- Mais, hasarda Charlotte, Madame voulait nous parler ce soir ?
- Je lui dirai que le voyage vous a exténuées. Ainsi vous pourrez mettre un peu d’ordre dans vos idées...
CHAPITRE VI
RENCONTRES NOCTURNES DANS LE PARC
Dès que Madame en eut fini avec les cérémonies de son lever - plutôt réduites étant donné qu’il s’agissait seulement de la transporter de son lit à sa chaise longue ! -, elle fit sortir ses femmes mais retint Cécile et Charlotte. A la première, elle confirma son retour auprès de la classe enfantine : la jeune Anne-Marie, sœur de la reine d'Espagne, onze ans, le petit Philippe, six ans, qui dans quelques mois passerait chez les hommes, et la mignonne Elisabeth-Charlotte, quatre ans. Mlle de Neuville, qui adorait les enfants, remercia et s’en alla rejoindre son poste avec satisfaction. Cet univers enfantin n’aurait aucune peine à être plus amusant que les interminables stations debout, les mains croisées sur le ventre le long d’un mur du palais orné de portraits rébarbatifs. En outre, elle ne serait pas séparée de son amie, la progéniture du couple princier le suivant dans ses diverses résidences. Cela c’était le côté mère poule de Madame, durement touchée par la mort de son petit duc de Valois survenue deux ans auparavant.
Quand elle fut seule avec la princesse, Charlotte, devinant ce qui allait suivre, s'arma de courage. Même prévenue par La Reynie, même protégée par le souvenir de ses premiers baisers, elle savait que l’annonce, autant dire officielle, lui serait rude. Et, de fait, quand, avec une délicatesse qui donnait la mesure de son cœur, Madame lui eut relaté les affreuses circonstances du meurtre, elle n’essaya pas de retenir ses larmes.
- Qu’avait-elle fait pour mériter un sort aussi abominable ?, murmura-t-elle entre deux sanglots.
- Mais... rien ma pauvre petite ! Elle a été attaquée par des brigands dont il faut espérer que l’habileté de M. de La Reynie saura les retrouver et leur faire subir le châtiment qu’ils méritent.
- Des brigands attaquent pour dévaliser leurs victimes pas pour les tuer, surtout de cette manière barbare. Ils doivent savoir que le prix à payer pour l'assassinat d'une noble dame sera beaucoup plus lourd que pour un vol. Ou alors ils ont été grassement payés...
- Mais quelle horreur ! Qu’allez-vous penser là ?
- Je demande infiniment pardon à Madame si je la choque mais je ne peux m’empêcher de penser que si ma tante ne m’avait pas accueillie après ma fuite du couvent ou si elle s'était contentée de me ramener chez ma mère, elle serait encore vivante !
- Il ne faut pas dire de telles choses. Vous savez bien que les chemins ne sont pas sûrs. Si ces gens ont tué c’est parce qu’ils craignaient d’être un jour reconnus !
- Passe pour le cocher, les laquais afin d’arrêter la voiture mais, si elle se parait avec un goût et une élégance raffinés, Mme de Brécourt portait peu de bijoux sauf dans les grandes occasions. Y avait-il fête à la Cour ce soir-là ?
- Oh que non ! C’était le soir du Jeudi saint !
- En plus ! Madame voudra bien admettre que j'aie raison : ma chère tante a été assassinée pour m’avoir protégée, sauvée du sort que me réservait ma mère.
- Oh ! fit Madame scandalisée. L’accuseriez-vous d'avoir payé des assassins ?
- C’est là que le bât blesse. Ce genre de service doit coûter les yeux de la tête et ma mère est avare sauf pour elle-même et ses plaisirs. Je sais qu'elle serait capable de n'importe quoi pour s'approprier la fortune de mon père qui me revient par droit d’héritage. Si le poison avait été l’outil de ce forfait, je n’hésiterais pas un instant à l’accuser...
- Le poison ? On voit, ma petite, que vous avez été éloignée de France tous ces mois. La Cour telle que vous la voyez en ce moment courbe le dos par crainte des accusations et la Chambre ardente ne désemplit pas ! L’horrible femme Voisin a été exécutée il y a quelques semaines mais depuis un an qu’elle était emprisonnée elle a eu le temps d’accuser bien du monde et depuis qu’elle est morte, sa fille et une autre sorcière ont continué de livrer des noms. On s’est assurés de Mme de Polignac, de Mme d’Alluye, du maréchal de Luxembourg, de M. de Cessac. La comtesse de Soissons elle-même, la belle Olympe cousine du Roi et qui a été sa maîtresse, prévenue à temps, s’est enfuie à l’étranger. Le tribunal a voulu entendre aussi la maréchale de La Ferté, Mme de Tingry, la duchesse de Bouillon, la comtesse du Roure... et beaucoup d’autres.
- Tant que cela ? Souffla Charlotte abasourdie.
- Et plus encore ! Ne vous y trompez pas, depuis le mariage de Mademoiselle, Fontainebleau a énormément changé. Dans toute la noblesse à présent on redoute d’apprendre qu’un membre de sa famille est suspect. J’ai même ouï parler de deux suivantes de Mme de Montespan. Et, depuis que notre pauvre Fontanges est plus ou moins patraque, les mauvaises langues se posent des questions bizarres. Alors, si cette chère Brécourt était morte empoisonnée le danger eût été redoutable pour ceux de sa famille. Une attaque de brigands, par comparaison, paraît presque anodine. Normale en quelque sorte auprès de ces horreurs longtemps cachées et qui viennent au grand jour...
- A... a-t-on pu prévenir son fils, mon cousin Charles, qu'elle aimait tendrement ? Je sais qu’il sert à la mer mais je ne sais pas sur quel vaisseau et la mer est vaste...
- Soyez certaine que M. de Colbert le sait comme tout ce qui touche à cette marine qu’il aime tant. En outre, très proche de la Reine, notre Mme de Brécourt n’était pas n’importe qui et sa fin tragique a fait un bruit énorme...
- Pas suffisamment cependant pour venir jusqu’en Espagne, constata Charlotte avec tristesse. Votre Altesse saurait-elle où elle est enterrée ? J’aimerais prier sur sa tombe...
La rougeur que lui procurait son petit déjeuner s'accentuant un peu, Madame avoua qu’elle l’ignorait mais conseilla :
- Demandez à Theobon. C’est une vraie gazette !
Et de fait, Lydie était au courant. Sachant à quel point la défunte était proche de Charlotte, elle s’était renseignée :
- Le corps embaumé a été déposé dans la chapelle de Prunoy où il attend le retour de son fils, qui, sans doute, le fera déposer à Brécourt auprès des ancêtres.
- Donc mon cousin Charles n’est pas rentré ? Madame l’ignorait.