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— Plutôt agressif.

— Vous le tolérez ? Saquez-moi les meneurs ! Je vous couvre !

— Il s'agit surtout des anciens. Vingt ans de maison, la tête leur tourne, ils se croient intouchables.

— Un nom, Murray !

— Il y en a plusieurs.

— Un seul… ?

— Bannister.

— Qu'est-ce qu'il fait chez nous ?

— Branche contentieux, chef de service.

— Dehors !

— A vos ordres, monsieur Hackett.

— Pas de canards boiteux à la Hackett ! Cinquante têtes Murray, c'est compris ? Soyez sans pitié ! »

Il raccrocha sèchement, pouffa de rire et considéra Poppie paternellement.

« Je sais que j'ai blessé ta sensibilité. Mais si je n'en virais pas une centaine de temps en temps, les autres ne se sentiraient plus dirigés. »

Alan se fit déposer dans la 6e Avenue, régla son taxi, s'enfonça dans la chaleur et dans la foule et s'engouffra avec autorité dans la succursale n° 11 de la Burger.

Le défi de Bannister chassait momentanément la peur abjecte qui l'avait submergé lors de ses deux précédentes tentatives. Il s'arrêta devant le premier guichet venu, sortit son chéquier et inscrivit à son ordre la somme de 20 000 dollars. Il adressa au caissier un sourire teinté d'insolence, parapha le chèque et le lui tendit.

L'action qu'il commettait lui ressemblait si peu que perdu pour perdu, elle reléguait au second plan la terreur qu'elle lui inspirait. Par un curieux phénomène de dédoublement, il devenait spectateur de lui-même, fasciné par l'accomplissement de son acte irréversible au point d'en oublier qu'il en était non seulement le rêveur et le rêvé, mais l'acteur principal.

« Souhaitez-vous toucher cette somme en espèce, monsieur Pope ?

— Naturellement. »

Le caissier eut une expression soucieuse.

« Pouvez-vous m'attendre un instant ? Je dois me rendre au coffre. »

Il quitta le rond de cuir où le vissaient huit heures de présence quotidienne derrière son guichet. Bien entendu, il allait donner l'alerte. Alan ne ressortirait plus de la banque que pour entrer en prison. Il alluma calmement une cigarette. A quoi bon s'enfuir ? Les dés étaient jetés. Il perçut de nouveau la présence du caissier à son poste, vit simultanément les deux flics l'encadrer et entendit un inconnu en complet gris lui dire à voix basse mais distincte :

« Je suis Abel Scott, sous-directeur de l'agence. Puis-je vous suggérer d'avoir l'obligeance de suivre ces messieurs ? »

Alan tendit docilement ses poignets pour qu'on lui passe les menottes.

« La somme que vous prélevez est importante, monsieur Pope. Ils vont vous escorter jusqu'à votre voiture.

— Nous avons eu une agression cette semaine, renchérit aimablement le plus grand des deux flics. Il vaut mieux être prudent. »

Alan constata avec gêne qu'il avait instinctivement gardé les bras tendus. Pour justifier ce geste qui se prolongeait dangereusement, il se frotta les mains avec embarras, les ramena le long de ses jambes et se racla la gorge.

« Non merci, c'est tout à fait inutile. »

Abel Scott lui lança un regard peiné, mais s'inclina. Le caissier déposa sur le comptoir une grosse enveloppe de papier beige.

« Voulez-vous que nous recomptions, monsieur Pope ?

— Allons-y », s'entendit dire Alan.

Sous l'œil hypnotisé des flics, les doigts courtauds du caissier volèrent sur les liasses à une vitesse météorique.

« Au revoir, monsieur Pope, dit Abel Scott. J'aurai grand plaisir à vous recevoir personnellement si vous repassez chez nous. »

Alan marmonna une vague approbation, saisit négligemment l'enveloppe gonflée de dollars et se dirigea vers la sortie avec nonchalance. La rue le happa. Il dut marcher une centaine de mètres avant de rencontrer un bar. Il y entra, se précipita dans les toilettes et vomit.

