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Le talonnant en seconde position avec 500 millions annuels seulement, le géant de l'industrie pharmaceutique, Arnold Hackett.

La voiture longea des parkings en construction, s'engagea sur une bretelle et se retrouva sur l'autoroute, direction Cannes, dans un flot d'autres véhicules. Il était un peu plus de six heures de l'après-midi, le soleil était toujours haut, l'air sentait le mimosa, l'essence, la mer, l'ambre solaire. Alan risqua un regard sur la gauche, en direction des plages qui longeaient la route. Il s'aperçut que les automobilistes qui le dépassaient le dévisageaient avec curiosité. Il chaussa des lunettes noires.

« Désirez-vous prendre l'autoroute ou longer la côte ?

— Longer la côte.

— Bien, monsieur. »

Il remarqua que depuis son arrivée, Norbert s'était adressé à lui dans un anglais parfait sans trace d'accent.

« Vous parlez un très bon anglais. Etes-vous anglais ? »

Norbert émit un petit rire amusé.

« Certainement pas, monsieur. Je suis français d'ascendance italienne. Mon nom est Testore.

— Vous parlez aussi l'italien ?

— Oui, monsieur. Je n'y ai aucun mérite.

— Quoi d'autre encore ?

— Ma foi… quelques bribes de russe, et je viens de me mettre au chinois… Bien que dans la région, on n'ait pas souvent l'occasion de pratiquer cette langue. »

Il observa un temps et ajouta :

« Pour le moment. »

Alan se demanda ce qu'il voulait dire. Il détourna la tête pour suivre du regard deux filles superbes qui marchaient le long de la plage, de l'autre côté de la route, les seins nus. Dans l'indifférence générale. Il capta l'œil de Norbert qui le guignait dans le rétroviseur, se sentit pris en faute.

« Comment ça, pour le moment ?

— Il est fatal que tôt ou tard les Chinois débarquent chez nous.

— Qu'est-ce qu'ils pourraient bien y faire ?

— La même chose que nous tous, monsieur, jouir du pays. A mon avis, la région est Tune des plus belles du monde. Évidemment, il ne faut pas la voir en été. Trop d'envahisseurs. »

Nadia Fischler vivait du jeu, pour le jeu, et mourrait du jeu. Cela, elle le savait depuis le jour où ses doigts avaient effleuré pour la première fois les cartes que lui tendait le croupier à la table de baccara de Monte-Carlo. Elle avait dix-neuf ans à peine. Sa mère avait fait des ménages pour l'élever. Elle n'avait jamais connu son père. A treize ans, elle avait son premier amant, un garçon boucher qui lui avait refilé dans un sac en papier des morceaux de jambon et des saucisses qu'elle avait ramenés à la maison en prétendant avoir fait des courses pour le magasin. Elle avait trouvé les charcuteries succulentes, mais n'avait gardé de cette première et lourde étreinte qu'un souvenir flou et déplaisant. Elle s'était rattrapée depuis. A quarante ans, ses étonnants yeux violets faisaient toujours autant de ravages. Elle en connaissait le pouvoir, l'exerçait avec cynisme et sans pitié sur ceux qu'elle plumait à une rapidité effrayante pour assouvir sa passion pathologique du jeu. Elle se moquait de l'argent en tant que valeur, se fichait de gagner ou de perdre, ne recherchant qu'un plaisir qui était une fin en soi, être assise à une table de roulette dans la sourde rumeur feutrée d'un casino.

