Выбрать главу

Depuis qu'il était au courant de la menace, Arnold Hackett avait remué ciel et terre pour trouver des fonds : en vain ! Comme mus par un mystérieux mot d'ordre, les banquiers qu'il avait traqués à coups de téléphone jusqu'au bout de la planète s'étaient récusés. Les mêmes, une semaine plus tôt, lui auraient léché les pieds pour qu'il accepte leur argent !

Le gouvernement américain avait fait la sourde oreille. Le secrétaire d’État contacté — vieille relation de famille — ne s'était pas laissé ébranler par l'argument massue d'Arnold : « Si je saute, c'est soixante mille employés qui seront au chômage ! »

En quelques heures, Hackett semblait avoir acquis le don de faire le vide autour de lui. Pendant ce temps, à New York, les petits génies bardés de diplômes qu'il entretenait à prix d'or à la tête de ses services administratifs n'étaient même pas foutus d'avoir une idée !

« Et vos conférences, Murray, ça donne quoi ?

— On cherche, monsieur Hackett…

— Vous êtes tous des crétins, Murray ! Je vous paie pour trouver !

— Monsieur Hackett, je vous supplie de m'écouter une seconde ! Si le salut ne vient pas de vous dans les quatre heures, nous coulons ! »

Cinq mille kilomètres les séparaient, mais chacun pouvait entendre au bout du fil le souffle angoissé de l'autre.

« Il paraît que les petits porteurs font la queue aux guichets de la Burger, monsieur Hackett ! Ici, c'est la panique ! Nous sommes assiégés par les créanciers !

— Dites à ces salauds d'attendre ! Ils ont toujours été payés rubis sur l'ongle depuis trente ans !

— Ils ont peur ! Il y a des rumeurs alarmistes ! A 20 dollars le titre, ils se battent pour vendre !

— Qui est majoritaire ? rugit Hackett. Je détiens 60 p. 100 de mes actions ! Qu'avons-nous à craindre ? »

Il le savait très bien mais voulait se l'entendre dire une fois de plus, pour mieux s'imprégner de l'issue implacable : il était coincé !

« Monsieur Hackett, si nous ne trouvons pas immédiatement 42 millions de dollars pour régler les créanciers et 40 autres pour faire la paie, la firme est en faillite !

— Où voulez-vous que je trouve 82 millions en quelques heures, et un dimanche !

— Et si vous vous sépariez momentanément d'un petit paquet de vos actions ?

— Jamais !

— Les titres vont se déprécier de minute en minute ! Faites quelque chose, monsieur Hackett !

— Vous êtes tous des incapables ! Si j'étais retourné à New York !…

— Notre seule chance est à Cannes !

— Murray ! Si vous prononcez le nom de Price-Lynch, je vous fous dehors ! Même ruiné, je préférerais crever la bouche ouverte !

— S'il le veut vraiment, il peut encore arrêter l'O.P.A. ! Je vous en supplie, monsieur Hackett, dans l'intérêt général de la Hackett, allez le voir !

— Je vous avais prévenu, Murray ! Je vous flanque à la porte !

— J'y suis déjà, monsieur. Vous m'avez licencié six fois depuis ce matin !

— Ce sera la septième ! Vous avez fait assez de dégâts ! Désormais, je prends les choses en main ! Que chacun reste à son poste, j'arrive ! »

Il raccrocha.

« Ton cœur, Arnold… Ton cœur !… reprocha Victoria.

— Ferme-la ! »

Depuis qu'il avait écrasé le plat de tomates sur la sale gueule de Ham Burger, il se nourrissait de pilules et avait à peine fermé l'œil. Victoria l'exaspérait : elle ne l'avait pas lâché d'une semelle, ravie secrètement du rôle que lui octroyait la catastrophe. Son premier : elle en faisait trop.

« Appelle le concierge ! Fais le 163 !… Pas le 162 ! C'est la caisse ! Donne-moi ça ! »

Il lui arracha l'appareil des mains, forma son numéro.

