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Il marqua une courte pause, jeta un regard circulaire autour de lui, et enchaîna:

— Cette société, dirigée par M. David Bullard, que j’aperçois dans la salle, est bien connue du public pour avoir ouvert les voies de l’espace à l’humanité, en investissant, à la place de l’État, d’énormes capitaux dans la recherche, la fabrication et le lancement de vaisseaux. En une vingtaine d’années, la SDEE est devenue une instance supranationale, ayant son domaine, sa milice, et sa flotte spatiale propres. Loin de nous en inquiéter, nous encourageons, soutenons même ses activités, parce que nous, Américains, sommes persuadés que les trusts, si puissants soient-ils, travaillent forcément pour le bien commun. C’est la raison pour laquelle nous suivons tous, avec angoisse, les faits et gestes de la colonie installée sur Ganymède.

Flaherty fit une nouvelle pause, pour désigner Bullard du doigt, enchaîna sur un ton vibrant de colère:

— Depuis des mois, l’humanité entière tremble pour les braves colons agressés par des barbares peuplant une planète perdue dans le cosmos! Pourtant, hier soir, il s’est produit une chose étonnante. J’étais chez moi, lorsque Théodore Kennedy, l’ennemi public numéro un, est arrivé pour me soumettre une pile de documents dont la lecture m’a glacé le sang! Et à l’heure où je vous parle, j’ai encore du mal à croire ce que mes yeux ont vu.

Il s’arrêta un instant pour reprendre son souffle, puis, posément:

— Monsieur le Président, avec votre permission, je voudrais maintenant laisser la parole à Théodore Kennedy, créatif chez Steward et Dinoli. Il s’agit, comme vous le savez certainement, de la plus grande agence de publicité new-yorkaise.

Une voix indignée s’exclama:

— Je proteste! Comment peut-on tolérer un criminel dans une assemblée aussi respectable!

Le président ignora cette intervention. Fit signe à Kennedy de parler. La gorge nouée, celui-ci vint se placer à la tribune. Ému, mais nullement impressionné par la multitude de regards écœurés ou perplexes qui s’étaient braqués sur lui, il brandit l’enveloppe et amorça:

— Le paquet que voici contient la preuve de la plus grande mystification de l’histoire moderne. Mais, avant de faire circuler des photocopies pour que vous puissiez juger par vous-mêmes, permettez-moi de dire à quel titre je prends la liberté d’accuser, de dénoncer la Société de Développement et d’Exploration extra-terrestres.

Une rumeur sourde commençait à s’élever dans la salle. Kennedy s’interrompit pour jeter un coup d’œil à Bullard qui le fixait avec des yeux embrasés de rage. Puis il éleva le ton pour déclarer avec force:

— J’ai séjourné sur Ganymède du 5 au 30 juillet dernier, aux frais de la SDEE! Participé activement à l’élaboration de la campagne publicitaire concernant la colonie de Ganymède! En conséquence je déclare, sur ma vie, que:

«1. La SDEE trompe délibérément l’humanité avec le concours de l’agence qui m’employait.

«2. La colonie de Ganymède est une invention, une fiction, une imposture éhontée. Il n’y a pas, il n’y a jamais eu de colons sur ce planétoïde, mais seulement…»

Kennedy se tut; découragé; incapable de se faire entendre dans la salle qui maintenant ressemblait à un essaim bourdonnant. On huait, on criait, on s’indignait malgré les appels répétés du Président au silence. Flaherty dut intervenir pour déclarer avec véhémence:

— Écoutez-le jusqu’au bout! Même si en ce moment vous refusez tous d’admettre que vous avez été dupés, comme moi! Mais alors, c’est la Terre entière qui a été dupée!

Le calme revint progressivement, mais quand Kennedy reparla, il pouvait sentir la haine de l’auditoire qui, en d’autres circonstances, l’aurait peut-être lynché. Calmement, il reprit:

— Je répète qu’il n’y a jamais eu de colonie sur Ganymède, mais seulement une dizaine de chercheurs, pour ne pas dire de brigands.