Remarquée pour sa beauté, elle avait daigné prendre pendant trois ou quatre ans le chemin des studios où des producteurs, fous d'elle, lui avaient fait tailler des rôles sur mesure. Les fortunes qu'on lui versait étaient instantanément dilapidées sur les tapis verts. Elle était désormais plus célèbre pour ses bancos suicidaires que pour son fulgurant passage dans la constellation des stars. Des hommes riches et puissants essayaient de s'accrocher à son bras, une semaine, deux jours, trois heures, selon leur résistance. Tous craquaient. Au train d'enfer où Nadia perdait, nul ne pouvait la suivre longtemps. Des années auparavant, elle avait eu une brève aventure avec Lou Goldman. Ils étaient restés des amis. Elle lui avait juré de paraître à son cocktail avant de retourner à « l'usine »[1]. Lou l'avait dépannée bien souvent. C'étaient de petites politesses qui se pratiquaient entre joueurs, ceux qui étaient en veine renflouaient les perdants. Goldman lui-même n'avait pas hésité à la taper dans des situations analogues…

Elle enfila sa robe noire qui était devenue légendaire, fit bouffer ses cheveux blond cendré et appela Alice, sa femme de chambre tahitienne.

« Tu es prête ?

— Oui, madame.

— Montre-toi.

— J'ai honte…

— Montre-toi ! »

Alice apparut, se cachant le visage entre les mains. Nadia pouffa. Alice voulut s'esquiver.

« Reste ! Laisse-moi t'admirer !

— Je ne pourrai pas…

— Tu es superbe ! s'exclama Nadia. Tu vas être le clou de la fête ! »

De nouveau, elle hurla de rire.

« J'ai très soif, Norbert. Si vous pouviez m'arrêter dans un bistrot ?…

— Avec plaisir, monsieur. Je vous ferai remarquer toutefois que le compartiment à votre droite, dans le dossier, comporte un bar. Vous y trouverez toutes les marques de whisky ainsi qu'une grande variété d'eaux minérales. Je crois même qu'il y a du Coca-Cola.

— Merci. Je préférerais m'arrêter. »

On entrait dans Cros-de-Cagnes. Norbert rangea froidement la voiture sur un terre-plein interdit, quitta son siège, ouvrit la portière, et désigna une terrasse aux parasols de couleurs vives.

« Ici, monsieur ?

— Parfait. Vous venez avec moi ?

— Avec plaisir, monsieur. »

On les avait vus du café. Des filles en maillot, dix-sept ans à peine, vautrées dans des transats, lorgnèrent Alan sans équivoque.

« Dites, Norbert, vous ne pourriez pas ôter votre casquette ? »

Le chauffeur s'exécuta en souriant. Ils s'installèrent à un guéridon.

« Qu'est-ce que vous buvez, Norbert ?

— Avec votre permission, un pastis.

— Alors moi aussi. C'est bon ? »

Alan se sentit soudain un peu ridicule. Ses chaussures marron, sa cravate noire sur une chemise blanche et son costume clair détonaient avec la mise débraillée de la plupart des clients. Jeunes ou vieux, ils étaient tous à peu près nus, en short et en espadrilles. Le strict uniforme noir de Norbert avait quelque chose de funèbre dans ce paysage bigarré mangé de soleil. D'après les récits de Samuel, il avait imaginé la Côte d'Azur comme un endroit sophistiqué où nul écart vestimentaire n'était permis. Encore un endroit où Bannister n'avait jamais mis les pieds.

Victoria Hackett n'arrivait pas à détacher les yeux de l'immense bouquet de roses.

« Arnold ?

— Victoria ?

— Tu le connais, ce M. Goldman ?

— De nom. C'est un producteur.

— Je trouve ces roses encore plus belles que celles de Miami. C'est très délicat de sa part.

— Oui. Ton dos va mieux ?

— Un peu mieux. Du moment que je ne porte pas de décolleté… »

Ils étaient arrivés la veille. Il avait suffi à Victoria de faire l'aller-retour de l'hôtel à la plage, dix minutes à peine, pour que ses épaules prennent une teinte écarlate et se couvrent de cloques. Chaque année, c'était la même histoire, Victoria ne pouvait affronter le soleil de la Côte qu'à l'ombre des parasols.

« Veux-tu que je te passe encore un peu de crème ?

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1

Dans le langage des flambeurs, le casino.