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Le premier réflexe de Joe fut de donner un furieux coup de klaxon. Puis il freina de toutes ses forces, réveillant ses passagers. Heureusement la voiture traversa la route, sous le nez du car et se jeta contre un arbre, rebondissant plusieurs fois. Joe passa de justesse. Il stoppait son car sur le bas-côté, avec un juron, quand, dans son rétroviseur, il vit jaillir de hautes flammes.

— Bon sang ! fit-il.

Il attrapa son extincteur et sauta à terre en hurlant à la cantonade :

— Venez m’aider.

Il arriva au moment où deux hommes s’extrayaient péniblement de la voiture environnée de flammes. Il les aida et eut le temps de remarquer qu’un des deux portait un uniforme.

— Il y en a encore à l’intérieur ? demanda-t-il.

Probablement sonnés, ils ne répondirent pas. Le plus petit fit le tour et courut au coffre. Pour prendre un extincteur, pensa Joe. Mais le petit homme saisit une valise métallique et s’éloigna de la voiture avec le policier. Joe renonça à comprendre et dirigea son extincteur sur l’arrière de la voiture.

Trois ou quatre passagers du car arrivaient à la rescousse. Grâce à l’extincteur, ils purent faire reculer les flammes quelques secondes et tirer trois hommes qui se trouvaient sur la banquette arrière.

Le conducteur ne bougeait plus. De toute façon, les flammes redoublaient. Joe et les autres reculèrent précipitamment. Laissant l’incendie continuer, ils s’occupèrent des trois blessés.

— Nom de Dieu ! fit Joe.

Il venait de remarquer que deux des hommes étaient ligotés. Le troisième ouvrit les yeux et murmura en espagnol quelque chose que Joe ne comprit pas.

Pour en avoir le cœur net, il se mit à la recherche des deux premiers rescapés.

Ils étaient plantés au bord de la route, près du car. Le policier avait perdu sa casquette. Joe s’approcha, un large sourire aux lèvres, et se figea aussitôt : son regard venait de croiser celui du petit homme qui se tenait à côté du policier. En un éclair, il se souvint de l’appel que la radio avait lancé une heure plus tôt, sur toutes les fréquences. « Trois hommes cherchant à passer la frontière clandestinement… L’un d’eux est un Japonais de très petite taille… Ils sont dangereux… »

— Hé, vous ! commença-t-il…

Le Japonais avait dû deviner ses pensées. Il fit un signe au policier, qui tira son pistolet…

Joe avait fait la guerre. Il plongea, au moment où la balle sifflait à l’endroit où sa tête se trouvait une seconde plus tôt. Roulant sous le car, il se releva de l’autre côté et prit ses jambes à son cou. Il était payé pour conduire des bus, non pour jouer les héros.

Au même moment une conduite intérieure arrivait. Voyant l’accident, elle freina et s’arrêta. Le conducteur habillé en policier l’arracha de son siège, se glissa à sa place, pendant que le Japonais entrait par l’autre portière. Et la voiture partit à fond de train, vers El Centro.

Joe se releva et s’épousseta. Du groupe des survivants sortit un énorme énergumène qui hurlait :

— Poursuivez-les, bon sang ! Poursuivez-les !

Un autre homme blond soutenait la tête du blessé, allongé dans l’herbe.

Felipe était en train de mourir. Le teint gris, il se mordait les lèvres jusqu’au sang pour ne pas crier. Malko était penché sur lui.

Le Mexicain murmura :

— Bonne, chance, señor S.A.S., ne perdez pas de temps avec moi. Je suis en train de perdre mon dernier combat, celui que l’on ne gagne jamais. Adios. Rattrapez ce Japonais de malheur et tuez-le. Il se tut un instant et ajouta, très bas :

— Après, si vous avez le temps, faites dire une messe pour le repos de mon âme.

Il eut un sursaut et se raidit.

— Merde, merde et merde ! murmura Malko.

