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- Pourquoi n’iriez-vous pas au bal ? proposa alors Charlotte à son amie. Vous n’avez pas les mêmes raisons que moi de vous en priver. En outre vous aimez danser et vous avez une robe neuve ravissante.

C’était vrai. Cécile arborait ce soir-là une robe de satin jaune et blanc qui convenait parfaitement à son minois de brune et sur laquelle était épinglée l’agrafe offerte par la reine Maria-Luisa. Charlotte aussi portait la sienne mais elle ne rendait pas le même effet, car sa robe à elle n’était pas une nouveauté. En simple soie blanche garnie de mousseline empesée et d'une mince guirlande brodée en fil d’argent autour des manches et du modeste décolleté, elle faisait partie de celles que sa tante de Brécourt lui avait données avant son départ pour l’Espagne. On la lui avait déjà vue plusieurs fois et il n’y avait pas d’apparence qu'elle pût être remplacée un jour prochain. La fille de feu Hubert de Fontenac était peut-être une riche héritière, mais cela ne l’empêchait pas de manquer cruellement d’argent. Il ne restait rien de la bourse remise par Claire de Brécourt et le poste qu’elle occupait à Madrid ne comportait aucune compensation pécuniaire. En outre Madame dédaignant pour elle-même la toilette ne se souciait guère de celles de ses suivantes et son intendant oubliait le plus souvent les - maigres ! - rétributions qu’étaient censées recevoir ses filles d’honneur. Celles-ci étaient généralement entretenues par leur famille. Y compris Cécile de Neuville dont le frère, s’il ne la voyait jamais, tenait à ce qu’elle fît bonne figure chez Madame en attendant un éventuel mariage lors duquel il ne manquerait pas de la doter. Charlotte n’avait rien de tout cela puisqu'elle n’avait plus personne pour veiller sur elle... Et la pointure de ses souliers ne lui permettait pas les emprunts.

Cécile, qui, jusque-là, n’y avait pas porté attention, comprit pourquoi elle se retranchait derrière un deuil, réel évidemment, mais qui cachait une gêne financière certaine. Elle se promit d'en parler à Madame, mais, en attendant, il n'était pas question pour elle d’abandonner ce soir son amie :

-    Ma foi non ! dit-elle enfin. Je n’ai pas envie de danser. Il fait trop chaud et rien n’est pire que la transpiration pour gâter une toilette. Allons dans les jardins profiter de la fraîcheur des fontaines dont les lumières font si bel effet...

Charlotte accepta volontiers et les deux jeunes filles gagnèrent d’abord la grande terrasse qui s’étendait sur l’arrière du château puis, de là, pénétrèrent dans un bosquet dont le centre était une fontaine d’où l’eau jaillissait d’une aiguière tenue par une nymphe rieuse.

Il y faisait délicieusement frais et elles s’y promenèrent en silence, les échos des violons qui leur parvenaient ajoutant une magie à cet endroit charmant. Cécile observait son amie. Elle pensait qu’en dépit de ses atours modestes elle était certainement l’une des plus jolies filles de la Cour. Une sorte de lumière émanait de ses cheveux d’un blond argenté si doux, de ses immenses yeux verts et même de cette simple robe virginale. Celle-ci fût-elle couverte de diamants qu’elle n’ajouterait rien à ce rayonnement. Il était étonnant que dans cette cour toujours en quête de visages nouveaux personne ne s’en fût encore aperçu... Tout à trac elle demanda :

-    Ne me croyez pas indiscrète, Charlotte, mais... je voudrais savoir si vous aimez quelqu'un ?

-    Moi ? Le devrais-je ?

-    Cela me paraîtrait normal. Peut-être ne vous en souciez-vous pas mais vous êtes très belle et je ne suis certainement pas la seule à m’en apercevoir. Depuis notre retour d’Espagne je vous vois vous épanouir de jour en jour et je gagerais qu’ils doivent être nombreux ceux qui le remarquent.

Charlotte se mit à rire :

-    Quelle imagination ! Soyez sûre que l’on ne se presse pas sous ma fenêtre pour me donner la sérénade.

