— Entrez ! dis-je à ma compagne.
Elle fait un pas dans l’encadrement, avise son chiare, pousse un grand cri et se précipite sur lui.
Inutile de vous décrire la scène, ça vous ferait chialer et le temps est assez humide comme ça.
Je laisse se dérouler la grande scène finale du Calvaire d’une mère. Puis je ramène Mme Loveme à des réalités.
Pour cela, je joue franco et je lui bonnis toute l’affaire par le menu. Et il est pas menu, le menu…
— Maintenant, c’est à vous de jouer, dis-je. C’est comme une formule de bon de commande, il suffit de remplir les blancs.
Elle est tellement joyce qu’elle répond à mes questions sans y prendre garde, en pressant son enfant chéri contre sa poitrine qu’on aimerait chérir.
Je pourrais vous relater bribe par bribe notre conversation, mais vous êtes tellement cloches que vous auriez du mal à me filer le train, mieux vaut donc résumer pour vos cerveaux sans phosphore.
Dégagez la piste de vos consoles à lunettes et esgourdez, mes bonnes gens.
Oyez the story of two poor women made in U.S.A.
La brune, la piquante, la tentante, l’exaltante, la séduisante, l’envoûtante Mrs Loveme a décroché en apparence seulement la timbale en épousant the big actor que vous savez. C’est une tendre, une sentimentale, or Loveme est une brave petite bête, pas méchante, qui passe sa vie à vider des flacons d’Old Crow et à calcer les filles qui viennent lui faire dédicacer des tickets d’autobus. Ça l’a rendu poinçonneur en diable… Sa femme en a beaucoup souffert, jusqu’au jour où elle a rencontré un petit zig à la chevelure romantique qui lui a récité les romances qu’elle attendait.
Le quidam que je vous cause n’était autre qu’Unthell. Et ce petit dessalé, tout romanesque qu’il est, avait néanmoins épousé une dame qui aurait pu être sa mère aisément et sa grand-mère en se forçant un peu le bulletin de naissance. Il a dû parler de sa vie gâchée â Mrs Loveme pour se la faire à l’embellie. Ça a rendu… Amours, délices, mais sans orgues because ils étaient respectivement marida à une montagne de flouze.
Les amants ont imprudemment échangé des lettres tellement enflammées que l’incendie a attiré l’attention de la mère Unthell.
Elle a eu connaissance fortuitement d’une bafouille éloquente.
Gros drame. Elle tenait à son mari de garderie… Elle voulait pas se le laisser piquer par une beauté fameuse …
Alors elle a entrepris ce voyage en France pour régler la question with Mrs Loveme. Entrevue orageuse… Mais sur terre lointaine on se déboutonne plus volontiers.
Elle a exigé que la femme de Fred rompe avec le jeune époux. Mrs Loveme l’a expédiée sur les roses. La grosse mère Unthell s’y est piqué les Dunlopillo et elle a usé des grands moyens. Rapt de Jimmy. Dès qu’elle a eu planqué le mouflet, elle a téléphoné à sa jeune rivale pour l’avertir que l’enfant lui serait rendu lorsqu’elle aurait la certitude de la rupture avec son petit bonhomme.
Ça paraît puéril, mais vous le savez, les ricaines n’ont pas toutes l’intelligence de Jean Cocteau. Faut essayer de nous mettre à leur place, un instant seulement avant que nos cerveaux s’enrhument because les courants d’air…
Elle exigeait pour commencer une lettre d’elle par laquelle elle aurait reconnu que le gars Unthell était le vrai père de Jimmy. Vous mordez la situation ? Corneille reviendrait, aussi sec il foutrait ça en alexandrins !
