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Ce matin-là, elle était venue bavarder en voisine avec Madame comme il lui arrivait de temps en temps pour parler du pays, de ceux que l’on y avait laissés - même s’ils se haïssaient cordialement ! - et retrouver un instant le goût des pâtisseries bavaroises. Mais elle venait aussi partager un souci:

-    J’aimerais savoir qui est au juste cette Mme de Maintenon que l’on a fait entrer dans ma maison en tant que deuxième dame d’atour. On la dit sans naissance et elle s’entend fort mal avec Mme de Montespan dont je sais qu’elle est... l’amie du Roi ?

-    Avez-vous quelque raison de vous en plaindre personnellement ? demanda Madame pleine d’espoir.

-    Non. Elle est toujours fort polie, fort aimable, toujours souriante, toujours modeste, d’une grande piété, mais l’on ne peut jamais savoir ce qu'elle pense. Cependant je suis mal satisfaite de son comportement vis-à-vis du Roi.

-    Pourquoi ? Ne vous a-t-on pas dit quelle était sa nouvelle amie ?

-    Eh bien je trouve que l'amitié va un peu loin. Savez-vous que chaque soir, à huit heures, M. de Chamarande vient la chercher pour la conduire dans la chambre de Sa Majesté où elle reste plus de deux heures ? Pourquoi mon beau-père a-t-il besoin de la voir tous les soirs et que peuvent-ils se dire pendant tout ce temps ? Je me demande si elle n’est pas chargée de m’espionner et si c’est le cas que peut-elle avoir à rapporter ?

-    Calmez-vous ma chère ! fit Madame en riant. Je suis certaine que vous n'êtes pas le centre de leurs conversations. Qu’il lui arrive de parler de vous est possible mais vous menez auprès de votre époux une vie si paisible, si régulière qu’elle ne doit pas offrir matière à critique. En revanche soyez sûre que les sujets de conversation ne manquent pas à cette mégère hypocrite. Tout au moins quand il y a conversation !

-    Que voulez-vous dire ?

Madame émit un petit ricanement :

-    Dieu que vous êtes naïve ! A votre avis que peut-on faire à deux dans une chambre ?

-    Vous ne voulez pas me faire entendre qu'elle... couche avec lui ?

-    C’est une aventurière et des aventures, elle en a eu tout son content ! Quand la Montespan a piqué cette grosse colère en les lui rappelant, elle ne proclamait que la vérité !

-    Mais elle est vieille ! Plus que le Roi à ce que l’on dit.

-    Et alors ? C’est une vieille putain, lâcha brutalement la princesse, et ce sont les plus habiles parce qu’il leur faut compenser la fraîcheur déclinante de leurs appâts par d'autres talents !

-    Et c'est cela que l'on a introduit chez moi ?

-    Mme de Montespan est bien surintendante de la Maison de la Reine ! La Maintenon est une couleuvre qu'il vous faut avaler sans broncher, ma belle ! En avez-vous parlé avec votre époux ?

-    Je n'ai pas encore osé par crainte de lui déplaire en ayant l'air de critiquer le Roi que par ailleurs j'aime bien !

Cette fois Madame partit d'un rire homérique :

-    Eh bien osez, sacrebleu ! Vous aurez la surprise d'apprendre que le Dauphin déteste la vieille guenipe autant que moi ! Vous en retirerez au moins quelque réconfort ! A deux on supporte mieux les épreuves !

-    Et puis peut-être pourra-t-il en toucher un mot à son père ? ajouta Marie-Christine soudain pleine d'espoir.

-    N'allez surtout pas lui demander cela ! Vous semblez vivre en parfaite harmonie lui et vous ?

-    Oh oui ! Monseigneur est le meilleur des époux ! Je l'aime infiniment et il me le rend au centuple !

-    Alors ne faites rien qui puisse troubler cette harmonie! Goûtez votre bonheur et ne vous souciez pas des turpitudes des autres ! Un jour vous serez reine de France ! Vous pourrez choisir votre entourage à votre convenance !

