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Cette cérémonie est de courte durée. Contrairement à ce qu’avait prétendu ma beauté zurichoise, elle ne va pas à Paris, mais retourne à la maison de l’avenue Marivaux. Peut-être est-elle allée passer des consignes à la signora Couchetapiana et s’est-elle aperçue, en sortant de chez icelle, qu’elle avait oublié quelque chose ?

Mais non. Elle descend de voiture, ouvre la grille, rentre le bolide, referme la grille.

Que fait alors le petit San-Antonio de ces dames ? Vous le devinez, il retourne dare-dare chez la femme de ménage. La personne en question crèche dans un coquet appartement d’une pièce avec : son mari, son vieil oncle infirme, ses beaux-parents, sa nièce idiote, ses sept enfants et la tantina de Burgos. C’est une matrone surabondante moustachue comme la mère Béru, mamelleuse, ventrue et dotée d’un accent dont le moins qu’on puisse en dire est qu’il n’évoque pas les steppes de la Sibérie.

— Qué c’est ? me demande-t-elle, l’œil méfiant.

Je prends ma mine la plus consternée, style croque-mort déprimé.

— Madame Couchetapiana ?

— Si !

— Madame, je viens vous annoncer un grand malheur…

Toute la famille est là qui me regarde. Le mari, veilleur de jour dans un cabaret de nuit, s’apprêtait à filer au turbin, la musette en bandoulière. L’oncle infirme ouvre la bouche ; les beaux-parents la ferment sur leur cuillère de soupe, la nièce idiote éclate de rire et les six gosses qui faisaient la queue devant le pot de chambre fêlé sur lequel règne le septième, en laissent tomber leur culotte.

— Qué malheur ? soupire l’énorme créature.

— Il est arrivé un accident au petit, chez Loveme…

Je n’aime guère ces procédés, je vous l’avoue, mais j’ai besoin d’aller vite en besogne et d’éviter les blablas superflus.

Une clameur monte de la pièce surpeuplée. Tous ceux qui comprennent le français éclatent en sanglots. La mère Couchetapiana se tord les jambons.

— Mon Giuseppe ! Mon Giuseppe ! hurle-t-elle. Dita-me… Il n’esté pas morte ?

— Non, seulement une grosse bobosse à son fronfront.

Elle se calme. Le mari se met à lui jaspiner du bien senti dans la langue de d’Annunzio.

Je mets fin à l’exercice d’alerte.

Ma carte professionnelle est un frein très puissant en l’occurrence.

— Qué c’est ? répète la dame à mamelles.

— Policia !

Voilà le veilleur de jour qui se fait volubile.

Il parle, il gesticule, il postillonne, croyant faire diligence. Il engueule sa femme ! Il prend les autres à témoins et moi à partie. Il invoque le bon Dieu… Je suis obligé de rouscailler plus fort que lui pour ramener le calme. Bref, on finit par se mettre à jour. Mais, parole, c’est pas de la sucrette.

Je vous passe les exclamations, les conjonctions et les invocations. En bref, et à moins d’avoir la matière grise branchée sur l’alternatif, vous avez compris de quoi il retourne.

Hier, à l’hôtel où j’avais conduit la femme du sous-brigadier, je me suis aperçu en regardant la photo des Loveme publiée dans Ciné-Alcôve que le bébé brandi si triomphalement par le beau Fred n’était pas du tout celui que j’avais aperçu dans le berceau gardé par la môme Estella.

Et mon petit doigt bossant à fond, je viens de constater que c’est celui de la grosse madame Couchetapiana que la nurse dorlote.

Elle l’avoue sans difficulté. Je mets fin au calvaire de cette mère transalpine en lui avouant que je l’ai bluffée et que son petit dernier se porte comme père et mère. Du coup son désespoir se mue en rage. Elle cramponne une bouteille et me la dépêcherait en port payé sur la calotte glacière si son producteur de petits Couchetapiana n’intervenait opportunément.

Un billet de mille francs judicieusement déposé sur la table calme la pauvre dame.

