Выбрать главу

Sourcils froncés, Arnold toisa le gamin qui se tenait debout. Il devait avoir trente ans à peine. Le regret de n'avoir pas son âge le mordit. Sans se lever, il le salua de la tête.

« Je pars en voyage. Vous avez trente secondes. Je vous écoute. »

Alan sourit poliment.

« Je viens d'apprendre ce qui vous arrive, monsieur Hackett. »

Arnold secoua la tête avec impatience.

« Quelle est votre information ?

— Je peux vous dépanner sur l'heure », laissa tomber Alan.

Un immeuble de quarante étages lui dégringola sur le crâne : ou ce type était fou, ou c'était un provocateur !

« Qu'entendez-vous par « dépanner » ?

— Régler votre échéance de 42 millions de dollars, monsieur Hackett.

— Qui vous a communiqué ce chiffre ? aboya Arnold.

— Le dernier des agents de change est au courant. »

Hackett le toisa avec arrogance.

« Vous avez 42 millions de dollars ?

— Si je ne les avais pas, pensez-vous que je vous aurais dérangé ? »

Arnold s'abîma dans une rumination où se bousculaient la méfiance, l'espoir, la ruse.

« Qu'est-ce que vous voulez en échange ?

— Votre paquet majoritaire, annonça froidement Alan.

— Dès que je vous ai vu entrer, j'ai su que j'avais affaire à un cinglé !

— La suite nous le dira, monsieur Hackett. Je suis prêt à éponger vos 42 millions de dettes si vous me cédez vos six millions de titres.

— Vous avez 120 millions de plus ? ironisa Hackett.

— Dans la situation présente, qui serait assez idiot pour vous payer 20 dollars l'action ? Les titres Hackett brûlent les mains de ceux qui les détiennent. On se bat pour vendre, pas pour acheter.

— Vous me croyez assez stupide pour me saborder ?

— Non. Mais assez intelligent pour savoir que dans quatre heures à peine, vous ne pourrez plus rien vendre du tout. Vous serez déclaré en faillite, monsieur Hackett. Compte tenu de l'urgence, je vais vous faire une offre très raisonnable. Contre vos 6 millions de titres, je vous propose 70 millions de dollars. »

Mentalement, Hackett inversa les rôles : s'il avait été à la place de Pope, il aurait essayé de l'étrangler davantage en démarrant sur une base de 30 à 40 millions, quitte à monter jusqu'à 50.

« Proposition ridicule ! Inacceptable !

— A prendre ou à laisser », dit Alan.

Dans le ton de sa voix, Hackett sut qu'il ne se laisserait pas bluffer.

« Asseyez-vous, monsieur Pope… » dit-il.

En chapeau de paille et gants de chevreau noirs, Marina, nue comme à l'ordinaire, se lavait les dents au-dessus de la baignoire. Comment avait-elle pu croupir aussi longtemps à New York alors qu'existait sur la planète un endroit comme Cannes ? Elle se rinça la bouché, passa dans sa chambre et contempla les bouquets de roses qui s'y amoncelaient. Elle se demanda comment tous ses admirateurs se débrouillaient pour avoir son adresse. Elle eut envie de faire quelques pompes, hésita, décida qu'il faisait trop chaud. La technique était identique : il y avait d'abord les fleurs, puis les invitations par téléphone. Mais Khalil veillait. Il venait la prendre avant le dîner pour la conduire aux appartements du prince. Plusieurs fois pas jour, autant pour contrôler son emploi du temps que par caprice pur, Hadad lui envoyait des cadeaux, un petit diamant, un bracelet, un collier de perles. Marina le trouvait marrant. Elle se fichait de l'argent et des bijoux mais appréciait l'attention. Les hommes qu'elle avait connus jusqu'alors — mis à part Alan — ne lui avaient jamais manifesté autant de délicatesse. Poppie n'en reviendrait pas quand elle le lui raconterait ! Elle s'apprêtait à s'allonger sur le lit quand elle entendit gratter à la porte. Elle alla ouvrir et resta frappée de stupeur.

