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— Alors ? demanda Danglard, déçu.

— Deux hommes pour aller voir. Mais, je n’y crois pas. Danglard mit sa machine en pause et suivit Adamsberg jusqu’à son bureau.

— Je suis emmerdé, annonça-t-il.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— J’ai des puces.

Adamsberg fut surpris. C’était la première fois que Danglard, homme discret et pudique, lui faisait part d’un souci d’hygiène domestique.

— Décapsulez une bombe tous les dix mètres carrés, mon vieux. Sortez deux heures, revenez et aérez, ça marche très bien.

Danglard secoua la tête.

— Ce sont des puces de chez Laurion, précisa-t-il.

— Qui est Laurion ? demanda Adamsberg en souriant. Un fournisseur ?

— Merde, René Laurion, c’est le mort d’hier.

— Pardon, dit Adamsberg. Son nom m’était sorti de la tête.

— Eh bien notez-le, bon Dieu. J’ai attrapé des puces chez Laurion. Ça a commencé à me gratter le soir à la Brigade.

— Mais qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse, bon sang, Danglard ? Le type était moins soigné qu’il n’en avait l’air. Ou bien il en ramassait au garage. Qu’est-ce que j’y peux ?

— Bon Dieu, dit Danglard en s’énervant. Vous l’avez dit vous-même à l’équipe pas plus tard qu’hier : la peste se transmet par la piqûre des puces.

— Ah, dit Adamsberg en considérant cette fois son adjoint. Je vous suis, Danglard.

— Vous y mettez le temps, ce matin.

— J’ai peu dormi. Vous êtes certain qu’il s’agit de puces ?

— Je sais faire la différence entre une piqûre de puce et de moustique. Je suis piqué à l’aine et aux aisselles, des boutons gros comme mon ongle. Je n’ai découvert ça que ce matin, je n’ai pas eu le temps de vérifier les enfants.

Cette fois, Adamsberg réalisa que Danglard était en proie à une véritable inquiétude.

— Mais qu’est-ce que vous craignez, mon vieux ? Qu’est-ce qui se passe ?

— Laurion est mort de peste et j’ai chopé des puces chez lui. J’ai vingt-quatre heures pour réagir ou ce sera peut-être trop tard. Pareil pour les petits.

— Mais bon Dieu, vous marchez dans la combine ? Vous ne vous souvenez pas que Laurion est mort étranglé, d’un simulacre de peste ?

Adamsberg était allé fermer la porte et avait tiré sa chaise auprès de son adjoint.

— Je me souviens, dit Danglard. Mais dans sa folie des symboles, CLT a poussé le détail jusqu’à lâcher des puces dans l’appartement. Ça ne peut pas être une coïncidence. Dans sa tête de dingue, ce sont des puces pesteuses. Et rien, absolument rien ne m’assure qu’elles ne sont pas, en effet, réellement infectées.

— Si elles l’étaient, pourquoi aurait-il pris la peine d’étrangler Laurion ?

— Parce qu’il veut donner la mort lui-même. Je ne suis pas un trouillard, commissaire. Mais être mordu par des puces libérées par un obsédé de la peste ne me fait pas rigoler.

— Qui nous accompagnait hier ?

— Justin, Voisenet et Kernorkian. Vous. Le légiste. Devillard et les hommes du 1er arrondissement.

— Vous les avez toujours ? demanda Adamsberg en posant la main sur son téléphone.

— Quoi ?

— Vos puces.

— Sûrement. A moins qu’elles ne vadrouillent déjà dans la Brigade.

Adamsberg décrocha son téléphone et composa le numéro du labo de la Préfecture.

— Adamsberg, dit-il. Vous vous souvenez de l’insecte que vous avez trouvé au fond de l’enveloppe vide ? Oui, exactement. Activez l’entomologue, priorité absolue. Eh bien tant pis, dites-lui de remettre ses mouches à plus tard. C’est urgent, mon vieux, un cas de peste. Oui, grouillez-vous, et dites-lui que je lui en envoie d’autres, vivantes. Qu’il prenne ses précautions et, surtout, silence absolu.

