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— T’as pas envie de te marier? T’as bien une petite amie, des projets…

Spalding coupa, sur un ton désabusé:

— Oh! ma petite amie peut attendre. Elle attend déjà depuis si longtemps… Nous avons pensé au mariage, mais c’est pas facile…

— Justement, persistez! Une vie familiale te stabilisera. J’espère que t’as parlé à personne de ton désir de démissionner?

Spalding secoua la tête:

— Non. J’attendais la réunion de ce matin. Je t’avoue que je suis déçu…

— O.K. Mais fais pas de bêtises. Reste encore un peu. Le temps de réfléchir à tête reposée…

Kennedy cessa brusquement de parler, se demandant pourquoi il se donnait tant de mal à convaincre Spalding. Ce n’était pas son affaire, après tout. Il conclut néanmoins:

— Ne rue pas dans les brancards. Donne-toi une quinzaine de jours, histoire de voir venir.

Après un long silence maussade, Spalding secoua la tête et admit:

— T’as peut-être raison, Ted. À la réflexion, il se pourrait que je puisse avoir une influence positive sur ce projet.

Il eut un sourire amusé et taquina:

— Toi, t’es totalement acquis aux principes de l’agence, hein? Entièrement dévoué à Dinoli, à ce que je vois.

Kennedy eut un sourire averti et dit:

— Dinoli n’est pas un saint, c’est vrai. Mais je ne suis pas un ange non plus. Disons simplement que je ne crois pas beaucoup à la vertu. Alors, je garde mon boulot, la conscience tranquille.

— C’est ce qu’on dit… murmura le jeune homme si bas que Kennedy dut tendre l’oreille et demander:

— Pardon?

Spalding s’était déjà levé et s’apprêtait à partir. Il lança:

— Oh rien! Cette conversation m’a aidé à voir clair. Merci, Ted.

Kennedy le regarda s’éloigner en pensant:

— Quelle innocence! Avoir une conscience de nos jours: Quel luxe! Je sais que ce contrat est… dégueulasse. Mais, à quoi bon le crier sur les toits? On me cognera fatalement. Alors, bouclons-la.

CHAPITRE V

Dès la deuxième quinzaine de mai, tous les créatifs étaient délestés des contrats secondaires pour s’occuper exclusivement de la campagne ganymède. Watsinski distribua les rôles au cours d’une séance de travail réunissant tous les échelons:

— Mc Dermott! Contactez les médias! Je veux des spots TV et des annonces radio à toutes les heures de grande écoute! Plus, deux pages dans tous les grands quotidiens pendant trois mois! Kauderer! Occupez-vous de la liaison avec les grosses légumes des Nations Unies, ramenez-moi le soutien de tous les représentants des institutions les plus influentes de la ville, les curés compris! Poglioli! Je veux des sondages bien faits! Posez des questions fermées, je veux des réponses claires, des positions tranchées, vu? Kennedy, Haugen, Spalding, Presslie, Cameron, Richardson, Fleischman, Lund et Whitman! Attendez mes ordres!

Les fonctions étaient clairement définies. La tâche la plus importante — la production idéologique — incombant à l’héritier présomptif de Dinoli, chargé de dicter le contenu des messages publicitaires aux troisièmes échelons. Cela ne faisait aucun doute. Mais, d’ordinaire, dès qu’un contrat tombait, l’agence prenait aussitôt l’aspect d’une ruche bourdonnante: on se pressait, on s’activait dans tous les sens pour respecter, coûte que coûte un calendrier contraignant. Mais cette fois-ci: rien de semblable. Les réunions traînaient en longueur. On se bornait à émettre des propositions rejetées avant même d’être examinées. Parfois même, les séances se terminaient en queue de poisson, Watsinski semblant se contenter de communiquer des dates au compte-gouttes. Au bout de quelque temps, Kennedy obtint un calendrier d’une précision effarante. Il s’abstint de le montrer à Marge: les choses étant bien trop claires:

21 mai: lancement de la campagne. Moyens: affichage TV. Radio. Cinéma. Quotidiens. Presse à sensation et presse féminine.