« Seigneur, dit-elle, qu'est-ce qui vous arrive ? »

« Monsieur Pope, je vous félicite ! »

Ham Burger alluma sa troisième cigarette en deux minutes. Il en tirait quelques bouffées et les écrasait nerveusement, tentant de maîtriser les tics d'excitation qui lui tiraillaient le visage. Jusqu'à la dernière seconde, il avait partagé en secret les craintes de Newton : Hackett refuserait de passer la main.

« Comment s'est déroulée l'entrevue, monsieur Pope ?

— Très simplement, dit Alan. Arnold Hackett a parfaitement compris où étaient ses intérêts.

— Vous a-t-il menacé ? Insulté ?

— Pas le moins du monde. Ne lui apportais-je pas la solution de ses problèmes ? »

Price-Lynch le regarda avec vivacité pour voir si la phrase était une flèche. Le visage d'Alan resta impénétrable.

« Vous êtes-vous servi, pour le contraindre, de la traite impayée que je vous avais rachetée ?

— Cela n'a pas été nécessaire.

— Avez-vous son accord écrit ?

— Certainement, monsieur Price-Lynch. »

Il le tira du sous-main placé sur la table. Hamilton s'en empara avec avidité. Ses mains tremblaient quand il le porta à ses yeux. Alan se rendit au bar, sortit des verres, de la glace, une bouteille.

« Vous en voulez ?

— Non, non, merci… Vous lui avez donné son chèque ?

— Croyez-vous que sans chèque, il m'aurait signé le document ? Il a d'abord téléphoné à New York pour s'assurer que les fonds étaient réellement bloqués à mon compte pour la conclusion de notre affaire. A propos, avez-vous le mien ?

— Pardon ?

— Mon chèque. Les 100 000 dollars ? »

Négligemment, il rafla au passage la feuille manuscrite où Hackett déclarait lui avoir cédé six millions de titres pour 70 millions de dollars.

« Le voici, dit Ham Burger. Je vous l'avais préparé. »

Alan prit son temps pour vérifier la date, le chiffre et la signature.

« Et le second ?

— Comme convenu. Dès votre retour de New York. Vous partez quand ?

— Immédiatement. Un Boeing m'attend à Nice pour l'aller-retour. Vous allez recevoir la facture d'un instant à l'autre.

— Comment ?

— Je me suis permis de la faire mettre à votre nom. Il n'y a aucune raison que je paie moi-même les frais. Arnold Hackett lui-même avait retenu l'appareil. Vous avez de la chance !

— Combien ? s'étrangla Price-Lynch.

— Comment voulez-vous que je le sache ? Vous verrez bien. Je suppose que vous avez déjà donné les instructions pour que soient honorées les échéances ?

— Mêlez-vous de vos affaires ! Contentez-vous de faire strictement ce que je vous demande ! Dans combien d'heures serez-vous de retour ?

— Dix-sept… Dix-huit… Le temps de me rendre à votre banque et de revenir. Je pense que tout est en règle. Si vous voulez bien m'excuser… Je dois préparer un sac de voyage… »

Price-Lynch lui vrilla un regard soupçonneux.

« Tâchez de ne pas commettre d'erreur, monsieur Pope.

— J'essaierai », dit Alan sur un ton neutre.

Quand Price-Lynch fut parti, il but son verre à petites gorgées, concentré à l'extrême. Il alla sur la terrasse. Sept étages plus bas, il aperçut Norbert au volant de la Rolls qui stationnait devant le perron. Il s'adressa une petite grimace dans le miroir du salon et murmura :

« C'est maintenant ou jamais, courage ! »

Il eut une pensée pour Bannister et descendit.

« Alan ! »

Sarah ! A croire qu'elle n'avait cessé de monter la garde dans le hall pour le coincer tôt ou tard. Il se maudit d'avoir fait sortir la voiture trop vite.

« Je suis désolé, Sarah. J'ai un avion à prendre. »