« Enfin, Alan !… Qu'est-ce que je vais raconter à Christel ? »

Samuel lorgna Patsy à la dérobée. Elle se détourna vivement, prit un air absorbé et feignit de gribouiller quelque chose sur son bloc. En fait, elle écoutait de toutes ses oreilles. Samuel masqua sa bouche dans le creux de sa main :

« Où ça ?… Comment ça s'appelle ? Attends, j'écris… » Il nota une adresse.

« Répète le numéro… D'accord, j'y serai. »

Alan ne lui avait donné aucune précision mais exigeait de le voir au dîner. Sa voix était curieuse, atonale.

Le rendez-vous n'arrangeait pas Samuel. Les rares fois où s'y prenant quinze jours à l'avance, il avait passé la soirée hors du foyer conjugal, Christel s'était livrée à une véritable enquête afin de vérifier si les alibis professionnels de son mari tenaient debout. Comment lui annoncer la nouvelle ?

« Monsieur…

— Patsy ?

— Excusez-moi, monsieur, mais je voudrais vous poser une question qui ne me regarde pas… Enfin, elle me regarde un peu… Je veux dire que ce n'est pas mon affaire…

— Murray m'attend, dit Bannister.

— Je sais, monsieur, mais voilà… Les gens sont nerveux dans la maison… Il y a des rumeurs…

— Quelles rumeurs ?

— On parle d'une énorme charrette… »

Bannister haussa les épaules.

« S'il fallait accréditer tous les ragots de couloir… Vous êtes dans la boîte depuis assez longtemps pour savoir qu'on raconte n'importe quoi !

— Certes, monsieur, mais il n'y a jamais eu de fumée sans feu.

— Vous savez ce que c'est en période de vacances. Les gens s'inquiètent.

— A propos d'Alan Pope, on raconte…

— Quoi donc, Patsy ?

— On dit qu'il est licencié.

— Allons donc ! hennit Samuel pris au dépourvu, ne sachant s'il devait délivrer à l'instant même une vérité que tout le monde connaîtrait sous peu. Où en êtes-vous avec le fluor ?

— Je patauge.

— Tachez d'avancer, je monte. »

Le déroulement de ce qui suivit fut très bref.

« Entrez, Bannister, dit Murray. J'ai une bonne nouvelle à vous annoncer. »

Samuel se contracta. Pour Murray, les seules bonnes nouvelles étaient l'annonce de la mort des autres.

« Nous sommes aujourd'hui le 23 juillet, Bannister.

J'ai le plaisir de vous apprendre que le 31 décembre, vous toucherez 28 472 dollars. »

Comme Samuel le regardait avec des yeux ronds, il ajouta :

« A partir du 1er janvier, vous êtes mis à la retraite d'office. »

La jeune femme traversa le bar d'un pas léger. Arrivée devant la salle de billard, elle se heurta à un garçon qui en sortait.

« Hello, John…

— Hello, Poppie !

— Il est là ?

— Ils sont en train de le plumer. »

Elle lui adressa un sourire et pénétra dans la pièce enfumée. Prisonniers d'une violente flaque de lumière illuminant le tapis vert du billard, une dizaine d'hommes observaient un costaud en tee-shirt s'apprêtant à jouer un coup impossible. Poppie fit deux pas en avant.

« Peter !… »

Le costaud se retourna et lui jeta un regard meurtrier.

« Alors, tu joues ? s'impatienta Maxie. Il dévisagea Poppie sans aménité et ajouta à voix haute : C'est un billard, ici, pas un salon de thé.

— Excuse-moi, Peter… » bredouilla Poppie.

Plusieurs témoins ricanèrent d'un air goguenard.

« Fiche le camp ! » cracha Peter sans desserrer les lèvres.

Poppie approuva vigoureusement de la tête.