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« Je t'attends à côté. »

Peter se plia en deux au-dessus du tapis, ajusta sa queue dans sa main droite et demeura rigoureusement immobile pendant plusieurs secondes. Silence total. La boule rouge fusa…

« Tu me dois 800 dollars », dit Maxie.

Peter le tira à l'écart.

« Tu m'accordes dix minutes ? Je dois d'abord régler une affaire et je te paie. »

Maxie lui jeta un regard inquisiteur.

« D'accord. Dix minutes. »

Peter sortit de la salle, et vit Poppie juchée sur un tabouret du bar.

« Tu m'as fait perdre !

— Gros ?

— 1 500 dollars. John, un double. »

Poppie lui posa timidement la main sur le bras. Il garda les yeux rivés sur les étagères aux bouteilles multicolores comme s'il n'avait rien senti.

« Tu m'en veux ?

— Pas du tout, je te félicite, bravo… » lui dit-il sans la regarder.

Dès qu'elle était en sa présence, elle redevenait une petite fille de dix ans. La beauté de Peter lui enlevait tous ses moyens.

« Peter…

— Oh ! la ferme. »

Elle admira ses longues mains nerveuses, la finesse de son nez, la découpe de ses larges épaules musclées moulées dans le tee-shirt blanc.

« J'ai été retardée, Peter. Arnold est arrivé chez moi…

— La vieille Hackett !… ironisa-t-il sur un ton sarcastique.

— Je crois que je peux t'aider, Peter… »

De nouveau, elle allongea la main et lui pétrit le bras. Il contracta automatiquement son biceps mais la laissa faire.

« Tu lui as tiré quelque chose, à ce radin ?

— Un peu.

— Combien ?

— Deux mille.

— Donne ! »

Elle lui glissa un rouleau de billets qu'il fit disparaître dans sa poche en s'esclaffant.

« Je comprendrai jamais qu'un type aussi con puisse être aussi riche ! Passe encore qu'il me croie architecte, mais qu'il te prenne pour ma sœur !… Ma sœur !… Comme si je pouvais baiser ma sœur !… »

Victoria méritait bien peu son nom. Longue, douce, blonde, vaincue, la peau aussi blanche que du papier, sourcils et cils assortis : parfaitement fade. Pasteurisée. Elle était déjà transparente quand Arnold l'avait connue. Après trente-sept ans de mariage, il ne la voyait pour ainsi dire plus. Fille unique d'un défunt pharmacien aisé, elle errait désormais, fantomatique et blanchâtre, dans leur immense appartement de Park Avenue, abreuvée de somnifères, entourée de ses pékinois et de ses domestiques.

« Tu es contente de partir ? » interrogea Arnold.

Elle le regarda comme s'il s'était exprimé dans une langue étrangère.

« Pardon ?

— Je te demande si tu es contente de partir ?

— Oh ! oui, Arnold, oui…

— Richard a prévenue Gohelan de notre arrivée ?

— C'est fait.

— Nous avons notre suite habituelle ?

— Le grand salon, la terrasse et les deux chambres d'angle du deuxième étage.

— Richard a-t-il demandé à Gohelan de changer la couleur de la tapisserie ?

— Je ne sais pas.

— Il fait beau ?

— Très beau.

— Excellent.

— Gohelan a dit à Richard que Korsky était déjà à pied d'œuvre. Il t'attend avec impatience.

— Qui ça ?

— Korsky. La personne avec qui tu joues au back-gammon.

Cette vieille crapule n'aura pas un sou de moi cette année ! Je me remets au tennis ! »

Victoria le considéra avec une expression inquiète. Il répondit à la question qu'elle ne posait pas :

« J'ai un cœur parfait ! Comment est la mer ?

— Vingt-cinq degrés.

— Nous avons nos billets ?

