Выбрать главу

Désemparé, il entreprit de passer en revue toutes les étagères du magasin pour vérifier le contenu de la moindre bouteille, du plus petit bidon. On ne savait jamais… un litre ou deux de l’explosif auraient peut-être été oubliés quelque part, ou versés dans un autre flacon. Hélas, les quaddies étaient bien trop consciencieux. Tous les produits étaient étiquetés, classés par catégories. Agba avait même remis à jour l’étiquette collée sur la bouteille qu’il tenait à la main : Explosif type B-2,45 cl. Nbre bout restantes : 0.

Et puis, alors qu’il allait succomber au découragement, son épaule heurta un des énormes barils d’essence. Non, pas un… six barils de cette saloperie, atterris on ne savait trop comment ici, et à présent fixés au mur. Où était passé le reste des dix tonnes ? Mystère… De toute façon, il s’en fichait. À ce moment, il aurait volontiers échangé les barils contre trois ou quatre aspirines. Dix tonnes d’essence, alors que…

Il s’immobilisa soudain, cligna des yeux et exhala un « aaah… » de pure béatitude.

Un litre, un seul petit litre d’essence, mélangé à du tétranitrométhane, constituerait un explosif d’une puissance exceptionnelle.

Il aurait fallu le vérifier, pour en être sûr, mais il était certain de ne pas se tromper. Savoir et inspiration étaient, en fin de compte, indissociables. Le tétranitrométhane était utilisé comme source d’oxygène de secours dans plusieurs circuits de l’Habitat et des pousseurs. Il produisait plus de 02 au centimètre cube que l’oxygène liquide, et ce dans une version épurée des anciennes bougies au tétranitrométhane qui, lorsqu’elles brûlaient, exhalaient de l’oxygène.

Le cœur de Leo manqua soudain s’arrêter. Et si quelqu’un avait utilisé le tétranitrométhane, pour gonfler les ballons des petits ou autre chose… ? Bon. Inutile de s’affoler pour rien. Il verrait sur place.

Après avoir pris le temps de ranger la flasque d’explosif à sa place, il inscrivit en grosses lettres rouges sur les barils : CETTE ESSENCE APPARTIENT À LEO. LE PREMIER QUI S’AVISE D’Y TOUCHER AURA PERSONNELLEMENT AFFAIRE À LUI.

Il sortit ensuite en trombe du module et partit en quête du premier terminal de bibliothèque disponible.

15

Le crépuscule s’attardait sur la terre craquelée du lac ; le ciel s’assombrissait peu à peu, passant du turquoise à l’indigo, en déployant toute une gamme de bleus pailletés d’or. L’attention de Silver était sans cesse distraite de l’écran de contrôle par les nuances fantastiques qu’elle admirait à travers la verrière. Une écharpe violette courait le long de l’horizon d’où s’échappaient des flammèches orange et garance, avec de petites plumes cobalt de vapeur d’eau se dissolvant dans l’atmosphère. À regret, elle fit passer l’écran en mode infrarouge.

Enfin apparut ce qu’elle guettait avec anxiété. La Land Rover dévala les lointaines pentes rocailleuses, puis s’élança sur le lac. Mme Minchenko sortit de la cabine de pilotage pour ouvrir l’écoutille, alors même que le véhicule s’arrêtait en dérapant devant la navette.

Silver applaudit en voyant Ti gravir les marches de la passerelle, Tony accroché sur son dos. Ils ont réussi ! Ils le ramènent ! Le Dr Minchenko suivait de près.

Une courte discussion à voix basse s’ensuivit près du sas entre M. et Mme Minchenko ; puis le médecin redescendit rapidement les marches pour allumer le gyrophare sur le toit de la Land Rover. Très bien. Ainsi, les gardes ne devraient avoir aucun problème pour repérer la voiture et revenir au spatioport. Silver eut déjà meilleure conscience.

Elle se retourna sur le siège du copilote tandis que Ti arrivait dans la cabine. Il fit glisser Tony sur le fauteuil de l’ingénieur, puis se rua sur le sien. D’une main, il arracha son masque et, de l’autre, actionna les commandes de l’appareil.

