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Alan empila quelques affaires dans un sac.

« Pas sur la banque. Sur Sarah. Nuance.

— Qu'est-ce que tu lui reproches ? Elle est ravissante !

— Elle ressemble déjà à sa mère. Je ne veux pas devenir un autre Ham Burger !

— Où vas-tu ?

— Sur mon yacht ?

— Un yacht ? Quel yacht ?

— Celui que tu m'as fait louer, crétin ! J'ai besoin de ne pas me sentir traqué ! J'ai des comptes à régler, des choses à faire, je veux qu'on me fiche la paix !

— C'est un beau yacht ?

— Splendide !

— Et moi, qu'est-ce que je fais ? Où je vais ?

— Tu restes ici.

— Pourquoi tu ne m'emmènes pas sur le bateau ?

— Tu es trop voyant. Tu me ferais repérer !

— Je n'ai pas les moyens d'habiter le Majestic ! Tu as vu les prix ? C'est exorbitant !

— Je paierai. Je t'ouvre un crédit illimité. A une condition… Tu restes ici en couverture, tu me protèges, tu m'informes, tu me préviens. Vu ?

— Comment il s'appelle, ton yacht ?

— Le Victory II.

— Il est où ?

— A quai, dans le vieux port. Je t'avertis que si tu commets la moindre indiscrétion, j'appareille pour les Antilles ! Il est indispensable que j'aie les mains libres pendant quarante-huit heures encore.

— Qu'est-ce que je dis si on te demande ?

— Tu ne m'as pas vu, tu ne sais rien, je suis en voyage. »

Samuel se servit un verre, s'assit sur le bras du fauteuil et contempla Alan à la dérobée d'un air songeur. Une pareille métamorphose en si peu de temps le dépassait.

« Alan…

— Quoi ?

— Cette histoire de mariage avec l'étudiante… C'est une blague ?… Tu as voulu me faire peur ?

— Tu seras mon témoin.

— Dommage… Je me voyais déjà fondé de pouvoir principal de la Burger. C'est comme si on me mettait à la porte une deuxième fois. »

Alan bouclait son sac.

« Alan…

— Oui ?

— Si par hasard tu réussissais ton coup…

— Eh bien ?

— Tu pourrais peut-être m'engager comme secrétaire ? »

Alan feignit une expression choquée.

« Toi ? Tu n'es même pas foutu de prendre une lettre en sténo ! »

Oliver Murray raccrocha, découragé. L'annonce publique de l'O.P.A. avait suffi pour jeter un vent de panique dans les milieux boursiers de New York. Les rumeurs les plus alarmistes couraient sur la santé du géant qui chancelait : on ne faisait plus confiance à la Hackett.

« M. Hackett est en vacances… » répondait-il invariablement aux gros actionnaires qui venaient aux nouvelles. Le téléphone ne cessait de sonner de haut en bas dans les huit étages du Rilford Building consacrés aux services administratifs de la firme. Des appels angoissés parvenaient de toutes les succursales éparses sur le territoire des États-Unis. Les directeurs, les ingénieurs, les chimistes, les services médicaux, chacun voulait savoir à quelle sauce il allait être mangé.

En quelques heures, le rapport des forces avait changé. Les grandes banques, qui suppliaient habituellement la Hackett d'accepter des capitaux frais, avaient fait la sourde oreille quand Murray leur avait lancé un discret S.O.S. : aucune ne voulait faire l'échéance. Les requins attendaient les résultats de la curée.

Murray avait supplié Arnold Hackett de ne pas revenir à New York comme il en avait manifesté l'intention quand il l'avait informé de la trahison de la Burger. Il restait encore deux jours pleins pour trouver des fonds, reprendre la barre. Mais Murray n'y croyait plus. A son avis, le seul moyen de sauver les meubles était de faire fléchir Hamilton Price-Lynch. Il était la cause du désastre. Il pouvait encore l'arrêter si Hackett rusait, parlementait, acceptait de perdre la face en apparence. Malheureusement, dès que son orgueil entrait en jeu, il était têtu comme un âne. S'il ne s'abaissait pas pour vaincre, l'entreprise serait déclarée en faillite pour cessation de paiements dans les quarante-huit heures qui allaient suivre.

