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-    Je ne saurais le dire, fit Charlotte embarrassée. Je sais qu’il arrive au roi Charles d’y aller chasser...

-    Y a-t-il espoir d’un héritier à naître ? demanda Monsieur.

-    A notre départ la Reine n’annonçait aucun signe avant-coureur mais... quelques mois seulement se sont écoulés depuis le mariage !

-    J’ai l’impression que l’on n’a pas fini d’attendre, ricana le beau Philippe méprisant. On le dit impuissant ?

-    Comment veux-tu qu’une jeune fille de cet âge puisse répondre à pareille question ? Corrigea Monsieur. Le temps en s’écoulant nous dira ce qu’il en est. Merci, Mademoiselle de Fontenac, de vos nouvelles. Je verrai aussi Mlle de Neuville et nous pourrons comparer...

Comprenant que l’entretien s’achevait là,

Charlotte recula pour saluer le prince mais Lorraine avait encore une flèche empoisonnée à sa disposition :

-    Comment se fait-il, Mademoiselle, que vous ayez été rappelée avec Mlle de Neuville, seules des femmes de la Reine?

-    Je l’ignore, Monsieur le chevalier !

-    Etrange non ? Mme de Grancey aurait dû vous accompagner ainsi que les autres. Pourquoi sont-elles restées ?

-    Simple fille d'honneur je ne suis pas dans le secret des dieux. Mlle de Neuville ne l’est pas davantage. Nous ne faisons qu’obéir aux ordres ! Mme la comtesse de Grancey répondrait sans doute mieux que moi à cette question. C’est une puissance à la Cour et la duchesse de Terranova en sait quelque chose : la comtesse a rompu maintes lances avec elle.

Un sourire s’épanouit sur le visage de Monsieur :

-    Cela ne m’étonne pas d’elle. Une maîtresse femme s’il en est ! N'est-ce pas Philippe ? Il serait préférable pour ma fille qu’elle restât auprès d’elle le plus longtemps possible. Une dernière question, Mademoiselle ?

-    Aux ordres de Votre Altesse Royale !

-    Vous n’êtes pas revenues seules j’imagine. Deux gamines sur les grands chemins...

-    Non. M. de Villars nous avait confiées à un vieux conseiller de son ambassade en poste à Madrid depuis quinze ans et qui rentrait en France pour recueillir un héritage. M. Sainfoin du Bouloy. En voyant le Palais-Royal vide, il a tenu à nous escorter jusqu’ici. Il a dû passer la nuit dans une auberge mais, à cette heure, doit être reparti !

Enfin libérée, Charlotte retourna par où elle était venue rendre compte à Madame. Elle aurait cent fois préféré s’entretenir seule à seul avec Monsieur dont elle savait qu’il était naturellement aimable, généreux et compréhensif à condition que le chevalier de Lorraine lui laisse la bride sur le cou. Elle n’aimait pas du tout Lorraine : il possédait la beauté d'un archange déchu et le regard froid d’un serpent.

En pénétrant chez Madame, elle la trouva toute agitée et dut lui répéter presque mot pour mot ce qu’elle avait dit. Mais lorsque la jeune fille déclara qu’elle avait tu la raison de son rappel, la princesse poussa un soupir de soulagement :

-    Vous n’avez pas fait état d’un ordre du roi Louis ?

-    Non, Madame. J’en aurais peut-être parlé si j’avais été seule avec Monsieur mais j’avoue que la présence du chevalier de Lorraine...

-    Vous vous en méfiez ? S'il vous déplaît seulement la moitié de ce que j'éprouve pour lui, vous voilà garantie, mais pour une fois c'est une bonne chose qu'il ait été là. Lorsque je me suis rendue à Saint-Germain pour plaider la cause de notre petite reine, le Roi a exigé que je n'en sonne mot à Monsieur, se réservant de s’en charger lui-même. Courez à présent chez mes filles et mettez Neuville en garde !...

