Выбрать главу

-    Mensonge ! Siffla la Maintenon. Si cela était, M. de La Reynie aurait instrumenté depuis longtemps et...

-    Quoi qu’il en soit, coupa le Roi irrité, cette demoiselle risque d’être à ma cour un sujet de scandale.

-    Je vous ferais remarquer, Sire mon frère, qu’elle appartient à la mienne où elle n’en cause aucun. Et nous repartons demain pour Saint-Cloud, elle y compris !

-    Il n’en peut être question, Madame ! Le moins que je puisse faire est de rendre cette fille à sa mère. Il me semble, ajouta-t-il méprisant, qu’elle est trop insignifiante pour nous occuper aussi longtemps. L’affaire est entendue !...

Charlotte éclata en sanglots, terrifiée par ce qui l’attendait. Elle était perdue et c'était cette femme inconnue, cette Maintenon, qui venait de décréter de son sort... Pourquoi? Que lui avait-elle fait ?... Soudain on entendit une voix douce mais cependant ferme intervenir :

-    Pas pour moi, Sire ! Mme de Brécourt était de mes dames et je l’aimais beaucoup : elle ne m’a rien caché de cette triste histoire !

C’était la Reine qui se faisait entendre au milieu d’un silence stupéfait. On avait tellement l’habitude de la voir s’effacer, accepter les volontés du Roi - lui fussent-elles insupportables ! - sans mot dire que c’était un peu comme si l’une des statues venait de prendre la parole. Et Louis ne fut pas le moins surpris :

-    Vous, Madame ? A quoi pensez-vous en parlant ainsi?

Marie-Thérèse était devenue très rouge. Pourtant elle poursuivit bravement :

-    A la justice, Sire ! A votre justice. Et aussi à sauver une jeune fille innocente d’un sort certainement cruel. Feu Mme de Brécourt savait ce qu’elle disait et ce qu’elle faisait. Et moi je vous demande instamment de me donner Mlle de Fontenac !

-    Vous, si pieuse, si soumise à Dieu, vous me demandez de vous confier cette fille ?

-    Oui, Sire ! Je vous le demande... moi la Reine !

Elle s’était redressée de toute sa petite taille et il émana soudain d’elle une telle majesté que Louis détourna le regard...

-    Qu'allez-vous en faire ? Vous n'avez plus de filles d'honneur...

Ce n'était pas une bonne idée de lui dire cela. Marie-Thérèse en effet avait obtenu de les supprimer quand elle s'était aperçue que son auguste époux considérait la chambre de ses demoiselles comme un terrain de chasse à portée de la main...

-    J’en ferai ma lectrice. Je sais qu'elle parle espagnol...

Il n’y avait plus rien à ajouter. Le mari volage força le Roi à rendre les armes :

-    Qu'il soit fait selon votre volonté ! Prenez-la ! Je vous la donne. Et vous, jeune fille, remerciez votre reine !

Mais Charlotte n'avait pas attendu son ordre : elle était déjà aux genoux de Marie-Thérèse pour baiser le bas de sa robe :

-    Merci ! Oh merci, Madame ! Votre Majesté n'aura pas de servante plus fidèle que moi.

On la releva et elle put constater que celle qui la sauvait tremblait autant qu’elle. L’effort que Marie-Thérèse avait fourni pour oser s’opposer ainsi à Louis, et en public, avait dû épuiser ses forces. Elle en retrouva cependant assez pour sourire à son acquisition :

-    J’en suis certaine... Ma sœur, ajouta-t-elle en s’adressant à Madame, vous voudrez bien la faire conduire chez moi à Saint-Germain puisque demain nous rentrons chacune chez nous.

-    Ce sera fait. En tout cas je vous remercie du fond du cœur, ma sœur ! J'aime bien cette petite qui n'a plus personne pour la protéger des mauvais procédés de... certaine dame ! Chez vous, elle sera vraiment à l'abri, renchérit-elle en lançant un coup d'œil venimeux en direction de Mme de Maintenon qui, le dos un peu courbé, s’éloignait en direction du château à la suite du Roi. Marie-Thérèse et ses dames en firent autant. Quelqu’un pourtant resta : Mme de Montespan qui riait franchement :

-    Qui aurait cru Sa timide Majesté capable d'un tel exploit ! Voilà Votre Altesse Royale battue sur le terrain de la combativité ! Et pardieu, j’en suis plus aise que je ne saurais dire ! La tête de la Maintenon était à peindre !... Que lui avez-vous donc fait... Charlotte ? C’est bien cela ?