Mrs Loveme s’est confiée à la gente Estella. Et ma petite Suissesse lui a remonté le moral. Au lieu de céder, Mrs Loveme s’est battue. Pour commencer, les deux femmes ont trouvé un remplaçant à Jimmy. Ensuite elles sont allées trouver un cousin à Mrs Loveme qui travaille au Shape en qualité de civil. Le mec qui a un esprit of family à tout casser, a bien voulu se mouiller pour la cousine. Il a déniché deux têtes pour embarquer la mère Unthell et lui faire dire où elle avait planqué Jimmy. C’est là que la fatale erreur s’est produite…
Ils se sont gourés et ont kidnappé la baleine à Béru… Le cousin s’est aperçu de la bévue et on a libéré la Gravosse. Ensuite, course à la mort pour repiquer la vraie mâme Unthell… Voir Orly…
Elle a suivi le type qui la réclamait sous un fallacieux prétexte, le zig s’étant fait passer pour un envoyé de l’ambassade U.S.A. Mais, quand elle a compris qu’il s’agissait d’un enlèvement, la vioque s’est fait la malle à un feu rouge, en plein Paname, et les mecs qui s’occupaient d’elle n’ont pas pu la récupérer…
Voilà la version de mon interlocutrice. Elle est abasourdie par la mort de Mrs Unthell et ne pige pas ce qui a pu se passer.
— Vous n’avez pas eu de ses nouvelles dans l’intervalle ? demandé-je.
— Si. J’ai reçu une lettre d’elle ce matin. Elle me demandait cinquante mille dollars en échange de l’enfant. C’est pour les obtenir de mon mari que j’étais allée au studio.
C’est à mon tour de faire l’œuf.
Je perds un peu les pédales, comme dirait Charpini.
Voyons, si je récapitule bien : la mère Unthell, il y a trois jours, se fait embarquer à Orly. Elle suit sans méfiance l’homme de main du cousin du Shape. Puis elle pige qu’on lui joue un vilain tour et, à la faveur d’un feu rouge, s’échappe. Au lieu de retourner à l’aéroport ou à son hôtel, la vieille reste planquée… Elle écrit une lettre demandant une rançon en fric alors qu’elle a monté ce kidnapping pour une rançon morale… Et puis elle se noie… Merde, dirait Ubu. Je ne sais plus pour quelle maison je voyage…
L’arrivée du Gros, vidé de sommeil, me rappelle un autre aspect de la question.
— Et l’autre femme ? La première, celle que vos bonshommes ont arrêtée par erreur ?
— Elle est retournée à la maison car elle s’était repérée. Elle a dit à Estella qu’elle faisait partie de la police…
— Par alliance, c’est exact, déclaré-je.
— Qu’est-ce qui se passe ? demande la Gonfle en se curant les dents avec une aiguille à tricoter de Félicie.
— Moule-nous, tu veux ! l’interromps-je.
Il déballe d’une dent creuse des trucs improbables.
— Qu’a fait Estella ?
— Elle a prévenu Steve, mon cousin… Et ils ont emmené la dame dans un endroit tranquille jusqu’à ce que j’aie retrouvé mon Jimmy…
— Ou est-ce ?
— Je ne sais pas… Je crois, Saint-Germain-en-Laye !
Je me lève, des fourmis plein les cannes.
— Bon. Vous allez téléphoner d’ici à votre cousin, pour lui dire que l’enfant est retrouvé et qu’il tienne la pensionnaire à notre disposition. Vous accompagnerez monsieur jusqu’à l’endroit où elle est séquestrée. Pendant ce temps, ma mère continuera de s’occuper du petit. Rassurez-vous, il est en complète sécurité ici.
Allez, au travail… Ça n’est pas encore fini, ces salades…
Lorsque Mrs Loveme a bigophoné à son cousin, je la reprends en main pour un complément d’informations.
— Tout va bien ?
— Oui… Je voudrais savoir, monsieur, si tout ceci aura des suites fâcheuses ?
— Hum, ça dépend… Vous avez la demande de rançon sur vous ?
Elle ouvre son sac. Sort sa minaudière. À l’intérieur de la boîte d’écaille, sous la houppette, se trouve une feuille de papier. C’est écrit en anglais, caractères d’imprimerie.
— Traduisez !
Elle lit :
Si vous voulez retrouver qui vous savez, remettez cinquante mille dollars aux bonnes œuvres pour la pénitence de vos péchés. Je préviens une congrégation religieuse de votre don. Elle enverra quelqu’un en fin d’après-midi pour le prendre. Lorsque je serai informée que celui-ci s’est accompli, je vous téléphonerai pour vous dire où est J.