Alors, Oliver Murray pourrait faire sa valise. D'un geste las, il décrocha le téléphone pour la centième fois depuis le début de cette matinée funeste.

CHAPITRE 28

« Alors, ils ne se sont toujours pas réconciliés ?

— Le mien ne m'a fait aucun commentaire. Pas la moindre allusion. Rien. Et toi ?

— Je nage… Deux types qui étaient si copains ! »

On était le 30 juillet. Colportée par le garçon d'étage, la bagarre qui avait opposé deux jours plus tôt Arnold Hackett à Hamilton Price-Lynch avait fait le tour du Majestic, du Palm Beach et du casino comme une traînée de poudre. Le Tout-Cannes s'était interrogé pendant quelques heures sur ses causes. Les journaux de la veille avaient apporté la réponse : sur tous, en première page, s'étalait l'annonce de l'O.P.A.

« Ce que ton patron a fait au mien est quand même dégueulasse », reprit Richard à l'intention d'Angelo La Stresa.

Les quatre chauffeurs étaient installés devant la grande entrée de l'hôtel et discutaient depuis dix minutes à l'ombre du massif de mimosas planté au pied des marches conduisant à la piscine. Les avis étaient partagés : pour Léon Trotski, qui portait la vareuse de Lou Goldman, il n'y avait pas coup fourré.

« Si vous saviez ce qui se passe dans les milieux du cinéma ! Goldman écrabouillerait ses propres enfants pour produire un film !

— Tu trouves ça normal ? s'indigna Richard. Hackett est dur, emmerdeur, c'est vrai ! Mais au moins, il est régulier !

— Qu'est-ce que tu en sais ? jeta La Stresa. Ham Burger aussi a la réputation d'être correct ! Pourtant, c'est le pire des faux jetons ! Le numéro qu'il me fait quand il se doute que je vais lui demander une augmentation ! C'est la loi, Richard ! En affaires, peu importe comment tu t'y prends, il faut bouffer l'autre ! »

La journée était sublime. Une animation fiévreuse emplissait le hall du Majestic de sa rumeur. La première vague des vacanciers de juillet pliait bagage pour laisser la place aux visages pâles du début d'août. A tous les étages, les femmes de chambre et les valets couraient d'un appartement à l'autre, les bras chargés de fleurs.

« Je ne vois pas ce qui vous surprend dans cette agression, dit Norbert. Elle est la base même du système capitaliste ! Hackett et Price-Lynch sont aussi pourris l'un que l'autre.

— Alors on est tous pourris, intervint Serge.

— Pourquoi, nous ? s'étonna Norbert.

— Parce qu'en tout petit, poursuivit Serge avec véhémence, on se tire la bourre de la même façon ! Essaie d'avoir une place de balayeur à la municipalité ! Tu feras tout ce que tu peux pour éliminer les copains !

— Il y a manière et manière… » rumina Richard.

Serge leur tourna précipitamment le dos pour aller saluer d'un jovial coup de casquette le duc et la duchesse de Saran qui se rendaient au bar.

« Et ton patron, où il est ? s'enquit Richard auprès de Norbert.

— Pas vu depuis quarante-huit heures.

— Veinard, tu te les roules ! C'est pas moi qui aurais le pot de travailler pour un Pope ! »

Norbert prit une expression contrariée.

« Tu aurais mieux fait de la fermer… glissa-t-il, entre ses dents. Voilà son copain ! »

Il fit quelques pas en direction de l'homme roux à la tête de cheval.

« La voiture, monsieur Bannister ?

— Oui, dit Samuel. On va au Beach. »