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-    Je vous ai dit que...

-    Ne rabâchez pas ! Je suis au courant, vous savez toujours tout. Alors ?

-    Il s'appelle Eon de La Pivardière, le prétendant de votre mère.

-    C'est impossible ! Ils sont en Italie tous les deux !

-    On en revient ! Vous êtes bien revenue d’Espagne, vous ? Alors, un conseil d’ami : méfiez-vous !

Et, aussi prestement que s’il eût été un elfe des bois, il disparut derrière les arbres du Quinconce, laissant Charlotte trop étourdie pour mettre deux idées bout à bout. Et ce fut à pas lents qu’elle rentra chez Madame…

CHAPITRE VII

LES SOUCIS DE M. DE LA REYNIE

Charlotte ne revit pas Mlle de Fontanges. En dépit des soins du prieur de Cabrières accouru à son chevet, les pertes de sang continuaient et la jeune femme allait s’affaiblissant. Le Roi venait chaque jour prendre de ses nouvelles mais il ne s'attardait guère plus de quelques minutes, ce qui désespérait la malade. Chacun devinait qu'elle allait bientôt quitter la scène où, pendant plus d’une année, elle avait joué un premier rôle si divinement grisant !...

A sa demande, celui qu’elle aimait tant lui accorda une ultime faveur. S'autorisant de ce que, dix ans auparavant, Mme de Montespan avait obtenu pour sa sœur aînée Gabrielle de Rochechouart-Mortemart la plus que royale abbaye de Fontevrault où elle régnait sur une double communauté - féminine et masculine ! - ainsi que sur les tombeaux des rois Plantagenêt d’Angleterre, Angélique demanda l’abbaye de Chelles pour sa sœur Catherine de Scorailles de Roussille. Fondée jadis par la sainte reine Radegonde, et toujours sous la crosse d’une abbesse de haut rang, Chelles n’était inférieure que de peu à Fontevrault. En outre, la jeune Catherine, en religion depuis l'âge de quatre ans par vocation, venait de l’abbaye de Faremoutiers dont sa tante Jeanne de Plas était abbesse. Elle était donc tout à fait digne de s'asseoir au siège abbatial.

Le 12 juillet, la Cour quittait Fontainebleau pour rejoindre Saint-Germain après avoir assisté au départ de la nouvelle abbesse que suivait, dans son carrosse de voyage à huit chevaux, Mme la duchesse de Fontanges accompagnée de son confesseur et d’une nuée de domestiques, femmes de chambre, cuisiniers, valets de pied et autres serviteurs composant alors le personnel d’une maison ducale. Ses autres sœurs, son frère et quelques amis venaient ensuite, tassés dans des carrosses à quatre chevaux. La Cour entière assista à ce départ qu’elle s’en serait voulue de manquer. Le Roi en personne mit en voiture celle dont tous savaient qu’elle ne reviendrait plus. Et elle, de son côté, avait fait ce qu’il fallait pour que soit inoubliable cette dernière image qu’elle offrait à la Cour... Vêtue de satin d’azur pâle et de dentelles neigeuses givrées de brillants, ses magnifiques cheveux d’or roux mêlés de perles et artistement décoiffés sous cette « fontange » scintillante qu’elle laissait pour emblème, portant à la gorge, aux poignets et aux oreilles les plus beaux diamants offerts par son royal amant, droite et fière en dépit de son mal, un éventail aux doigts, elle semblait quelque divinité venue visiter une terre indigne de la garder et on put voir une larme se perdre dans la moustache de Louis XIV quand le carrosse se fut enfoncé sous les arbres de la forêt.

Comme tout le monde - et à son rang -, Madame, entourée de ses dames et demoiselles, assistait au départ de son ancienne fille d’honneur montrant un air de mélancolie qui lui était peu habituel :

-    Qui eût cru, soupira-t-elle, qu’un astre aussi éclatant fût passé aussi vite ? Le Roi l'aimait si fort que l’on aurait pu croire son règne se poursuivant durant des années. Jusqu’à ces derniers mois elle était la jeunesse incarnée... Et regardez maintenant ce qui reste à notre Sire ? La robe noire et les yeux hypocritement baissés de cette Maintenon qui a le double de son âge !

-    Mme de Montespan a le même pourtant et elle est encore remarquablement belle ! Voyez-la plutôt dans sa calèche ! Elle rayonne positivement !