— Hé ! Mais qui s’est amusé avec mon vaisseau ?

Silver ne put contenir un sourire radieux en voyant Tony ôter son masque et attacher son harnais de sécurité.

— Tu es là… dit-elle simplement.

— ’a a pas été ’acile. Sont ’uste derriè’ ’ous…

Ses yeux bleus reflétaient son excitation, mais aussi une souffrance. Ses lèvres étaient curieusement gonflées.

— Que t’est-il arrivé ? demanda-t-elle, inquiète. Ti, que lui ont-ils fait ?

— Cette ordure de Van Atta lui a brûlé la bouche avec son engin électrique, répondit Ti dont le regard passait sans cesse de l’horizon au tableau de bord.

Les moteurs se rallumèrent et la navette commença à cahoter sur le sol inégal.

— Docteur Minchenko ? appela Ti dans son intercom. Vous avez vos ceintures, derrière ?

— Une minute… Voilà. C’est bon !

— Vous avez eu des problèmes ? s’enquit Silver en bouclant la sienne.

— Pas au début. Nous sommes entrés dans l’hôpital sans aucune difficulté. Je m’attendais que les infirmières nous posent des questions quand on est allés chercher Tony, mais ça saute aux yeux que, pour elles, Minchenko est un véritable dieu. On allait ressortir, moi avec Tony sur le dos, quand il a fallu qu’on tombe sur ce salaud de Van Atta.

— Oh non !…

— On a dû se contenter de le bousculer un peu, c’est tout – le Dr Minchenko voulait lui donner une bonne dérouillée pour ce qu’il avait fait à la bouche de Tony, mais il aurait fallu que je m’en charge moi-même, parce que, qu’il le veuille ou non, il n’est plus tout jeune… J’ai dû presque le traîner jusqu’à la Land Rover, je t’assure. J’ai juste eu le temps d’entendre Van Atta sortir de l’hôpital en hurlant qu’il voulait un jet-copter avant de démarrer. Il a dû en trouver un, depuis…

Ti jeta un coup d’œil sur son écran de contrôle.

— Eh oui, exactement… Merde. Regarde…

Il pointa son doigt sur l’écran, là où un point lumineux révélait la position de l’appareil.

— De toute façon, ils ne peuvent plus nous rattraper, maintenant…

La navette décrivit un large cercle, puis s’arrêta. Le ronronnement des réacteurs devint une longue plainte qui se transforma elle-même en cri suraigu. Les faisceaux de ses phares blancs tranchaient la pénombre devant eux. Ti relâcha les freins ; le vaisseau s’élança avec un grondement d’enfer qui cessa soudain alors qu’ils quittaient le sol. L’accélération les plaqua tous contre leurs sièges.

— Mais qu’est-ce qu’il fout, cet abruti ? marmonna Ti entre ses dents en voyant le jetcopter s’accrocher à lui sur l’écran. Tu me cherches, c’est ça ? Tu veux me faire peur ?

C’était sans doute l’intention du pilote, en effet. Il s’éleva alors que la navette prenait de l’altitude et piqua vers eux, essayant de toute évidence de les forcer à se poser. La bouche de Ti n’était plus qu’une mince ligne blanche ; ses yeux brillaient, déterminés. Il poussa les réacteurs au maximum. Silver serra les dents.

Ils passèrent assez près du jetcopter pour apercevoir des visages dans l’éclair blafard des faisceaux lumineux, taches blanches indistinctes trouées d’une bouche et de deux yeux noirs.

Ensuite, il n’y eut plus rien entre eux et les étoiles.

Le feu et la glace.

Leo revérifia lui-même la solidité de chaque crampon, puis recula de quelques mètres pour inspecter une dernière fois le résultat de ses efforts. Ils flottaient dans le vide à près d’un kilomètre de l’Habitat désormais totalement fixé sous le D-620. À cette distance, tout semblait serein, mais Leo connaissait la frénésie qui régnait à l’intérieur pour régler les détails de dernière minute.