— Pourquoi avez-vous confié ce bambino aux Loveme ? demandé-je.

Elle tarde quelque peu à répondre. Je lui explique en quoi consistent très exactement les prérogatives du poulet. Elle comprend que je peux leur causer une foule d’ennuis assez longs à répertorier, et elle se met à table.

Voilà le digest de son récit :

— Il y a une huitaine de jours, elle gardait le petit Jimmy, avenue Marivaux, en l’absence d’Estella (laquelle, je le présume, était allée se faire faire la vitrine à Paname) lorsqu’une grosse vieille dame amerlock, se prétendant la grand-mère du petit, était venue chercher le bébé. Prenant ses allégations pour argent comptant, la femme de ménage avait poussé la crédulité jusqu’à emballer le mouflet dans son burnous. Au retour de la nurse, gros patacaisse ! L’Estella s’était affolée et avait prévenu Mrs Loveme… Un conciliabule avait eu lieu en anglais entre les deux femmes, c’est dire que la charmante Madame Couchetapiana n’y avait entravé que balpeau. À l’issue de cet entretien orageux, Mrs Loveme avait séché ses larmes avec un fin mouchoir de dentelle nylon renforcé soie sauvage et demandé à la femme de ménage de lui prêter son petit dernier pendant quelque temps, histoire de sauver les apparences pour le cas où des visites inopportunes se produiraient.

En effet, rien ne ressemble autant à un bébé qu’un autre bébé surtout si on les cloque dans le même berceau. Dix billets de cinq raides avaient emporté la décision. Cette proposition ahurissante n’était pas pour affoler la mère spaghetti puisqu’elle pouvait voir son chiare tous les jours et qu’en outre cela faisait un peu de place récupérée dans son étroit habitacle…

La veille, Estella lui avait ramené le lardon pour la nuit. Je suppose qu’elle avait été troublée par ma visite et que, voulant en apprendre davantage sur mon compte, elle avait préféré se débarbouiller du moujingue.

Je me tais pour prendre les mesures de la situation. C’est pas le moment de mettre les pieds à côté du fil de fer. J’ai oublié mon ombrelle, les mecs. Pour un funambule, c’est risqué, non ?

CHAPITRE XV

Rouler une cigarette dans une feuille de Job gommé déjà déchirée au départ constitue une performance qu’à ma connaissance seul le distingué Pinaud est capable de réaliser au jour d’aujourd’hui.

Je retiens mon souffle tandis que ses doigts tordus par les rhumatismes cherchent à emprisonner le tabac dans ce tenu papier en haillons. Les brins gros comme des copeaux pleuvent sur son sous-main.

— C’est de la troupe, explique-t-il à voix basse, il est plus grossier, donc plus difficile à rouler. C’est mon neveu Firmin qui me l’a rapporté d’Algérie… Lui il ne fume pas, rapport au sport… Il est ailier gauche dans l’équipe de fote-bâle de son régiment. Remarque, y a une chose que je ne m’explique pas… Un ailier gauche, après la mi-temps, il se trouve ailier droit, non ?

Sans attendre — ou en attendant — ma réponse, le vieux crabe extirpe de son clapoir une patte à évier. Il lèche consciencieusement la bordure collante de son papier comme il le ferait d’une enveloppe, l’ultime phase du numéro s’achève par un éventrement latéral de la cigarette si bien que lorsqu’il l’allume, Pinaud n’enflamme plus que sa moustache.

— T’as mené la petite enquête dont je t’ai chargé hier ?

— Bédame, soupire le Bonze.

— Et alors ?

Il prend son temps, en orateur expérimenté qui sait ménager ses effets.

— Te presse pas, lui conseillé-je, si ça t’arrange, je repasserai la semaine prochaine !

Il esquisse une grimace laconique.

— Une minute, balbutie l’inspecteur principal. J’ai ma gastro-entérite qui me travaille aujourd’hui.

Devant ce cas de force motrice et de lac Majeur (Béru dixit) je concède une minute de silence. Le Pinaud des Charentes masse la partie convexe de son individu.