-    Nous ne sommes plus en Espagne. Ceux de ce pays-ci ont peut-être l’admiration moins mélodieuse. Alors, vraiment, pas d’amoureux ?

-    Pas d’amoureux !

-    C’est à n’y pas croire ! Tous ces hommes sont aveugles ! Et vous de votre côté n’en distinguez aucun ?

-    Aucun...

La réponse s’était fait un peu attendre. Cécile en conclut que son amie avait un secret qu’elle ne tenait pas à partager. Même avec elle.

-    Croyez-moi sur parole, voilà un état qui ne saurait durer !

-    Qui peut savoir ? Mais votre cœur à vous, Cécile, aurait-il déjà parlé ? Je sais que plus d’un gentilhomme vous regarde sans déplaisir.

-    Ce n’est que temps perdu. Aucun n’a l’heur de me convenir !

-    Cela ne durera pas. Un jour ou l’autre votre cœur parlera.

-    Croyez-vous ? En tout cas cela ne risque pas de lui arriver tant que je servirai au Palais-Royal. Dieu sait que les beaux gentilshommes n’y manquent pas. Le malheur est qu’ils ne se préoccupent des femmes que pour copier leurs toilettes et leurs travers !

-    C'est vrai et je ne sais pas comment fait Madame pour s’entendre si bien avec Monsieur.

-    C’est pourtant facile à comprendre. Madame a un côté résolument masculin et c'est en cela qu'elle plaît. Ce n'était certes pas le cas de Madame Henriette d'Angleterre. Non seulement elle était ravissante, mais elle avait beaucoup d'esprit. Ils vivaient comme chien et chat !

Tout en bavardant elles se disposaient à quitter le bosquet lorsque deux gentilshommes y entrèrent, en causant, par le chemin qu'allaient reprendre les jeunes filles. A cet instant, la lune sembla bondir par-dessus les arbres et enveloppa les promeneurs de son rayon argenté. L'un des deux hommes s’arrêta, frappé de stupeur :

-    Louise !... murmura-t-il avec une sorte d’émerveillement. Louise... plus jeune... plus jolie que jamais ! Oh mon Dieu ! Comment est-ce possible ?...

-    Sire... Je ne saurais...

Mlle de Neuville sentit alors un vent de panique souffler sur elle :

-    Le Roi ! Exhala-t-elle en sourdine. Elle saisit Charlotte par la main, esquissa une révérence que celle-ci imita tant bien que mal et l'entraîna sous le couvert des arbres où elles disparurent en courant. Elles allèrent ainsi un bon moment jusqu'à ce qu'enfin Cécile, victime d'un point de côté qui lui coupait la respiration, se laisse tomber sur le premier banc venu. Hors d’haleine elle aussi, Charlotte la rejoignit puis, quand elle eut retrouvé son souffle :

-    Quelle mouche vous a piquée, Cécile ? Nous nous sommes sauvées devant le Roi comme s'il était le Diable en personne !

-    J’ai l’impression que j’aurais préféré le Diable ! Vous avez entendu ? Il vous a appelée Louise.

-    Et alors ?

-    C’est le nom de Mme de La Vallière qui s’est retirée au Carmel. Ne vous a-t-on pas déjà dit que vous lui ressembliez ?

-    Oui... quoique avec des réserves...

-    Encore heureux mais, tout à l’heure, éclairée par la lune il a dû vous prendre pour son fantôme. C’est mieux qu’il en soit ainsi... C’est plus sûr...

-    Mais pourquoi ?

-    Si nous étions demeurées, nous aurions été obligées de répondre à des questions. Dites-moi : vous êtes certaine que votre mère est vraiment votre mère ?

Cette fois, Charlotte éclata de rire :

-    A quoi pensez-vous ? Que je pourrais être une fille de cette La Vallière ? En ce cas, ma chère Cécile, j’aurais été élevée par cette Mme de Maintenon à l’instar des autres bâtards royaux et on serait peut-être en train de me marier à je ne sais quel prince.

-    C’est juste. Oublions cela !... Mais laissons le Roi penser avoir rencontré un spectre ! Votre robe blanche et la lumière argentée vous en donnent assez l’apparence et c’est très bien ! S’il vous savait en chair et en os il pourrait se prendre de goût pour vous...