-    Ainsi ferai-je et je vous remercie de vos bons conseils! C'est égal... comment la Reine fait-elle pour permettre que Mme de Montespan dirige sa Maison ?

- La Reine est une sainte, ma chère ! Mais ne vous y trompez pas, elle est loin d’être sotte. Quand la Montespan a été nommée, elle m'a dit : « Allons, il semble que ce soit mon destin d’être servie par toutes les maîtresses de mon mari ! », faisant ainsi allusion à la surintendante précédente, la comtesse de Soissons, qui a pris la fuite il y a peu pour n’avoir pas à répondre d’une accusation d’empoisonnement ! Je vous laisse juge !

La Cour se disposait à quitter Versailles pour prendre ses quartiers d’hiver à Saint-Germain mais auparavant le Roi avait décidé de convier toutes les dames et demoiselles à une promenade à travers les jardins. Le point d’orgue en serait une collation que l’on prendrait dans l’un de ces bosquets qui en étaient l’un des charmes. Les hommes étaient exclus mais Sa Majesté tenait essentiellement à ce que tant l’élément féminin de la Cour soit présent pour ce dernier jour. Une manière comme une autre de s'entourer de « fleurs humaines » au moment où l’automne allait les raréfier dans les parterres.

-    Sacrebleu ! Notre Roi aurait-il dans l’idée de se faire sultan ? Ronchonna Madame qui brûlait d’envie de rejoindre son cher Saint-Cloud pour en profiter encore un peu avant de rentrer au Palais-Royal et qui avait espéré partir dans la matinée.

Lydie de Theobon se mit à rire :

-    Sans avoir l’intention de me montrer irrespectueuse, il me semble qu’il y a déjà un moment que cette idée-là lui est venue. Une reine ne lui suffit pas : il en faut toujours deux ou trois.

-    Voulez-vous bien vous taire ! s’indigna la princesse.

-    Je ferai remarquer à Madame que c'est elle qui a commencé ! Si elle le souhaite nous pouvons compter. La Reine : une ?...

-    On se tait !... Et qu'est-ce que je vais mettre ?

-    Madame devrait s’en soucier de temps en temps car le choix n’est pas immense : le grand habit, la « petite tenue » ou le costume de chasse ?

-    Et ma robe en velours violet, qu’en avez-vous fait ? Des coussins pour mes chiens ?

-    Ce serait un sacrilège... mais nous en avons aussi une en moire bleue, une autre en velours feuille-morte...

-    D’où les sortez-vous ? fit Madame abasourdie.

-    C’est Monsieur qui en a passé commande d’après les mesures de Votre Altesse Royale. Il estime, non sans raison, que Madame ne s’habille pas toujours comme il sied à une grande princesse.

-    Et c’est maintenant que vous en parlez juste au moment où nous allons quitter Versailles ?

-    Oh, ici Madame portait le costume de chasse dans la journée et le grand habit le soir. Et puis nous ne devions pas séjourner si longtemps ! Monsieur visait Saint-Cloud et Paris. Là, pour cette fête où seules les dames sont admises, il faut faire un effort !

-    Eh bien, montrez-moi la « feuille-morte ». C’est très poétique. Cela convient à la saison !

Ladite robe réservait une agréable surprise : durant l'agitation perpétuelle du séjour Madame avait un peu maigri et il fallut reprendre deux ou trois coutures. En outre, la couleur lui plaisait et elle se déclara finalement ravie.

De son côté Charlotte connaissait un problème analogue à cette différence près qu’elle ne pouvait s'attendre à aucune « surprise ». Ces temps derniers elle n'en avait pas souffert, étant restée à l'écart des festivités à cause de son pied prétendument blessé, mais cette fois il lui fallait se joindre aux dames de la maison. Madame elle-même avait pris la peine de le lui signifier :

-    Le Roi veut voir toutes les dames et demoiselles sans exception. En outre, il déteste que l’on soit souffrante ou empêchée ! J’ai ouï-dire que Mme de La Vallière - comme Mme de Montespan d’ailleurs ! - était tenue de paraître à la Cour quelques heures seulement après avoir accouché !