— Quant à vous, Danglard, dit-il en raccrochant, montez à la douche et fourrez toutes vos fringues dans un sac plastique. On va les faire partir aux analyses.

— Et comment je fais ? Je me balade à poil toute la journée ?

— Je vais vous acheter deux trois bricoles, dit Adamsberg en se levant. Inutile que vous lâchiez vos bestioles dans toute la ville.

Danglard était trop déstabilisé par ses piqûres de puces pour s’inquiéter des habits qu’allait lui rapporter Adamsberg. Mais une vague appréhension traversa ses pensées.

— Dépêchez-vous, Danglard. J’envoie la désinfection chez vous, et ici même à la Brigade. Et j’alerte Devillard.

Avant d’aller faire ses achats vestimentaires, Adamsberg appela l’historien femme de ménage, Marc Vandoosler. Par chance, il prenait un déjeuner tardif chez lui.

— Vous vous souvenez de cette affaire de 4 pour laquelle je vous avais consulté ? demanda Adamsberg.

— Oui, répondit Vandoosler. Depuis, j’ai entendu le communiqué de vingt heures et j’ai lu les journaux ce matin. Ils disent qu’on a retrouvé un type mort et un journaliste assure qu’à la sortie du cadavre, un bras dépassait du drap, un bras taché de noir.

— Merde, dit Adamsberg.

— Est-ce que le corps était noir, commissaire ?

— Vous vous y connaissez en affaires de peste ? demanda Adamsberg sans répondre. Ou juste en chiffres ?

— Je suis médiéviste, expliqua Vandoosler. Je connais bien la peste, oui.

— Il y en a beaucoup qui s’y connaissent ?

— Des pestologues ? Disons qu’aujourd’hui, il y en a cinq. Je ne parle pas des biologistes. J’ai deux collègues dans le Sud, plutôt sur le versant médical de la question, un autre à Bordeaux, plutôt axé sur les insectes vecteurs, et un historien tendance démographe, à l’université de Clermont.

— Et vous ? Quelle est votre tendance ?

— Tendance chômage.

Cinq, se dit Adamsberg, ça ne fait pas lourd pour tout le pays. Et jusqu’ici, Marc Vandoosler avait été le seul à connaître la signification des 4. Historien, littéraire, pestologue et certainement latiniste, ça valait la peine d’aller sonder l’homme.

— Dites-moi, Vandoosler, combien de temps diriez-vous pour la durée de la maladie ? En gros ?

— Trois à cinq jours d’incubation en moyenne, mais parfois un ou deux, et cinq à sept jours de peste déclarée. Grosso modo.

— Ça se soigne bien ?

— Si on la prend au tout début des symptômes.

— Je crois que je vais avoir besoin de vous. Vous accepteriez de me recevoir ?

— Où ? demanda Vandoosler, méfiant.

— Chez vous ?

— Entendu, répondit Vandoosler après une nette hésitation.

Le type était réticent. Mais beaucoup de types sont réticents à l’idée de voir débarquer un flic chez eux, presque tous en fait. Ça ne faisait pas automatiquement de ce Vandoosler un CLT.

— Dans deux heures, proposa Adamsberg.

Il raccrocha et fila à la grande surface de la place d’Italie. Il évalua Danglard à une taille 48 ou 50, quinze centimètres de plus que lui et trente kilos de mieux. Il fallait de quoi ranger son ventre. Il décrocha en vitesse une paire de chaussettes, un jean et un grand tee-shirt noir, parce que le blanc grossit, il l’avait entendu dire, et les rayures aussi. Pas la peine de prendre une veste, il faisait doux et Danglard avait toujours chaud, à cause des bières.

Danglard attendait dans la salle de douche, enroulé dans une serviette. Adamsberg lui passa les vêtements neufs.

— J’envoie le paquet de fringues au labo, dit-il en levant le gros sac-poubelle dans lequel Danglard avait enfermé ses habits. Pas de panique, Danglard. Vous avez deux jours d’incubation devant vous, on est au large. Ça nous laisse le temps d’avoir les résultats des examens. Ils vont traiter notre problème en urgence.