« Concierge ?… Arnold Hackett ! Je veux qu'un jet soit mis à ma disposition à l'aéroport de Nice ! Immédiatement !… Un Boeing si vous voulez, je m'en fous !… Oui, New York !

— Je suis malade de te voir dans un état pareil pour des questions d'argent… dit Victoria.

— On veut me saigner ! Tu veux que je dise merci ?

— Prends… »

Il avala les deux pilules qu'elle lui tendait. Elles n'apaiseraient pas pour autant les débuts d'étouffement qui lui incendiaient la poitrine.

« Préviens Richard ! Qu'il sorte la voiture ! »

Pour la première fois depuis des lustres, elle osa un contact physique : elle appuya sa main sur ses épaules.

« Arnold, j'étais en train de penser…

— Tu penses, maintenant ?

— Sais-tu réellement ce que tu vas faire à New York ? »

Elle maintint sa pression malgré la rebuffade. Il chercha une grande bouffée d'air, se tassa et resta un long moment silencieux, les yeux dans le vague, réfléchissant. Ce qui lui arrivait, il l'avait fait subir dix fois à d'autres, qui avaient été contraints de s'incliner. Il n'était pas dupe de son baroud d'honneur. Sa présence à la tête de son état-major ne changerait rien au cours des événements, il était battu, c'était son tour. Il sentit le poids de son âge, la fatigue de ses réussites de vieux lutteur impitoyable.

Il haussa lourdement les épaules et lâcha, avec une résignation morne :

« Non, Victoria. Je ne le sais pas. »

« Cher ami, je n'ai que des bonnes nouvelles à vous annoncer. Tout se déroule à la perfection ! En deux jours, nous avons déjà pu racheter 30 p. 100 du capital ! »

John-John Newton eut une moue sceptique.

« Un peu juste pour être majoritaire, non ?

— Je vous avais promis que Hackett craquerait, dit Ham Burger, il va craquer ! Avant quatre heures, je vous garantis que vous contrôlerez la Hackett ! Il n'a plus le choix ! Ou il vend, ou il perd tout !

— J'aimerais partager votre optimisme.

— Je ne suis pas optimiste, cher ami, mais réaliste !

— Et s'il préférait se saborder ?

— Il est loin d'être fou !

— Peut-être trouvera-t-il un recours financier de dernière minute ?

— Je crains que non. Son seul recours, c'est moi. Je vous laisse. Il faut que je retourne à mon appartement pour régler les derniers détails de l'estocade. Vous restez chez vous ?

— Je ne bouge pas.

— A tout à l'heure ! J'espère vous communiquer le bulletin de victoire encore plus tôt que prévu ! »

En traversant le vestibule, il se demanda quel visage avait la femme qui l'avait imprégné de son parfum. Renonçant à attendre l'ascenseur sur le palier encombré par une famille entière en peignoir-éponge, il grimpa allègrement les trois étages qui le séparaient du septième. Dans le salon, le téléphone sonnait.

« J'écoute… »

Avec soulagement, il reconnut la voix de son pigeon.

« Feu vert, lança-t-il d'une voix brève.

— Bien, dit Alan Pope. J'y vais. »

Arnold était toujours prostré quand il vit Victoria surgir du vestibule. Il ne s'était même pas aperçu qu'elle l'avait quitté !

« Arnold, peux-tu recevoir M. Pope ?

— Qui ?

— Alan Pope. Il a dîné avec nous au Palm Beach. Il dit qu'il a une information très importante au sujet de tes affaires. Pourquoi ne pas le voir ?… Je le fais entrer ! »

Richard était au volant de la Rolls. L'avion attendait à Nice. A New York, c'était l'effervescence. Dix minutes après avoir pris sa décision, Arnold n'avait toujours pas bougé de son fauteuil. Par la fenêtre ouverte, lui parvenaient de la piscine des cris d'enfants qui se défiaient autour du plongeoir. La porte du salon grinça, Victoria s'effaça, Alan entra.

« Bonjour, monsieur Hackett… »