Il marqua une pause pour balayer l’assistance du regard et enchaîna avec un sourire en coin:

— Je vois à vos regards que vous me prenez pour un fou, messieurs. Mais, si je l’étais, votre collègue, monsieur Flaherty, s’en serait aperçu. Je ne vous demande pas de me croire sur parole. L’on va vous distribuer des photocopies du dossier Ganymède. Des documents authentiques que vous pourrez examiner en toute liberté avant de tirer vos conclusions.

Une voix ulcérée glapit:

— C’est un scandale! Continuez si vous voulez, mais moi, je démissionne!

C’était celle d’un quinquagénaire pétrifié dans une dignité toute britannique. Il pointa un doigt accusateur vers Kennedy avec l’intention de le couvrir d’insultes, mais s’arrêtant subitement pour regarder, d’un air médusé, son doigt figé en direction de la tribune où Kennedy venait de s’écrouler, à la grande stupéfaction de l’auditoire. Il y eut un instant de silence halluciné interrompu par un cri strident. Un cri de femme affolée, au moment où les gardes se précipitèrent sur Bullard qui, pétrifié, tenait son revolver encore fumant, fixant la tribune avec des yeux pétillants de démence.

CHAPITRE XX

Abasourdis, les délégués échangeaient des regards ahuris, choqués, osant à peine formuler l’effarement qui se lisait sur tous les visages. On eût dit que l’incident avait momentanément gelé le temps et les réactions, plongé l’assemblée dans un silence quasi mortuaire, à peine perturbé par les allées et venues des assistants qui, maintenant, distribuaient les exemplaires du dossier Ganymède.

Oublié dans la confusion générale, Kennedy gisait encore derrière la tribune, rivé au sol par une douleur atroce à l’épaule. Marge était dans la salle et le croyait probablement mort. Cette idée le tourmentait. Il se mit à gémir, sombrant peu à peu dans un état de semi-inconscience. C’est à peine s’il reconnut Flaherty qui vint se pencher vers lui, avec un sourire aimable, au moment où les gardes l’allongèrent sur un divan. L’assistance sembla s’animer tout à coup, comprenant que Kennedy n’était pas mort.

C’est Flaherty qui rouvrit les débats avec une déclaration virulente. Embrassant, d’un geste large, l’assistance excitée, il tonna:

— Vous avez tous vu David Bullard tirer froidement sur Théodore Kennedy! Je considère personnellement cette tentative d’homicide comme un aveu patent de culpabilité, et je demande…

Il se tut un moment pour laisser passer une vague d’applaudissements frénétiques et enchaîna d’un seul élan:

— … qu’une enquête soit ouverte immédiatement pour élucider les liens existant entre la Société de Développement et d’Exploration Extra-terrestres et l’agence de publicité Steward et Dinoli! Je demande la suspension des activités de ces deux entreprises jusqu’à la fin des investigations! Et pour finir, je suggère, monsieur le Président, chers collègues, que désormais, la recherche spatiale soit placée sous le contrôle direct et exclusif des Nations Unies! Tout ceci au cas où les allégations de M. Théodore Kennedy seraient fondées. Pour ma part, cela ne fait aucun doute!

Kennedy n’a jamais su combien de temps a duré son inconscience. Quand il rouvrit les yeux, il était dans une chambre d’hôpital. Il tenta de se redresser tout en regardant autour de lui. Flaherty l’observait, un sourire aux lèvres. Un jeune médecin l’accompagnait. Celui-ci vola aussitôt à son secours en recommandant doucement:

— Ne bougez pas trop. Vous êtes encore fatigué. Nous avons retiré la balle sans difficulté. Vous serez remis dans une dizaine de jours, mais pour l’instant: repos complet.

Flaherty remarqua sur un ton badin:

— Ce n’est pas juste! Il devrait être dans la rue pour stopper les émeutes qu’il a déclenchées!

Il désigna l’épaule bandée de Kennedy et conclut: