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Une saine justice aurait voulu que Marsan fût sévèrement puni, mais par égard pour son frère, il ne fut que réprimandé, de même que son neveu le comte de Brionne. Quant au pauvre petit Vermandois, chassé de la vue de son père et traité en pestiféré, il ne trouva d’asile que dans le giron de Madame, inlassablement compatissante et d’autant plus que la mère du garçon était devenue supérieure des Carmélites de Chaillot. La bonne Palatine ne put cependant l’empêcher de s'enrôler dans l'armée en dépit d'une santé défectueuse et d'aller se faire tuer devant Courtrai l'année suivante...

Chez les Orléans d’ailleurs, les favoris de Monsieur vivaient à nouveau des quarts d'heure pénibles. La foule allait-elle aussi leur tomber dessus ? Un présage ô combien sinistre l’annonçait. Au cours d’une chasse où Monsieur n’était pas mais à laquelle participait le chevalier de Lorraine, celui-ci fut attiré à l’écart par le Grand Ecuyer qui lui annonça que « le Roi lui ordonnait de ne plus paraître aux chasses et, ne le tolérant à la Cour qu’à cause de Monsieur, il ne désirait plus le voir hors la présence de Monsieur ».

Le grand favori n’était pas homme à se laisser faire sans réagir. Il commença par aller protester auprès de Louvois puis - malin ! - alla se plaindre à... Mme de Maintenon à laquelle il « parla fortement ». Et le Roi s’en tint là. Mais le vindicatif personnage entendait prendre sa revanche sur Madame dont il savait qu’elle s’était plainte de lui à maintes reprises. De connivence avec Mme de Grancey sa complice, il monta une cabale destinée à la perdre.

Parmi les gentilshommes avec qui la princesse plaisantait volontiers à la chasse, il y avait le chevalier de Saint-Saëns. La Grancey accusa le malheureux de lui avoir manqué de respect au cours d'un bal sur l’ordre de Madame. C’était ridicule, à la limite du grotesque et, au début, tout se passa bien, le Roi - qui savait décidément beaucoup de choses ! - ayant averti sa belle-sœur qu’on allait l'accuser d'entretenir une « galanterie » avec ledit chevalier.

D'abord médusée, puis furieuse, Madame alla tout de go raconter l'histoire à son époux qui d’ailleurs ne fit qu'en rire avec elle. Cela ne faisait pas l'affaire des conjurés : ils trouvèrent un autre stratagème en s’attaquant à Lydie de Theobon, prétendant qu'elle servait de courrier non seulement à Saint-Saëns, mais aussi à diverses personnes que Monsieur n'aimait pas. Or, celui-ci en avait voulu à la suivante de sa femme d'avoir pris dans ses filets le comte de Beuvron qui était son capitaine des gardes et son ami. Il saisit la balle au bond, entra en fureur à son tour et chassa ignominieusement de chez lui celle qui était devenue l'indispensable confidente de sa femme. Pendant qu'il y était, le mari courroucé expédia dans la foulée l'innocente maréchale de Clérambault et prétendit interdire à Madame d'entretenir la moindre correspondance avec ces pestiférées.

La fureur de la princesse retentit à tous les échos de Versailles. Toute fumante d’indignation, elle courut chez le Roi lui demander la permission de se retirer chez sa tante à l’abbaye de Maubuisson[25]. En réalité, elle eût été bien fâchée d’être exaucée mais elle voulait frapper un grand coup. Et cette fois elle réussit. Tancé par son royal frère et d’ailleurs conscient du ridicule de la situation, Monsieur accepta les ouvertures de paix. Après quoi Louis ramena lui-même l’épouse indignée chez son frère, délivra au couple un discours bien senti qu'il conclut en disant :

- Embrassons-nous donc tous trois !

Là-dessus, Lorraine, Grancey et Effiat reçurent l’ordre de venir présenter leurs excuses à la princesse outragée cependant que le Roi poussait la malice jusqu’à exiger qu'en signe de bonne entente revenue les deux époux passent la nuit ensemble. Et veilla personnellement à ce qu'on lui obéisse !...

CHAPITRE XII

UN CRIME PARFAIT

En dépit de la réconciliation quasi burlesque et de Madame et de Monsieur et malgré les « plaisirs » quotidiens inscrits dans le marbre par un protocole impavide, la Cour continue de vivre son malaise. Moins grave sans doute que celui des Poisons mais un malaise tout de même. Presque chaque jour on découvrait de nouveaux « cas » et l’humeur du Roi ne s’arrangeait pas. Il s’était même écrié un matin qu’il était bien fâché de compter dans son beau royaume tant de zélateurs de Sodome. Et l’ombre discrète de Mme de Maintenon prêchant la vertu et le retour à la pureté originelle se dessinait de plus en plus nettement derrière la silhouette scintillante du Roi.

Durant ces temps difficiles, Charlotte appréciait sa chance de vivre auprès de la Reine qui faisait figure de lis immaculé au milieu d’un champ de mauvaises herbes. De même, ses appartements représentaient un îlot de paix parfumé à l’encens, au chocolat... et à l’ail posé sur un étang dont les eaux lourdes se soulevaient parfois pour crever en bulles nauséabondes. Marie-Thérèse restait sereine grâce aux visites nocturnes de son époux mais son cœur la poussait à secourir ceux qui l'étaient moins. A commencer par Madame qu'elle voyait souvent, le Roi ayant exprimé le désir d’avoir toute sa famille autour de lui pour ses premiers mois à Versailles.

La pauvre Palatine était inconsolable d’avoir vu son conjoint chasser ignominieusement ses chères Theobon et Clérambault. La première surtout ! Au fil du temps et après le départ de Venningen partie se marier en Alsace, Lydie était devenue sa confidente, sa messagère, presque son agent secret et, surtout, le plus sûr de ses remonte-moral avec son courrier qui prit dès le début de l’éloignement de la jeune femme des proportions olympiques : la tante Sophie reçut à ce moment-là une lettre de vingt pages et Madame se mit à écrire journellement à celle qui s'appelait désormais officiellement Mme la comtesse de Beuvron.

Dans ses visites, Charlotte ne manquait pas d'accompagner Marie-Thérèse. Elle ressentait cruellement, elle aussi, l'exil de sa meilleure amie. Ce qui la rapprochait encore de Madame dont l'isolement faisait peine à voir. Lorraine et ses complices avaient admirablement travaillé. Il ne restait plus rien de l'entente affectueuse qui unissait les deux époux depuis leur mariage. Le trop beau chevalier y avait mis bon ordre et tenait le prince d'une poigne de fer. La belle humeur de « Liselotte » n'y avait pas résisté. Il ne lui restait que la fureur et le chagrin :

« On m'a pris mon cœur gai ! » disait-elle.

Dans l'immensité harmonieuse créée par le génial Le Nôtre au pied du palais, Charlotte, plus que jamais attirée par les jardins, s'était trouvée à la lisière des parterres un endroit relativement paisible où elle aimait aller respirer. C’était le labyrinthe[26] dont elle avait décrypté le parcours grâce aux fontaines qui le jalonnaient. Un livre à la main, fidèle en cela à une habitude déjà ancienne, elle s’apprêtait à y pénétrer quand la grande carcasse enrubannée de Saint-Forgeat lui barra le chemin. Il la salua puis, avant qu’elle eût ouvert la bouche :