-    C’est bien cela, Madame. Quant à ce que j’ai pu lui faire, je l’ignore. Je sais seulement qu'elle voit volontiers ma mère mais je ne pensais même pas qu'elle sût qui j'étais.

-    Soyez sûre qu'elle le sait depuis longtemps. La seule vue de votre visage a dû l'intriguer. C'est une fouine que cette femme !... Pour ma part, je ne me reprocherai jamais assez d'avoir fait sa fortune. Et si ce palais se veut à l'image du Paradis, elle en est le serpent ! Cela posé, vous ne gagnez pas au change, ma chère. On s’amuse beaucoup moins chez la Reine que chez Madame !

-    C’est sans importance ! Je me dévouerai à elle... et à vous aussi, madame, qui avez bien voulu plaider ma cause.

D’un doigt rapide Athénaïs caressa la joue de Charlotte et rejoignit le cortège qui s’éloignait. Madame et ses dames rentrèrent au château par un autre chemin. Tout en marchant la princesse mâchonnait une série de jurons qui, pour être en allemand, ne manquait pas de vigueur. Mal remise de la scène dont elle venait d’être le centre,

Charlotte ne pouvait retenir sa tristesse. Elle allait perdre ses deux meilleures amies.

-    Que vais-je devenir sans votre amitié et vos conseils ? dit-elle à Cécile et à Lydie visiblement émues.

-    Vous ne perdrez strictement rien ! Sa Majesté aime avoir Monsieur son frère sous les yeux et nous nous verrons souvent. En échange vous allez avoir une magnifique occasion de faire votre salut : on prie énormément chez la Reine. Vous en viendrez peut-être à regretter votre couvent ? En outre, on dirait que vous avez une alliée inattendue. La Montespan peut se montrer bonne fille quand elle veut...

De retour dans ses appartements, les ronchonnements de Madame se muèrent en cris de douleur. Le baron Gecks, ambassadeur de l’Electeur Palatin en France, l’attendait porteur d’une nouvelle qu’il délivra sans la moindre précaution :

-    J’ai le regret d’apprendre à Votre Altesse Royale que son père est mort !

Une autre plus délicate se fût sans doute évanouie. Madame ouvrit la bouche pour une sorte de long hululement puis éclata en sanglots et courut se jeter sur son lit en pleurant toutes les larmes de son corps, laissant le malencontreux messager stupéfait. Il ne comprit pas davantage quand Mme de Ventadour lui montra la porte :

-    Où donc avez-vous appris la diplomatie, Monsieur ? Dans un corps de garde ?

TROISIÈME PARTIE

LE RÉGICIDE

CHAPITRE X

UNE ÉTRANGE PROPOSITION

La toilette de la Reine déroulait comme chaque matin son rite immuable. Pourtant, il fut vite évident pour les dames présentes qu'il était arrivé quelque chose d’inhabituel : Marie-Thérèse n'avait pas cet air de dignité, juste teinté d’un sourire qu'on lui voyait toujours. Au point que l'on pouvait se demander si ce n'était pas un masque destiné à cacher ses souffrances, qu’elle appliquait dès le réveil. Or, pas de masque ce jour-là mais une expression de souriante douceur se rapprochant... oui, de la béatitude. Aussi les yeux des femmes de son entourage étaient-ils autant de points de muette interrogation. On pensait généralement que Sa Majesté avait dû faire un beau rêve et qu’elle était encore sous son emprise...

Assise au bord de son lit, elle avait laissé Pierrette Dufour, sa femme de chambre préférée, lui passer ses bas de soie sur lesquels Mme de Saint-Martin, dame d’atour en second, avait bouclé les jarretières de rubans ornées de bijoux sans dire un mot. Puis le sourire s’était à peine effacé pendant les premières prières mais alors qu’il arrivait fréquemment quelles fussent accompagnées d’une ou deux larmes, elles avaient cette fois une apparence d’action de grâces...