte, Sa Majesté aurait remarqué que la dame n’est pas laide, même si elle a passé fleur.

-    Est-elle devenue... sa maîtresse ?

-    Ça, c’est ce que l’on aimerait bien savoir. Certains pensent que oui, d’autres que non. Ici on pencherait plutôt du côté du non, la passion que le Roi a éprouvée pour Fontanges ne laissant guère de place pour une nouvelle aventure.

-    Et comme il l’aime toujours..., avança Cécile.

-    En principe, mais, depuis son mauvais accouchement, la jeune duchesse a moins d’allant. Et surtout elle est un peu moins belle. Son visage s’est légèrement alourdi et elle a perdu cette pétulance gracieuse qui la faisait irrésistible. Aussi le Roi retourne-t-il de temps à autre, paraît-il, honorer le lit de la toujours éclatante marquise. Ce qui n’empêche pas la gouvernante de poursuivre un dessein facile à deviner. Ces dames se haïssent ouvertement à présent...

-    Mais enfin qui le Roi aime-t-il au juste ?

-    Au fond, on l'ignore. La Cour est en ce moment gouvernée par quatre « divinités » Fontanges qui pleure, Montespan qui fulmine, Maintenon qui chuchote et la Reine qui prie.

-    C’est vrai, mon Dieu ! Comment s'en accommode-t-elle ?

-    Selon son habitude : avec une remarquable dignité !

En entendant, sous les fenêtres, le vacarme du retour de chasse, Mlle de Neuville s’en était approchée et regardait dehors :

-    N'y en aurait-il pas une cinquième ? Le Roi a mis pied à terre pour rejoindre une jeune cavalière qu'il aide à descendre et rit avec elle. Seulement celle-là est vraiment laide!

Lydie de Theobon jeta un coup d'œil à l'extérieur et s'esclaffa :

-    Aussi ne participe-t-elle pas au concours. La jeune dame que vous voyez, mesdemoiselles, est Son Altesse Royale, Madame la Dauphine.

-    La Dauphine ? firent les deux jeunes filles d'une seule voix.

La gaieté de leur mentor s’accentua :

-    Ma parole, vous arrivez du bout du monde ? Ne vous a-t-on rien dit à Madrid des noces de Monseigneur le Dauphin qui ont eu lieu en février ?

-    Non, reprit le duo.

-    Un bon point pour M. de Villars ! Il a dû vouloir épargner un chagrin supplémentaire à la reine Marie-Louise qui était si fort éprise de Monseigneur. Il faudra bien pourtant en venir à l’informer. Toujours est-il qu’à l’automne dernier, M. Colbert de Croissy a été envoyé en ambassade auprès de l’Electeur de Bavière pour rencontrer la jeune fille et faire parvenir un portrait. Rude mission quand il s’est trouvé en face d’elle ! Mais c’est un homme intelligent qui sait aller plus loin que les apparences. Il a envoyé le portrait en y joignant un rapport sur toutes les belles qualités de la princesse. Chose incroyable : le portrait qui catastrophait Sa Majesté a plu à Monseigneur. Il s’est déclaré prêt à épouser. Finalement la princesse a pris le chemin de la France et en rejoignant son maître, M. Colbert de Croissy a dit : « Sauvez le premier coup d’œil, Sire et vous serez content ! » Et en effet, c’est ce qu’on pourrait appeler une « charmante laide ». Elle est gaie, cultivée, musicienne - important pour Monseigneur ! -, pleine d’esprit, de gentillesse et d’allant. Résultat le Dauphin est bel et bien tombé amoureux d’elle !... Ah, j’allais oublier : la Maintenon a été nommée seconde dame d’atour de la Dauphine !... A présent, je crois, mes belles, vous en avoir assez dit pour vous éviter des impairs ou des questions intempestives ! Installez-vous, mangez, dormez afin d’être fin prêtes pour entamer demain une nouvelle vie !