8 juillet: Opinion publique chauffée à blanc. Deuxième phase de l’opération: diabolisation des Ganys.

17 septembre: Intensification de la campagne. Cible: les récalcitrants éventuels.

22 septembre: Début de la phase «soutien à la SDEE».

11 octobre: Incident opportun. La SDEE demande l’intervention de l’armée des Nations Unies.

17 octobre (au plus tard): débarquement des troupes sur Ganymède.

Connaissant d’avance la réaction de sa femme, Kennedy laissa prudemment ce calendrier au bureau. Elle protesterait certainement, comme Spalding, qui maintenant travaillait, avec Haugen, dans le même bureau que lui. L’atmosphère n’y était pas précisément détendue. Kennedy avait l’impression de passer son temps à essayer de prévenir une rixe entre les deux hommes, protégeant Spalding qui, en dépit de sa grande gueule, n’aurait pas fait le poids devant la masse charnue de Haugen. Ils travaillaient tous en silence lorsqu’une secrétaire leur apporta des enveloppes contenant un mémo de Dinoli. Après en avoir lu le contenu, Spalding brandit la note et ironisa:

— Ça y est, braves conquérants, nous allons enfin avoir du sang: l’heure du massacre approche!

La réaction de Haugen ne se fit pas attendre. Il se tourna comme un fouet vers Spalding et menaça:

— Que veux-tu dire au juste?

Ça sentait la bagarre. Kennedy s’esclaffa sans gaieté réelle:

— Ah! Sacré Dave! Toujours pessimiste. À l’entendre, on dirait que nous allons exterminer les Ganys!

Les yeux étincelants de fureur, Spalding répliqua:

— On le croirait à moins! Cette agence me…

— Je ne te le fais pas dire: elle me fascine moi aussi, coupa Kennedy, sachant très bien que les mots étouffés étaient certainement: «me sort par les narines».

Feignant de se pâmer d’admiration, il se tourna vers Haugen qui fixait Spalding avec des envies de meurtre et fit:

— Dinoli est un crack, hein, Alf? Ce type m’épate. Il est capable de concevoir un calendrier six mois à l’avance sans se gourer sur les projections de tendance. Chapeau!

Haugen eut une moue dédaigneuse et lança:

— Me fais pas rire, Ted! Dinoli est certainement un crack, mais pas pour cela. Moi, je l’admire, parce que c’est un requin. Un piranha, même. Ça m’est égal qu’il m’entende: j’aime sa férocité!

Spalding blêmit instantanément et souffla, peu rassuré:

— Vous croyez qu’il y a des micros ici?

Haugen répondit sans sourciller.

— C’est normal, au troisième échelon! À ce niveau, on ne peut pas se permettre de nourrir des traîtres.

Il fixa froidement Spalding qui s’était promptement remis au travail et conclut:

— Moi, je n’ai rien à me reprocher. Je ne crache pas dans la soupe.

Kennedy se leva brusquement et demanda:

— Dis donc, Dave, tu peux venir m’aider une seconde? J’ai des documents à ramener de la bibliothèque.

Sans lever le nez de ses papiers, le jeune homme lança:

— Sonne un porteur! C’est tellement plus simple.

Kennedy vint se planter devant lui et lui écrasa le pied en insistant lourdement:

— Non, c’est confidentiel. J’ai pas confiance en ces gars.

Spalding le suivit à contrecœur. Dès qu’ils furent dans le couloir, Kennedy le saisit par le bras et souffla:

— Écoute, Dave, il vaut mieux garder tes plaisanteries pour toi. Elles ne sont pas du goût de tout le monde.

Spalding émit un petit gloussement et fit:

— Vraiment?

— Oui, vraiment! En ce moment t’es considéré comme un troisième échelon. Et à ce niveau, Dinoli ne pardonne rien. Haugen pourrait lui rapporter tes propos ou te flanquer son poing sur la figure. Attention, Dave!