— Je te les ai glissés dans ton portefeuille cet après-midi avant que tu partes. »

Arnold Hackett se tâta machinalement : ses poches étaient vides. Il regarda Victoria. Elle ne faisait plus attention à lui. Diluée de nouveau dans ses nuages, elle jouait avec Tristan, son pékinois favori. Arnold eut brusquement la certitude que son portefeuille ne pouvait être que chez Poppie. Une bouffée de chaleur l'envahit au souvenir de sa récente prouesse sexuelle.

« Victoria ?

— Arnold ?

— J'ai dû oublier mon portefeuille au bureau.

— Dis à Richard d'aller le chercher.

— Non, non, j'y vais moi-même ! Il ne saurait pas où le trouver. »

Il décrocha l'interphone et ordonna à son chauffeur-majordome d'amener la Cadillac devant la porte. Avec un peu de chance, Poppie ne serait pas chez son frère. Il pourrait la prendre dans ses bras encore une fois.

Aucun objet n'avait bougé de place, mais à quelque chose d'impalpable dans l'atmosphère, Alan sut qu'on avait pénétré chez lui. Il s'immobilisa, flaira, fouilla des yeux le living et passa dans la chambre. Le lit était toujours tel qu'il l'avait laissé, froissé, en désordre, les draps traînant par terre le long du matelas.

Il se rendit dans la cuisine. La tête ailleurs, il ouvrit le robinet de l'évier qui lui renvoya un glouglou sinistre. Il haussa les épaules et tira machinalement à lui la porte du réfrigérateur. Une décharge électrique le parcourut : l'une des deux bouteilles de lait était presque vide, Marina était venue ! Il retourna dans l'entrée, vérifia soigneusement qu'aucun billet n'était glissé sous la porte. Il déplaça des bibelots posés çà et là, regarda sous le support du téléphone, examina de vieilles notes d'épicerie au dos desquelles elle aurait pu inscrire un message.

Il eut un rire nerveux : dans sa fébrilité, il venait de jeter comme un torchon de papier sans valeur le paquet contenant les 20 000 dollars.

Ils représentaient pourtant tout ce à quoi rêvaient les hommes, la liberté, le temps retrouvé, les voyages, le luxe. Samuel n'en reviendrait pas de les voir ! Il regretta de lui avoir imposé ce rendez-vous. Non pour Christel, qui lui rendait la vie impossible, mais à cause de Marina qui risquait de revenir entre-temps. Elle agissait d'une façon déconcertante, apparaissant et disparaissant comme les chats, oubliant d'un instant à l'autre ce qu'elle venait de promettre, l'endroit où elle avait caché ses gants, son chapeau, ses lunettes de soleil, n'arrivant jamais quand on l'attendait, se matérialisant lorsqu'on ne comptait plus sur elle.

Il considéra avec indifférence l'enveloppe bourrée de liasses qui gisait sur la moquette. Il l'aurait donnée de grand cœur à quiconque lui aurait indiqué où était Marina à cet instant précis !

CHAPITRE 6

Arnold Hackett colla son oreille contre la porte : un air de jazz filtrait de l'appartement, Poppie était chez elle !

Arnold adorait faire des surprises. Un sourire de propriétaire éclaira son visage. Il fit tourner le pêne tout doucement, entra…

Ses yeux enregistrèrent un spectacle dont il ne comprit absolument pas le sens. Derrière l'immense divan bas — 3 800 dollars — deux jambes divines semblaient flotter dans l'espace, parcourues par une ondulation souple et rythmée. Les pieds de ces jambes étaient en appui sur une console ancienne qui elle aussi, lui avait coûté une fortune chez un antiquaire italien. A pas de loup, il fit le tour du lit ; une créature nue et inconnue, en appui sur les avant-bras gantés jusqu'au coude de chevreau noir, faisait des pompes. Sur sa tête, un curieux chapeau de paille recouvert de feuilles et de fruits. La propriétaire du chapeau scandait ses mouvements à mi-voix :

« Douze, treize, quatorze, quinze… »

Sa position ne lui permettait pas de voir Arnold. Bouche bée devant ce corps parfait, il balança entre sortir pour ne pas être pris en flagrant délit d'indiscrétion, ou prolonger le spectacle. Après tout, il était chez lui.