Quand il se redressa, il se sentait vide et amer comme s’il venait de perdre un très, très vieil ami. Il rejoignit Clarke, qui expliquait la situation à Joe et à ses passagers.

— Filons, dit Malko.

— Avec quoi ?

— Le bus.

Le visage de Joe Pasternak s’éclaira.

— Ces salauds ! dit-il. On va leur montrer ce qu’un Greyhound a dans le ventre.

Il courut au bus, ouvrit le capot et arracha le limitateur de vitesse.

Trente secondes plus tard, il était au volant, Clarke et Malko derrière lui. Les passagers reprirent leur place à toute vitesse.

La poursuite commença. Une fois lancé, le lourd Greyhound atteignit 85 milles à l’heure. Klaxon bloqué, il traversa trois villages, tanguant dangereusement dans les courbes, brûla l’arrêt de Salt Lake Palisades. Depuis que la ligne existait, c’était la première fois qu’on voyait un bus passer devant un arrêt à la vitesse d’une Ferrari, conduit par un chauffeur qui agitait joyeusement le bras.

Joe doubla plusieurs voitures. Il klaxonna longtemps derrière une conduite intérieure, roulant elle aussi très vite, qui partit dans le fossé, d’émotion.

Il passa en trombe devant la voiture du shérif de Cusco. Mais la Lincoln volée n’était toujours pas en vue. Et les premiers postes à essence de El Centro apparaissaient déjà.

Depuis l’arrivée de la diligence de Dodge City, poursuivie par les Cherokees, en 1897, aucun véhicule n’avait fait dans El Centro une entrée aussi remarquable que le Greyhound San Francisco-El Centro.

Trois voitures de police aux trousses, le lourd autobus prit son dernier virage sur deux roues à plus de 60 milles à l’heure, manqua faucher la file de voyageurs qui attendaient, donna plusieurs coups de klaxon et stoppa dans un grincement épouvantable devant le bureau du shérif.

— Voilà, fit Joe. On ne les a pas rattrapés, mais on a fait ce qu’on a pu.

Il était heureux. Il venait de se défouler de dix-sept ans de conduite sage et raisonnable.

Malko et Clarke sautèrent du bus et s’engouffrèrent dans le bureau du shérif. Il ne leur restait pas beaucoup de temps pour arrêter Yoschico Tacata.

Chapitre XV

L’hélicoptère ronronnait doucement au-dessus de la baie de San Diego. Le soleil chauffait le plexiglas de la cabine, et en bas les voiliers qui évoluaient dans la rade ressemblaient à de gracieux petits jouets. Quelques gros navires de guerre, ancrés au pier militaire, faisaient des taches gris sombre. San Diego est une des bases les plus importantes de l’U.S. Navy sur la côte ouest.

Ce paysage donnait une furieuse envie de se baigner. Pourtant aucun des quatre passagers de l’hélicoptère ne pensait aux vacances.

Malko, couvert de sparadrap et endolori de partout, luttait pour garder les yeux ouverts. Il n’avait pas dormi depuis soixante-douze heures. Mais, pour rien au monde, il n’aurait renoncé à traquer Tacata et Mayo. Même s’il en avait eu envie, on lui aurait demandé un dernier effort : il était un des rares à pouvoir les identifier.

Derrière lui étaient assis deux hommes dont il ne connaissait que les prénoms : Robert et Steve.

C’étaient deux tueurs.

Ils arrivaient tout droit de l’Ecole d’Espionnage de San Antonio, au Texas. Espionnage était un euphémisme. On leur avait surtout appris à tuer, de toutes les façons. Ils avaient tous deux les yeux bleus. Steve avait des cheveux gris coupés en brosse, et Robert était très blond, avec un regard candide et très clair. Ils ne parlaient pas beaucoup ni l’un ni l’autre. Avec eux, ils avaient apporté une petite valise qui contenait deux carabines à lunettes, équipées d’un silencieux et d’une lunette infrarouge. Avec cela, ils abattaient un homme, de jour comme de nuit, à deux cents mètres.