-    Elle aurait tort de pleurer, remarqua Mme de Ventadour. Fontanges était son œuvre et elle l’a complètement éclipsée. J'ai l’impression qu’elle lui a donné la peur de sa vie. A présent la voilà libérée !

-    A ce propos, demanda Charlotte à Theobon, comment se fait-il qu’elle soit devenue duchesse alors que Mme de Montespan qui a donné des enfants au Roi n’a pas été élevée au tabouret ?

-    C’est tout simple. Fontanges n’est pas en puissance de mari, ce qui n’est pas le cas de la belle Athénaïs. Pour en faire une duchesse il aurait fallu faire un duc de l’encombrant Montespan !

-    Oh, encombrant, il ne l’est plus guère, remarqua Mme de Ventadour. Il vit retiré sur ses terres où il a fait célébrer les funérailles de sa femme. J’admets qu’au moment où a éclaté la passion du Roi ce n'était pas le cas : on ne voyait que lui à Saint-Germain, en grand deuil et portant à son chapeau une gigantesque paire de bois de cerf. A la suite de quoi il a tâté de tout : de la Bastille comme de l’exil sans modifier le moins du monde sa position.

-    Il n'a jamais servi aux armées ?

-    Que si... et fort brillamment, reprit Theobon, mais la mort n’a pas voulu de lui... pas plus que sa femme !

-    On ne le voit jamais à la Cour ?

-    Vous voulez rire ? La dernière fois - et cela remonte à des années -, il voulait se battre en duel avec le Roi !

-    Evidemment !

Quand le - triste ! - cortège de la nouvelle abbesse et de sa sœur se fut effacé, le Roi et la Reine quittèrent Fontainebleau pour rentrer à Saint-Germain tandis que les Orléans se disposaient à regagner le cher Saint-Cloud avec un enthousiasme unanime. Madame y était plus heureuse que partout ailleurs ; quant à Monsieur son époux, il avait toujours la tête pleine de nouveaux agencements pour son beau château et brûlait de les mettre en pratique. En outre, il se trouvait à l'étroit dans son logis de Fontainebleau et ne voyait pas pourquoi son frère l'obligeait à cette contrainte quand il était tellement mieux chez lui !

-    C'est ce qu'il est convenu d'appeler la vie de famille, lui rappelait Madame qui pour des raisons personnelles ne détestait pas le voisinage quotidien d'un beau-frère un rien trop séduisant.

-    La vie de famille ? Est-ce que je sais ce que c'est ? Au temps de l'affreux Mazarin nous vivions avec les domestiques, Sa Majesté et moi, et nous nous disputions à qui aurait l’assiette la mieux garnie... quand on pensait à nous nourrir ! Et nous dormions dans des draps troués quand M. le Cardinal se vautrait dans la soie et le velours ! De temps en temps on nous décrassait, on nous habillait avec magnificence pour nous montrer au peuple, à des visiteurs étrangers ou pour un Te Deum à Notre-Dame après quoi on nous renvoyait à notre grisaille ! Alors que venez-vous me parler de vie de famille ? Vous savez ce que c’est. Moi pas !

Et vivement applaudi par la horde dorée de ses gentilshommes, Monsieur, un voile sur la figure pour éviter que le soleil ne gâte sa peau délicate, grimpa dans son carrosse en compagnie du chevalier de Lorraine, du marquis d’Effiat et de Saint-Forgeat... Et l’on partit à travers la luxuriante campagne briarde.

On ne gagna pas Saint-Cloud directement. Une halte au Palais-Royal s'imposait pour procéder à un échange de bagages et, pour Monsieur, apprendre les nouvelles de la capitale qui lui tenait fort à cœur et dont il se savait presque plus roi que son aîné.

On venait juste d'arriver quand Charlotte reçut un billet de La Reynie : Charles de Brécourt était rentré depuis deux jours dans l'hôtel familial où il mettait de l’ordre dans ses affaires et, sans doute, s’occupait des funérailles de sa mère avant d’aller présenter ses devoirs au Roi et à son ministre Colbert. C’était enfin une bonne nouvelle et Charlotte n’eut aucune peine à obtenir la permission de se rendre rue de la Culture-Sainte-Catherine. Madame y mit seulement une condition :