Le retour de Charlotte à Fontainebleau marqua le début d’une chaleur caniculaire. Ville et château se mirent en défense... Fenêtres et volets grands ouverts du soir tombant à l’aube se refermaient à l’unisson pour conserver un semblant de fraîcheur. Grâce à Dieu l’épaisse forêt environnante et les arbres centenaires du parc apportaient une protection appréciable et les bains en Seine connurent une affluence. A Valvins où la barge où l’on se déshabillait restait en permanence, Monsieur et ses gentilshommes, le Roi et les siens et aussi les dames les plus jeunes allaient oublier un moment le poids des lourdes soieries, des traînes, des habits surbrodés et même des joyaux. Ensuite chacun rentrait chez soi pour une sieste bienvenue. Même le Roi mangeait moins, ce qui ne voulait pas dire qu’il s’était mis au régime. Il est vrai qu’il compensait ses divertissements par de longues heures à sa table de travail avec l’un ou l’autre de ses principaux ministres Colbert et Louvois. La nuit on se rattrapait. On jouait, on dansait, on applaudissait les comédiens, on se promenait dans la verdure des parcs ou bien en barque sur les plans d’eau en admirant le ciel bleu foncé semé d’étoiles, on faisait médianoche au son des violons et il n’était pas rare que des couples se perdent dans les bosquets surtout quand le rossignol se faisait entendre. Cependant, par crainte des incendies, le Roi avait interdit les feux d’artifice...

Seules la Reine et Madame vivaient en marge des fêtes du château. En bonne Espagnole, Marie-Thérèse ne redoutait pas la chaleur et ne changeait rien à son programme, faisant sa promenade quotidienne en abritant son teint de blonde sous un parasol, allait à la messe et dînait avec son époux mais ne variait pas ses habitudes de prières et de charité.

Quant à Madame, l’état de sa jambe ne s’améliorait pas. Son impatience lui avait fait poser le pied à terre trop tôt. En outre elle trompait son ennui en grignotant toute la journée, augmentant son surplus de poids sous lequel ses pieds, petits et élégants comme ses mains, ne cessaient de protester. Elle essayait de lire, n’écrivait pas parce que la position assise à sa table, la jambe étendue sur un tabouret garni d’épais coussins, lui était incommode et passait des heures à transpirer abondamment en se faisant éventer par des valets... La nuit venue, on la descendait dans les jardins à l’aide d’un fauteuil porté par de solides laquais et on la déposait dans une chaise roulante que poussait Eléonore von Venningen, la plus vigoureuse de ses filles d’honneur. Heureuses d’échapper à la touffeur de l’appartement, les autres femmes suivaient avec empressement. On faisait le tour de l’étang des Carpes ou du Parterre, on rejoignait le canal en évitant les salons où se déroulait la fête du soir. Puis on rentrait et il arrivait que Madame demandât ses musiciens pour l’aider à s’endormir... Monsieur venait tous les matins, encore tout frais de son bain, ce qui entretenait chez sa femme une mauvaise humeur latente dont il avait pleinement conscience :

-    Que ne vous faites-vous porter en Seine vous aussi ? Cela vous requinquerait...

-    Grand merci ! La Cour s’y précipite à longueur de journée sauf aux heures du zénith et je n’ai pas envie de me montrer...

Le Roi, lui, sachant pertinemment que sa « sœur » n’aimait pas à être vue quand elle ne se jugeait pas montrable, envoyait prendre de ses nouvelles chaque jour, chargeant ses messagers de présents, de fleurs, de fruits et même de sorbets. Il avait proposé son premier médecin D’Aquin mais Madame, qui ne supportait ni la médecine ni les médecins, déclara que son propre praticien Nicolas Lizot suffirait largement pour l’usage qu’elle voulait en faire. Elle détestait les saignées, avait en horreur les clystères qu’elle jugeait offensants pour la pudeur. En bonne Allemande elle ne croyait guère qu’aux remèdes prescrits au XIIIe siècle par sa compatriote sainte Hildegarde, abbesse de Bingen... Encore faisait-elle le tri dans ceux-ci basés surtout sur la façon dont il convient de se nourrir lorsque l’on voulait rester en bonne santé.

Ce soir-là, il y avait jeu chez la Reine. En arrivant en France, Marie-Thérèse s’était découvert la passion des cartes. Elle s’y adonnait avec un visible plaisir, perdant parfois de grosses sommes avec un parfait naturel. La Cour se pressait alors chez elle, car c’étaient les seuls moments où l’on était sûr de s’y amuser.